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« Il n’est de richesse que d’hommes »

Une tribune signée par Yann de Feraudy, président de France Supply Chain, association visant à fédérer, promouvoir et réfléchir à la supply chain de demain.

Publié le 14 octobre 2024 - 17h00
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Les travailleurs de l’ombre…

Bâtir des supply chains plus durables et désirables, reposent pour France Supply Chain sur quatre piliers repris dans notre Manifeste :

 

1. Transporter et Produire plus juste
2. Rendre possible la circularité
3. Faire émerger des écosystèmes collaboratifs
4. Renforcer la formation et les compétences des hommes et des femmes en supply chain.
Nous avons déjà abordé ici les 3 premiers axes… pour réserver le meilleur, pour la fin, en nous intéressant de plus près à celles et ceux qui font, chaque jour, chaque nuit le succès de nos supply chains.


À mesure que les chaînes d’approvisionnement deviennent plus sophistiquées, le rôle des ressources humaines (RH) dans ce secteur devient de plus en plus stratégique. La gestion des talents, la formation, l'évolution des métiers, et l’impact de la technologie (notamment la mécanisation et l’intelligence artificielle) sont des sujets essentiels pour garantir l’efficacité, la compétitivité, la conformité et la résilience des supply chains en France et à travers le monde.

 

Un peu d’histoire…

Historiquement, la supply chain était un secteur moins exposé au grand public, principalement centré sur la logistique, les achats et la gestion des stocks. Au début du XXe siècle, les supply chains étaient peu sophistiquées, « verticales » et principalement orientées vers la production de masse. Les chaînes d’approvisionnement se limitaient souvent à des échanges régionaux ou nationaux, avec peu d’échanges transfrontaliers.


L'après-guerre et l’accélération de la mondialisation ont marqué un tournant décisif. Avec l’expansion des échanges internationaux et le développement des technologies.
Au fur et à mesure de leur complexification, les supply chains ont exigé un perfectionnement croissant dans la gestion de leurs ressources humaines : recrutement, formation, gestion des talents capables de naviguer dans cet environnement à la fois mouvant et de plus en plus étendu. Les entreprises ont ainsi commencé à recruter des profils plus variés, allant des opérateurs d'entrepôt aux ingénieurs logistiques, et, plus récemment des analystes de données et des responsables de la gestion des risques.


Je ne reviens pas ici sur la mise en lumière de nos métiers depuis l’avènement de l’ère de la « perma-crise » (Covid, guerre…), il reste qu’en plus de la sophistication tous azimuts - dont le support de l’économie circulaire à venir - une composante plus « politico-stratégique » a émergé, ajoutant, si j’ose dire une nouvelle patte au(x) mouton(s) recherché(s) dans nos entreprises !

 

Les enjeux de formation et d’évolution des compétences

Le secteur économique représente 10 % des emplois en France, soit plus de 2 millions de personnes impliquées dans les différents métiers de la supply chain : des achats à la gestion des flux d'informations en passant par le pilotage de la production et la logistique. C’est dire l’importance de ces métiers pour notre pays et ses entreprises.


Pourtant et c’est là un paradoxe, les métiers de la supply chain, souffrent d’un défaut d’image et d’attractivité, alors que le secteur est une mine d’opportunités professionnelles aussi bien pour les personnes faiblement qualifiées (comme ce fut le cas jadis dans l’industrie automobile), que pour les jeunes diplômés ou les chercheurs ; il y a fort à faire pour ces derniers, penser les supply chains circulaires, développer la frugalité, intégrer la technologie et l’algorithmie pour optimiser « à l’échelle » d’un territoire, etc.


Or, il est plus facile d’évoluer au sein de la supply chain que dans d’autres secteurs. Les métiers d’opérateurs en entrepôts sont de véritables tremplins pour débuter une carrière professionnelle. Les parcours peuvent être tantôt verticaux et hiérarchiques en passant par exemple de préparateurs à chef d’équipe puis responsable d’exploitation, etc. ou bien latéraux en passant de métiers opérationnels à des spécialités plus administratives en service client, planification ou achats.
Les environnements eux-mêmes devenant plus complexes à mesure que l’entrepôt se rapproche des caractéristiques d’une usine via la mécanisation - il devient au moins aussi complexe (et passionnant) d’ordonnancer une « fulfilement factory » qu’une usine. Et du reste, pour obtenir un capex, il est beaucoup plus sûr (et « glamour »…) de parler de fulfilment factory ou d’usine à fabriquer des commandes que d’entrepôts…

 

Plus sérieusement, nos entrepôts sont vraiment devenus des usines ! Ce n’est pas sans poser un problème d’allocation de moyens (capex) dans des domaines où l’entreprise n’était pas habituée à flécher ses investissements, mais aussi de ressources très qualifiées pour instruire ces dossiers puis piloter ces nouveaux objets…

 

Avec l’émergence des technologies telles que l'intelligence artificielle ou l'Internet des objets (IoT), les supply chains sont devenues plus numériques. Les entreprises doivent donc recruter des talents ayant des compétences spécifiques en gestion des systèmes d’information, en analyse de données et en gestion de processus automatisés. En 2023, une étude du cabinet McKinsey a révélé que d'ici 2030, près de 50 % des emplois dans la logistique et la supply chain pourraient être affectés par ces technologies, avec une demande accrue pour des compétences en matière de programmation, de gestion des bases de données, et de maintenance des systèmes automatisés.

 

L’importance de la formation et de la gestion des talents

Face à cette révolution technologique, la formation joue un rôle primordial. C’est pourquoi France Supply Chain a publié un recueil exhaustif des formations en supply chain en France à destination des employeurs et des étudiants (voire de leurs parents). Déjà mis à jour en 2022, la version 3 sortira en 2025. Car il faut attirer vers nos métiers des jeunes futurs diplômés et, simultanément permettre aux personnes en poste de s’adapter aux évolutions du contexte. Car ce qui est en jeu, c’est tout simplement l’évolution rapide de nos métiers. Les métiers traditionnels de la supply chain, tels que préparateur de commandes, gestionnaire de stocks ou conducteur de chariots élévateurs, subissent une transformation à la fois radicale (jusqu’à la suppression) et rapide.


Simultanément, la mise en œuvre réussie des nouvelles technologies est aussi conditionnée par leur appropriation par les « vieux briscards expérimentés » qui n’ont pas leur pareil pour déloger les contresens et pousser un peu plus loin l’efficacité des dispositifs, à condition d’être parties prenantes dans les choix et la mise en place… Les ressources humaines dans les supply chains font donc face à un double défi : attirer des talents dans un secteur souvent perçu comme moins prestigieux, retenir ces talents face à une forte concurrence internationale et capitaliser sur les experts historiques de l’entreprise en évitant de les antagonise.


Les entreprises doivent donc déployer des démarches d’intégration, où le mentoring devrait trouver toute sa place, des perspectives d'évolution claires, ainsi qu'un environnement de travail favorable.

 

Mécanisation et intelligence artificielle : quels impacts sur les RH ?

La mécanisation et l’intelligence artificielle transforment profondément le secteur des supply chains, avec des conséquences directes sur la gestion des ressources humaines. L’automatisation des entrepôts, avec des robots capables de trier, stocker et transporter des marchandises, modifie la structure des emplois. Les tâches répétitives et manuelles sont peu à peu remplacées par des machines, ce qui réduit la « pénibilité » mais aussi, le besoin en main-d’œuvre non qualifiée. Il y a ici un vrai enjeu sociétal qui n’est pas sans rappeler l’évolution de l’industrie automobile.


La tendance à la mécanisation semble inexorable tant les pénuries d’opérateurs et de chauffeurs sont importantes et tant la performance demandée et la mise en place des méthodes industrielles du type lean, plus ou moins bien comprises et mises en œuvre, viennent accroitre les cadences et la pression sur les opérateurs.


La récente amende infligée à Amazon par la CNIL est assez emblématique de ce phénomène. Les opérateurs se plaignant d’être pistés de manière trop intrusive en temps réel sur la performance…
Or, tous ceux qui ont eu à piloter des exploitations (logistiques ou industrielles) ont mis en place des mesures de la performance individuelle et collective. Les démarches de lean management, qui chassent les pertes et/ou les « micro-arrêts » reposent du reste, sur des mesures constantes, hier à la main (les fameux bâtonnages) aujourd’hui automatisées et consolidées dans les tableaux de bord des MES.

 

La philosophie originelle du lean, développée chez Toyota, est une méthode « bottom-up » qui part des analyses du terrain par les opérateurs pour s’améliorer, et non pas une démarche « top down » imposée par des ingénieurs méthodes depuis leurs bureaux et ressentie comme des « cadences infernales ».

 

C’est peut-être là que le bât blesse, le management des ressources humaines chez le géant de Seattle, n’a pas très bonne réputation en France… C’est aussi une alerte pour nous que d’insister dans nos exploitations à la qualité du management de terrain pour encadrer, recadrer mais aussi pour accompagner et rassurer.

 

Intelligence artificielle et optimisation des processus

Mais l’automatisation n’est pas la fin du film. L’avènement de l’IA permet d’optimiser les processus logistiques en analysant des volumes massifs de données et en identifiant des modèles pour améliorer la performance. Nous voyons déjà des acteurs majeurs comme Amazon mouvementer ses marchandises a priori (sans commandes) sur la base des prévisions.


Au-delà des profils techniques capables de développer, d’interpréter et d’ajuster ces algorithmes, cela nécessite de la data avec une volumétrie dont peu d’acteurs disposent. Pour y palier, plusieurs acteurs dont France Supply Chain et l’AUTF réfléchissent à des initiatives visant à booster l’interopérabilité et l’échange de données.


En France, l’utilisation de l’IA dans la supply chain en est encore à ses débuts, mais les uses cases commencent à fleurir, en témoigne le dernier webinar de notre lab Digital consacré au sujet.

 

Nous avons besoin de diversité

Les ressources humaines dans les supply chains sont à un tournant crucial, à l’intersection de l’évolution technologique et des défis de recrutement et de formation. Alors que la mécanisation et l’intelligence artificielle modifient les contours des métiers, les entreprises doivent adapter leur stratégie RH pour attirer, former et retenir les talents.


La formation continue, l’adaptation aux nouvelles technologies et la gestion du changement sont désormais des priorités stratégiques pour garantir la compétitivité des chaînes d’approvisionnement à l’échelle nationale et internationale. Plus encore, nous voyons que les stratégies d’investissement dans les nouvelles technologies (robots, IA, camions électriques ou H2…) augmentent la fierté d’appartenance des jeunes comme des moins jeunes collaborateurs.


Car les supply chains ne sont pas des start-ups, elles ont un « passif » social… des postes qui ont déclenché des troubles musculo-squelettiques (TMS) qui seront remplacés utilement par des robots, mais aussi des opérateurs et managers « mûrs » et très expérimentés qui ne doivent pas être mis au rebut, mais au contraire utilisés comme mentors, détrompeurs (l’enfer de la mécanisation est pavé de bonnes intentions naïves et inopérantes…) voire de leviers du changement, et, inversement les plus jeunes peuvent aider les moins jeunes à comprendre l’importance et la pertinence des nouveaux outils.


Face aux mutations rapides, le rôle des directions générales et de leur DRH et, en premier lieu, des managers de terrain devient central pour assurer une transition harmonieuse vers des supply chains plus automatisées, plus durables tout en maintenant un équilibre entre efficacité technologique et attention à l’emploi dans des sites où il fait bon travailler.


Ce sont les femmes et les hommes de terrain qui feront le succès de ces transitions et non les robots ou l’intelligence - qui n’est qu’artificielle.

 

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Note : La citation utilisée en titre, « Il n’est de richesse que d’hommes », provient du cinquième des Six Livres de la République de Jean Bodin, économiste et philosophe français du XVIe siècle.

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