Innovation
Data Food Consortium : créer un langage commun pour les circuits courts
Lancé en 2017, le projet Data Food Consortium œuvre à la création d’un langage numérique commun pour faciliter le développement des circuits courts. Un travail qui porte aujourd’hui sur la question logistique, clé de voûte de l’optimisation de ces flux de proximité.
Pour collaborer, il est heureux de savoir parler la même langue. Mais dans le monde de la logistique et du transport, cela passe nécessairement par la mise au point de standards, autour d’un langage numérique qui permettrait l’interopérabilité, la mutualisation et la communication entre acteurs. Et c’est justement sur ce sujet complexe que planche depuis maintenant près de cinq ans le collectif Data Food Consortium. Réunissant de nombreux acteurs professionnels et des chercheurs pour travailler sur un standard commun et ouvert, tourné vers les circuits courts et de proximité, il vise à favoriser leur développement tout en optimisant leurs flux logistiques. De quoi offrir un changement d’échelle à ces flux aujourd’hui très regardés par les collectivités territoriales.
Définir les réalités des métiers des circuits courts
Le projet a vu le jour par le biais d’une autre organisation, l’association Open Food France qui avait constaté, dès 2016, en essayant de mettre en place des coopérations entre plateformes de ventes pour les circuits courts, le problème du manque d’interopérabilité. « Cela représentait une vraie barrière pour les producteurs qui devaient faire des saisies multiples, réconcilier les données d’une plateforme à l’autre. La donnée ne circulant pas, il était difficile d’imaginer des synergies, et principalement sous un angle logistique. Résultat, les producteurs organisent leurs flux chacun de leurs côtés, avec des camionnettes à moitié vides, et ce que cela implique aussi bien d’un point de vue de coûts, de temps et d’impacts environnementaux », explique Clémentine Triballeau, chargée de la coordination et de l’animation de ce projet au sein de Data Food Consortium. Rapidement, Open Food France réunit donc un certains nombres d’acteurs pour échanger sur ce sujet, parmi lesquels La Ruche Qui Dit Oui ou Socleo, et décide de lancer dans la foulée le projet Data Food Consortium en 2017. Incubé depuis au sein d’Open Food France, il bénéficie d’équipes distinctes et vise d’ailleurs à se définir prochainement en tant que structure totalement indépendante.
L’objectif pour Data Food Consortium ? Rassembler différents acteurs dans un esprit de « coopétition » (« ce sont des concurrents, mais qui vont réfléchir de manière coopérative ») pour définir un standard. « Il s’agit de trouver une sémantique pour décrire les réalités de ces métiers. Concevoir les bonnes terminologies pour décrire les process, convenir de la façon dont les produits sont définis (selon leur nature, les impératifs de transport, etc)... », détaille Clémentine Triballeau. Un langage bien particulier, ne pouvant pas être un simple copier-coller des standards des circuits longs, car les flux de proximité doivent face à des problématiques spécifiques, et ne peuvent appliquer les contraintes de certains standards déjà existants, adaptés aux industries et non pas à de petits acteurs.
Optimiser les flux logistiques
Pour réaliser la preuve de concept de ce langage commun, Data Food Consortium a développé un prototype pour répondre à des cas d’usage précis, baptisé MonCatalog. « Grâce à lui, nous pouvons mettre en commun des catalogues de produit. Il est possible de modifier ou supprimer un produit dans une plateforme par exemple, et que cela soit mis à jour automatiquement dans les autres plateformes via le langage commun ». Un travail parallèle fructueux, les retours terrain pouvant ainsi nourrir le travail de conception du standard. « Nous travaillons maintenant sur les étapes suivantes du prototype, et en tête la gestion des commandes sur différentes plateformes, l'objectif étant qu’un producteur qui vend sur plusieurs d'entre elles puisse avoir une vision transversale sur ses ventes, afin de pouvoir organiser ensuite une mutualisation logistique. Car une fois toutes les informations mises en commun, on peut trouver des compatibilités entre producteurs », explique Clémentine Triballeau. Pour cela, Data Food Consortium a donc ouvert le dialogue avec des acteurs de la logistique et du transport pour les circuits courts, en avril 2021, tels que La Charrette ou le Chemin des Mûres. « Nous sommes en train de définir actuellement les contraintes et les besoins pour ce type de mutualisations : une proximité géographique, des besoins similaires en termes de transports (camions réfrigérés par exemple), des expéditions organisées sur le même jour de la semaine... Il faut que notre langage soit adapté à la logistique, en y ajoutant des informations et critères qui sont importants pour le transport. Nous avons formé un groupe de travail pour réfléchir à des cas d’usage concrets », raconte Clémentine Triballeau.
Une vision sur l'ensemble des commandes et des flux logistiques
L’idée est ainsi de pouvoir optimiser ces flux logistiques des circuits courts, qui pêchent encore aujourd’hui par un manque d’optimisation, comparés à des circuits longs beaucoup plus performants en matière d’empreinte environnementale. « Il y a une convergence des acteurs sur le sujet. La crise sanitaire a fait évoluer les comportements et les consciences, et les circuits courts alimentaires ont le vent en poupe chez les consommateurs. Mais ce qui bloque aujourd'hui leur développement et empêche le changement d’échelle, c’est la logistique. Nous cherchons donc à résoudre ce problème, en commençant par faire circuler la donnée ». Avec l’objectif de pouvoir mettre en place rapidement de premières tournées communes. « Le modèle est encore à définir, mais il faudra peut-être aller par la mise en place de tournées pérennes et fixes auxquelles les producteurs pourrait faire appel selon leurs commandes », note Clémentine Triballeau.
Data Food Consortium poursuit donc son travail aujourd’hui, afin de faire la preuve que son langage est facilitateur de mutualisations logistiques, avec, par exemple, des études d’impacts pour chiffrer les bénéfices économiques et environnementaux permis par ce type de collaboration. Le projet compte également sur l’adoption et l’intégration de son langage dans les logiciels des acteurs du secteur, ce qui nécessitera un travail d’échanges pour convaincre de sa pertinence.