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L'innovation frugale repense la logistique traditionnelle
Structure duale, très peu répandue en France, l’i-Lab d’Air Liquide doit permettre au géant mondial de trouver de nouveaux territoires de croissance et donc de business. À coté de son programme « respirer dans la ville » qui répond aux enjeux de l’urbanisation croissante de notre planète, une autre initiative menée dans deux pays émergents crée une logistique de rupture. Explications par le directeur et fondateur de l’i-Lab.
Accélérer l’innovation et explorer de nouveaux marchés. Les ambitions affichées par l’i-Lab d’Air Liquide, le géant mondial des gaz, technologies et services pour l’industrie et la santé sont à la hauteur des moyens mis en oeuvre pour son fonctionnement. Sa structure bicéphale, est l’une de ses premières forces. Ainsi, l’équipe de réflexion (thinktank) est chargée d’identifier et de cartographier de nouvelles opportunités de croissance pour le groupe. Elle décrypte les tendances telles que la globalisation de l’industrie et les contraintes de ressources, les évolutions démographiques et de la consommation, l’urbanisation, les nouvelles technologies, pour mieux comprendre leur impact sur les usages des consommateurs.
En parallèle, l’équipe d’expérimentation (corporate garage) a pour objectif de tester rapidement les idées auprès d’utilisateurs finaux. Elle s’appuie notamment sur des méthodologies d’innovation tout en s’assurant de la faisabilité technique des idées et d’une première approche de leur viabilité économique. Au sein de son « i-fab », elle peut réaliser rapidement des preuves de concepts, par exemple sous forme de prototypes, à partir d’équipements de pointe (imprimantes et scanners 3D, découpe laser, modélisation numérique) afin de matérialiser les idées et de les tester.
Le design, nouvelle compétence de l’i-Lab
Créée en 2013, cette structure située à Paris compte une vingtaine de personnes diverses en matière de nationalité, de genre et de profil comme le souligne Grégory Olocco, le directeur de l’i-Lab : « Nous avons des docteurs en sciences et des ingénieurs mais aussi des spécialistes en sciences sociales et humaines, un ethnologue, deux anthropologues, une normalienne en lettres classiques, des anciens entrepreneurs… » Une nouvelle compétence vient même d’être intégrée à cette équipe de huit nationalités : le designer qui « en partant de l’usage remet la solution au centre de la réflexion », précise Grégory Olocco avant de se féliciter qu’en France « peu de structures de ce type – think et do – existent contrairement aux États-Unis où l’innovation radicale est plus ancrée dans leur culture ».
Concevoir mieux avec moins
Une initiative d’innovation frugale, issue d’une idée et des moyens de l’i-Lab est actuellement en cours d’expérimentation dans deux pays émergents du Maghreb et d’Asie. Cette initiative est née et portée par Philippe Deck, un intrapreneur Air Liquide présent dans le groupe depuis plus de 40 ans. Son idée ? Proposer des solutions de gaz de soudage adaptées au contexte des bidonvilles, des favelas ou des townships en apportant du gaz à un prix abordable tout en maintenant la sécurité de la bouteille et la qualité de la molécule.
Ces marchés, où la population a des revenus souvent inférieurs à cinq dollars par jour (bottom of the pyramid), obligent à intégrer des solutions innovantes pour coller aux attentes spécifiques de ces milliards de personnes. Ces « nouveaux consommateurs » situés dans des zones géographiques où les contraintes économiques sont très fortes, engendrent des problématiques particulières notamment au niveau de la distribution et de la supply chain.
Concevoir mieux avec moins, impose de repenser les modèles économiques traditionnels et d’intégrer les acteurs locaux dès les premières réflexions. Pour le dirigeant de l’i-Lab, « il est nécessaire de travailler avec des partenaires locaux capables de réaliser la livraison du dernier km en organisant notamment une logistique de rupture ». « Les procédures de remplissage ont été simplifiées, le système de livraison a été complètement réinventé pour fournir l’oxygène de soudage au plus près des utilisateurs finaux », poursuit Grégory Olocco. L’i-Lab a également revu le système de facturation, simplifié au moyen des nouvelles technologies.
Par ailleurs, une « académie » permettra de former les partenaires aux obligations de sécurité et aux métiers du soudage. Au final, cette démarche doit permettre aux petites entreprises locales de monter en gamme. Une belle illustration d’inclusive business, un concept qui consiste à inclure les populations bottom of the pyramid dans la chaîne de valeur. Si l’expérimentation s’avère positive, Air Liquide dupliquera l’initiative afin de bénéficier d’un effet d’échelle. Et pourquoi pas de dessiner à terme l’évolution de l’économie mondiale.