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Circuits courts de proximité : une logistique qui reste à écrire

Face à ses particularités et à la diversité de ses acteurs, quelle logistique est à construire pour permettre le développement des circuits courts de proximité ? Une problématique dont s'emparent de nouveaux acteurs ainsi que la recherche, entre innovations pour permettre enfin la mutualisation et volonté d'expérimenter pour être au diapason de cette consommation plus locale et responsable.

Publié le 6 janvier 2022 - 09h30

Acheter des produits alimentaires à des producteurs situés à seulement quelques dizaines ou centaines de kilomètres de chez soi plutôt qu’à l’autre bout du monde : une certaine façon de consommer, au diapason des aspirations d'un nombre croissant de Français, qui passe par la mise en place de circuits courts et de proximité. Mais encore faut-il que ces flux locaux puissent s’organiser via une logistique performante et optimisée, point crucial pour leur développement. Or, si celle-ci est parfois évoquée avec intérêt, elle reste de manière générale peu développée en matière de solutions dédiées, et peu traitée dans le monde de la recherche, aussi bien du côté des chercheurs en logistique, principalement focalisés sur l’étude des circuits longs, que du côté des agronomes, peu versés sur ces domaines logistiques. « Pendant longtemps, on a vu les circuits courts comme un marché de niche, un micro-business avec des flux faibles. Mais cela est en train d’évoluer lentement. Depuis deux ans, on voit une appétence un peu plus forte des chercheurs en logistique sur cette question, avec des laboratoires qui se penchent sur ces thématiques », raconte Amélie Gonçalves, ingénieure de recherche à l’Inrae [Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement]. Plusieurs facteurs expliquent cette attention : un intérêt plus fort de la part des citoyens sur la provenance des produits alimentaires qu’ils consomment au quotidien, une crise sanitaire qui a mis en lumière les questions de sécurité alimentaire et de pérennité des approvisionnements, ainsi qu’une prise de conscience chez les professionnels de l’absence de travaux spécifiques dédiés aux flux de cette logistique. « Apporter le bon produit, au bon moment et au bon endroit à des coûts raisonnables est une problématique des circuits de proximité autant que des acteurs des circuits longs », résume Amélie Gonçalves. « L’évolution du marché va motiver cette chaîne logistique très particulière à améliorer son efficience et son optimisation », confirme de son côté Romain Lambert, ingénieur de recherche à l’EM Normandie Business School.

 

S'adapter aux particularités des circuits courts

Car si elle semble libérée des contraintes de longues distances ou de larges volumes, la logistique des circuits courts ne peut pas se contenter de répliquer les recettes des circuits longs : « Il est beaucoup plus complexe d’envisager les leviers classiques d’amélioration de la performance, à savoir la massification et l’optimisation des processus de travail, pour les circuits de proximité », note Amélie Gonçalves. Cela s’explique par la diversité des organisations : en premier lieu, un nombre important d’agriculteurs avec des flux BtoC directement vers le consommateur ou en BtoB/demi-gros vers des cantines scolaires ou des commerces, avec des besoins qui ne sont donc pas toujours les mêmes. À cela s’ajoutent des acteurs de la vente pas forcément groupés, sur des territoires variés qui peuvent aller du rural à l’urbain. Et plus globalement, l’aspect « humain » de ces circuits courts peut freiner son développement : un producteur qui livre ses produits lui-même va aller à la rencontre du consommateur, un lien direct que l’externalisation logistique peut rompre, ce qui explique certaines réticences à se lancer dans de tels projets, aussi bien du côté des agriculteurs que de certains commerçants ou restaurateurs.

 

Nécessité donc de penser à d’autres solutions, développées autour des spécificités des circuits courts : « À mesure que les circuits de proximité se développent, ils attirent l’attention de consommateurs aux profils plus classiques, qui ont des exigences en matière de disponibilité des produits, et veulent des commandes aisément récupérables, avec des systèmes de casiers par exemple. Mais ils n’ont pas forcément conscience de ce que ces attentes engendrent d’un point de vue logistique », estime Amélie Gonçalves. « De plus, les gens qui consomment des produits issus de circuits courts ont souvent des attentes importantes sur les questions de durabilité, mais ils questionnent assez peu sa véracité, partant du principe qu’un achat local est forcément durable, ce qui n’est pas toujours le cas ». D’où un décalage parfois entre l’image de ces circuits courts et la réalité du terrain : « Aujourd’hui, ces flux sont beaucoup moins efficients que les circuits longs, d’un point de vue économique, mais aussi écologique, avec des taux de remplissage des véhicules parfois désastreux, de nombreux retours à vide, des émissions à la tonne plus élevées que sur certains circuits longs. Face à des évaluations objectives des émissions de CO2, on voit que les circuits de proximité sont parfois moins verts que leur image laisse paraître », assure Romain Lambert.

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© atlascompany

Objectif massification et optimisation logistique

Pourtant, la massification et l’optimisation sont possibles, aussi bien pour des flux BtoB que du BtoC passant par des plateformes de vente, avec la structuration de tournées de collecte et de distribution. Cela se fait d’ailleurs déjà pour certains circuits de la restauration collective, qui a des besoins en volume assez importants. « Par exemple avec des partenariats, passant soit par l'externalisation via des prestataires, soit en gestion par les agriculteurs eux-mêmes qui vont monter leurs propres structures », note Amélie Gonçalves. Reste à convaincre encore une majorité de producteurs agricoles, qui craignent les coûts financiers d'un transporteur (considérés comme trop élevés par rapport à l'idée de faire eux-mêmes les livraisons de leurs produits) et qui ont une demande forte de transparence et de confiance face aux intermédiaires logistiques. « Il y a une volonté de garder le contrôle sur la distribution, pas comme en grande surface. Pourtant, en s’organisant, cela pourrait leur permettre d’atteindre d’autres marchés », remarque Amélie Gonçalves. « En gérant lui-même ses livraisons, l’agriculteur n’a pas à payer un transporteur, mais ce sont des coûts masqués et de nombreuses heures qui pourraient être optimisées en étant prestées. Le problème, c’est que l’offre aujourd’hui n’est pas encore totalement là, car les process des grands acteurs ne sont pas toujours adaptés aux besoins des circuits de proximités. Il faudra donc que chacun fasse des pas vers l’autre : l’agriculteur doit comprendre les exigences organisationnelles du prestataire, et le logisticien prendre en compte les contraintes spécifiques du secteur agricole. Mais tout cela est faisable, et une industrialisation est possible », juge de son côté Romain Lambert.

 

De nouveaux acteurs entrent en scène

Progressivement, les choses bougent, en particulier grâce à l’arrivée de nouveaux acteurs logistiques adressant spécifiquement ses besoins. « On voit un foisonnement de start-ups et d’initiatives qui se développent sur ce sujet-là. Certains proposent des outils numériques qui facilitent la mutualisation du transport et l’organisation de tournées entre agriculteurs. D’autres proposent de faire de la mise en relation avec des transporteurs. C’est tout un écosystème qui émerge, avec des solutions ad hoc », raconte Amélie Gonçalves, évoquant par exemple les solutions de Socleo, ou de Data Food Consortium. Romain Lambert souligne lui le travail mené en Bretagne par la jeune pousse Valoha, qui propose des prestations de transport de la fourche à la fourchette, pour de la distribution de proximité. Cependant, ces différents projets mettent aujourd'hui la logistique des circuits de proximité à la croisée des chemins. D’un côté, certains flux bien définis, dans le monde du BtoB, pourront effectivement rapidement bénéficier des atouts de la massification dans les années à venir. Mais de l’autre, des flux plus ruraux ou tournés vers le BtoC vont sans doute nécessiter d’imaginer de nouveaux modèles, et les années qui viennent seront donc une période d’expérimentations sur le terrain. « C’est l’occasion de questionner aussi cette notion de massification qui n’est pas forcément voulue par tous les acteurs de proximités, et vers laquelle certains territoires ne peuvent pas aller. Au fur et à mesure que les réseaux de proximité se développent, on a tendance à reproduire des schémas de la grande distribution. Il serait judicieux de s’interroger sur des modes de distribution différents, et peut-être de repenser notre rôle en tant que consommateur. Doit-on tendre vers des chaînes courtes très tirées par la demande de l’aval, ou plutôt modifier nos pratiques de consommation et mieux comprendre les contraintes des producteurs ? Ces questions mériteraient d’être posées », juge Amélie Gonçalves.

 

Créer une communauté

Si l’ouverture à la collaboration des acteurs du monde des circuits de proximité est réelle, il reste encore une communauté à développer et des connaissances à apporter sur ces sujets. Romain Lambert évoque ainsi les travaux menés par le projet FuMa (Futur de la Marchandise) qui réunit une dizaine d’établissements et de laboratoires normands de l’enseignement supérieur : « Nous sommes un regroupement de chercheurs qui travaille sur les besoins des circuits courts. Pour nous, il s’agit de trouver la façon de les intégrer aux circuits conventionnels pour profiter d’effets de masse, d’économies d’échelle et parvenir à avoir des circuits de proximité plus efficients ». Le développement de la connaissance du monde logistique doit aussi passer par la mise en place de formations dédiées, estime Amélie Gonçalves : « Il faut lutter contre l’éclatement des initiatives, en mettant plus de choses en commun entre responsables de formation. Et il y a aussi un travail à faire du côté des collectivités territoriales, qui n’ont pas toujours des connaissances sur ces questions logistiques. L’enjeu est donc de structurer une communauté globale pour échanger, voir ce que font les uns et les autres, et envisager des solutions qui soient adaptées à leur configuration territoriale ». La chercheuse souligne également l’intérêt de sortir des frontières de l'Hexagone, pour se nourrir d’initiatives menées dans d’autres pays autour de ces enjeux.

 

 

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