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Covid-19 : Kyu Associés pense à l'après-crise et explore les pistes de résilience
Le cabinet de conseil Kyu Associés poursuit son travail d'observation et d'analyse face à la crise sanitaire en publiant une mise à jour de son Livre Blanc : La Supply Chain face au Covid-19, impacts et actions de résilience. Xavier Roussel, manager, Laurent Giordani et Thibaud Moulin, associés, détaillent son contenu et anticipent les mesures à prendre pour atteindre la résilience.
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Publié fin 2019, le Baromètre des risques supply chain du cabinet de conseil en management indépendant Kyu Associés, n’avait pas placé le risque épidémiologique en première place des dangers anticipés par les entreprises interrogées (une centaine de responsables de la gestion des risques, des achats et de la supply chain). Ces derniers considéraient qu’il était celui qui avait le moins de probabilité de se produire et qui aurait le moins d’impact sur la supply chain. La crise sanitaire mondiale liée au Covid-19 aura tôt fait de rebattre les cartes. « Clairement le risque a largement été sous-estimé. À cette époque, on avait dans beaucoup de secteurs moins de 40 % des entreprises qui avaient des plans de continuité d’activité », explique Laurent Giordani, associé du cabinet de conseil. Une inconscience de la part des entreprises ? Thibaud Moulin, également associé au sein du cabinet, l’explique plutôt par une attention concentrée sur d’autres risques jugés plus sensibles : « Leur passé récent avait plus trait à des expériences de catastrophes naturelles, ou des menaces cyber : il s'agissait de risques dans lesquels l’ensemble du secteur baignait, commençant à réfléchir à la façon dont il pouvait s'en protéger. Le risque sanitaire, avec le premier virus Sras de 2003, avait finalement eu un impact relativement limité sur la supply chain», rappelle-t-il.
De la sidération à la résilience
Le fruit de cette expérience commune vécue par les entreprises ne les aura ainsi pas incitées à se positionner sur cette menace virale, devenue crise mondiale sans que personne ne l'ait pressenti. « Et quand bien même quelqu’un l’aurait vu venir, nous sommes face à un risque tellement systémique, touchant tous les pays et les secteurs économiques, que toute mesure de prévention qui aurait pu être anticipée n’aurait pas servi à grand-chose », juge Laurent Giordani. Alors, au-delà des effets économiques dévastateurs, c’est également de résilience que Kyu Associés souhaite parler à travers son étude La Supply Chain face au Covid-19. Impacts et actions de résilience. Le cabinet de conseil spécialisé en supply et en risque entend d’ailleurs dorénavant faire régulièrement le point sur la situation à travers des livres blancs publiés bi-mensuellement. « Notre première note de travail du 9 mars dernier est sortie à un moment où la situation était encore relativement maîtrisable parce qu’elle était focalisée sur la zone Asie, et la Chine en particulier, poursuit Laurent Giordani. Au cours des dernières semaines, il y a eu cette accélération tous azimuts et les entreprises se sont trouvées, en l’espace de quelques jours, sidérées par les conséquences que cela pouvait avoir. Elles ont dû activer ou inventer des plans de continuité d’activité pour mettre leurs ressources en sécurité, et trouver des moyens de fonctionnement dégradés ». Une situation ayant conduit Kyu à sortir dès le 17 mars une mise à jour de sa publication enrichie, avec pour objectif, au-delà d’appréhender et d’analyser au mieux la situation à travers des focus sectoriels (sur l’automobile, l’aéronautique, l’industrie pharma, le luxe, l’électronique, la grande distribution et la logistique de distribution), d’apporter des pistes de résilience.
Se préparer à l'après-crise
Il s'agit aujourd'hui de penser au jour d’après. Là réside toute la difficulté du moment pour les équipes de management : appréhender les actions au jour et le jour et maintenir le plus possible un flux d’activité tout en faisant rentrer du revenu. « Il faut aussi penser au temps long car même si on n’a peu de visibilité sur la reprise et la courbe qu'elle prendra, il est du devoir de tout le monde de commencer à l’imaginer pour être prêts à relancer l’activité et essayer, dans les secteurs les plus concurrentiels, d’aller plus vite que les autres », poursuit Laurent Giordani. La situation actuelle met le doigt sur les faiblesses des organisations organisations supply et de gestion de risques eu égard à ce genre de défaillance : dans beaucoup de cas, même si les entreprises et leurs sous-traitants ont des plans de continuité opérationnels, il existe trop peu, voire pas du tout de coordination entre ceux-ci, estime Laurent Giordani « Ce qui fait la différence quand vous travaillez avec un nombre important de sous-traitants, et parmi eux certains qui sont stratégiques, c’est d’être totalement alignés. Aujourd’hui, on est en train d’inventer la synchronisation au fur et à mesure que les problèmes se produisent mais elle a été anticipée dans peu de cas », observe-t-il. Une anticipation qui demande également de penser à l’après-crise avec, au nveau des schémas industriels, la possible accélération d'un mouvement déjà perceptible, consistant non pas à « mettre à la poubelle la globalisation mais à envisager, dans un certain nombre de secteurs d’activité, de passer d’un tout global - avec des sources d’approvisionnement localisées dans un seul bassin - à du multi-local », estime Laurent Giordani.
Au final, comment se préparer au mieux pour la suite ? La visibilité sur la supply chain demeure clef dans ces circonstances répètent les experts de Kyu Associés. Être connecté à ses partenaires, se montrer capable de sécuriser ses capacités logistiques qui permettront d’acheminer les produits des fabricants aux consommateurs sur les supply chain restées opérationnelles, mais également de faire tourner ses processus S&OP plus rapidement et en boucles plus courtes pour être en mesure de mettre la marchandise là où elle est susceptible d’être consommée. « La mesure à prendre à aujourd'hui, quand les données qu’on peut injecter sont peu fiables et trop incertaines pour que cela donne un résultat pertinent en termes de demande et de capacité, c’est d’améliorer sa visibilité sur la supply chain et ses connexions temps réel avec les partenaires clefs pour disposer d'une approche mieux coordonnée. Et dès que la visibilité devient plus robuste, d'être sûr d’avoir toutes les connexions permettant d’alimenter les modèles de données, et de refaire tourner de premiers plans industriels et commerciaux assez fiables pour organiser la supply chain », termine Thibaud Moulin.
Zoom sur les secteurs de l’automobile, l’aéronautique et la grande distribution
Le Livre Blanc, mis à jour le 17 mars par Kyu Associés, s'attache à décrypter les impacts de la crise sanitaire dans sept domaines d'activité : le luxe, l'électronique, l'industrie pharmaceutique, la logistique de distribution, la grande distribution, l'automobile et l'industrie aéronautique. Focus sur ces trois derniers secteurs affectés de façon très différente.
Sur les secteurs de l’automobile et de l’aéronautique, très durement touchés par la crise sanitaire, la déflagration est si intense qu’il n’est clairement pas possible d’imaginer qu’ils s’en sortent sans heurts. « En revanche, un des enseignements pour les différents donneurs d’ordres et les entreprises sera sûrement la capacité à avoir pris les bonnes décisions rapidement. Sur cet aspect-là l’automobile et l’aéronautique sont un peu plus avancées en termes de plan de continuité d’activité, mais également de visibilité et de maîtrise de leur supply chain, avec une vision de leur chaîne aval et amont jusqu’aux sous-traitants de rang 1, voire de rang 2 qui leur permet d’identifier les défaillances et de prendre des décisions économiquement plus pertinentes », explique le manager chez Kyu Associés, Xavier Roussel, prenant comme exemple dans l'automobile les cas de Renault, PSA, Fiat Chrysler…, qui ferment leur site pour préserver leurs salariés, mais également anticiper des ruptures d’approvisionnement qui conduiraient de toute façon leurs entreprises à ne plus être en mesure de produire. « Donc le fait d’avoir un minimum de capacité, mais également d’anticipation et de visibilité leur permet de prendre la bonne décision un peu en avance par rapport à ceux qui seraient moins bien préparés », indique-t-il.
Faire tourner les modèles de planification différemment
Concernant la grande distribution, son nombre de fournisseurs très important accroit d’autant plus ses problématiques. La situation s’avère néanmoins différente de par sa position stratégique assurant la continuité économique vitale du pays liée la distribution alimentaire. « Les acteurs de la grande distribution ont des plans de continuité d’activité qui leur permettent de fonctionner avec un niveau de ressources réduit, poursuit Xavier Roussel. Donc une continuité se met en place, de fait, et qui va être probablement organisée de manière régalienne s’il y a un défaut d’approvisionnement ». Pour eux, le défi est de poursuivre leur fonctionnement malgré les menaces de contamination et donc imposer la mise en place des dispositions sanitaires pour pourvoir travailler dans les surfaces de vente et les plateformes logistiques de manière sécurisée, tout en étant capables de réagir face à une demande qui devient irrationnelle. « Il y a en général trois phases face à ce genre de crise : l'hystérie, avec une consommation qui explose amenant potentiellement à utiliser les stocks arrière sur les plateformes avec une capacité à réapprovisionner les rayons pour faire face à cette augmentation ». Deuxième stade, une fois cette étape normalisé : un rééquilibrage de la consommation avant d'atteindre la troisième phase phase qui appelle à de nouveaux profils de consommation « car il y a des usages qui peuvent potentiellement avoir évolué du fait de la crise, et des pénuries qui font que l’offre n'est plus tout à fait la même ». Face à cette situation, la grande distribution doit relever un nouveau défi : être capable de mettre à la poubelle tous ses modèles de prévision usuels, assez bien rôdés en règle générale, car toutes les bases historiques sont aujourd'hui faussées. « Il faut faire tourner les modèles de planification différemment, et en boucles encore plus rapides pour disposer d'un minimum d’anticipation permettant d’assurer la disponibilité », conclut Xavier Roussel.