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Quelles stratégies pour un meilleur pilotage des approvisionnements ?
La crise sanitaire et le conflit russo-ukrainien ont conduit les entreprises à une approche différente sur la gestion de leurs approvisionnements. Diversification des zones de sourcing, accentuation de la relation avec leurs fournisseurs et recherche accrue de visibilité accompagnent désormais leurs démarches, aidées par la digitalisation de leurs process.
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« Depuis ce fameux mois de mars 2020, nous avons observé un dérèglement des chaînes d’approvisionnement à deux niveaux : à la fois sur la capacité des fournisseurs à produire et à honorer les commandes en termes de quantité et de date mais aussi sur l’ensemble de la chaîne de transport qui a été très perturbée, commente Jérôme Bour, PDG de DDS Logistics, éditeur de logiciels, spécialiste des solutions digitales de gestion du transport, et de global sourcing & import. Beaucoup de nos clients avaient bâti des organisations très efficaces mais très figées avec une concentration de l’approvisionnement sur un nombre limité de fournisseurs ». La covid passant par là, les schémas organisationnels volent en éclat : la plupart des entreprises intègrent alors cette notion de résilience sur leurs approvisionnements, comprenant la grande vulnérabilité induite par des schémas trop contraints.
Digitaliser pour mieux gérer ses approvisionnements
Chez l’éditeur Belharra Numérique, qui adresse les besoins de la filière mode et textile en matière d’approvisionnement et de traçabilité avec la plateforme e-SCM, la problématique du transport s’est fait prégnante lors de survenue de la pandémie : « En mars 2020, quand tout s’est arrêté, les entreprises ont commencé par arrêter d’acheter et quand les choses se sont remises en place petit à petit, il a fallu repenser l’ensemble des activités pour acheminer les marchandises. Nos clients ont alors fait face à une véritable problématique de capacité de transport. Beaucoup travaillaient jusqu’alors manuellement et avaient besoin de s’équiper d’un outil digital, cet événement a été un déclencheur », décrit Pascal Saint-Pierre, manager business development au sein de l’entreprise. Pour faire face à ces perturbations sur la supply chain, l’utilité des solutions digitalisées est ainsi devenue indiscutable. Une problématique que connaît bien l’éditeur, fondé il y a 15 ans, qui se destinait au départ aux acteurs du surfwear au Pays Basque : « Ceux-ci ont connu une forte croissance de leur activité il y a une quinzaine d’années et ont dû s’équiper car ils rencontraient les mêmes problématiques que nos clients aujourd’hui : pas de visibilité sur la réception des produits à date, pas d’anticipation des besoins tant physiques (entrepôt) qu’humains (pour absorber les flux). Ils ne savaient pas si les commandes étaient passées ou pas, à qui, faisaient face à des quantités erratiques lors la réception des produits, et à des niveaux de qualité insuffisamment contrôlées à temps… ». Pour le groupe CWF, spécialiste du marché du prêt-à-porter enfant assurant la conception des collections jusqu’à leur distribution internationale, se doter de la solution de gestion des approvisionnements de Belharra Numérique avant la crise sanitaire aura été salutaire : « Avec les aléas survenus en 2020-2021, nous aurions expérimenté beaucoup plus d’impacts sur la performance de l’entreprise si nous ne nous étions pas appuyés sur cet outil qui nous a aidés à y voir clair au quotidien », déclare Jérôme Boisseau, responsable pôle études et projets IT du groupe.
Changement de stratégie vers plus de collaboration
Avec la covid puis le conflit russo-ukrainien, la compréhension du risque géographique amène à un changement de stratégie de la part des entreprises « avec la volonté de certains clients de diversifier leur sourcing en termes de fournisseurs mais aussi de zones », observe le CEO de DDS. Avec sa solutions DDS Sourcing pour l’optimisation des achats internationaux et le portail SaaS collaboratif dédié aux approvisionnements Fluid-E, DDS entend répondre à ces problématiques : « DDS Sourcing est en mesure d’apporter beaucoup de réponses face à la volonté de diversifier les zones de sourcing. Notre solution intègre cette capacité à simuler les coûts complets et à comparer les alternatives de fournisseurs sur des pays différents. Il s’agit d’un point important pour un certain nombre de nos clients qui souhaitent réduire les risques en venant sourcer d’autres zones. Cet outil donne le moyen de prendre la bonne décision en proposant une simulation et propose donc une vision exhaustive de l’ensemble des facteurs venus impacter les coûts complets ». Deuxième action mise en place pour une meilleure gestion des approvisionnements : intensifier la collaboration avec ses fournisseurs : « Maintenant que nos clients ont compris que les perturbations étaient devenues la norme, l’enjeu est de recueillir l’information au plus tôt auprès des fournisseurs sur leur capacité à produire les quantités demandées dans les délais attendus », décrit Jérôme Bour.
Chez Belharra Numérique Pascal Saint-Pierre évoque, avec l’utilisation de sa solution e-SCM, la notion de « partenariat » avec son fournisseur : « Il s’agit d’une démarche volontaire de la marque qui met à disposition de celui-ci un outil aidant à la bonne réalisation de la commande en donnant de la visibilité, et en privilégiant les échanges au sein de la même plateforme où l’on va pouvoir s’accorder sur des aléas que l’on peut rencontrer pendant un cycle de production. Une démarche qui a pour vertu de donner plus de transparence aux différents acteurs », illustre Pascal Saint-Pierre. Cette exacerbation du lien doit permettre de disposer d’une visibilité sur les étapes de production avant le transport pour s’assurer que les délais seront bien respectés. Des enjeux devenus prédominants alors qu’ils n’étaient pas d’actualité il y a encore trois ans, à l’heure des taux de service « on time in full » avec des livraisons à temps dans les quantités demandées, dans la plupart des cas. « Les fournisseurs ont été eux-mêmes soumis en cascade à des perturbations et se sont retrouvés avec des taux de service qui se sont effondrés. Cela a mis en exergue l’intérêt de solutions permettant de collaborer en amont. Sur tout ce processus d’approvisionnement auprès de fournisseurs lointains, certains clients mettent en place un échange collaboratif afin de s’assurer de leur capacité à produire dans les temps avant que la commande soit émise. Lorsque les commandes sont passées, l’intérêt des outils collaboratifs est d’associer le fournisseur lors des différentes phases et de poser avec lui des jalons sur l’avancement de la production afin d'anticiper les retards qui peuvent se produire ».
La visibilité, élément central
Une visibilité pour le donneur d'ordres qu’il s’agit également d’apporter au fournisseur en lui permettant de disposer de prévisions de commandes ou d’informations sur les niveaux de stocks : « On observe un regain d’intérêt pour cette logique de visibilité partagée des niveaux de stock pour permettre aux fournisseurs d’anticiper le besoin et de pouvoir planifier au mieux leur production », poursuit Jérôme Bour. Qu’elle concerne la production, le stockage ou le transport, la visibilité est bien devenue l’élément central d’une gestion optimisée des chaînes d’approvisionnement. « Et si on pouvait observer dans certains secteurs une réticence à partager cette information, l’état d’esprit a changé étant donné les perturbations et les difficultés d’approvisionnements qui ont été expérimentées ». Une visibilité qui se retrouve dans la nécessité de traçabilité. Sur cet aspect, l’éditeur Belharra s’interroge sur la mise en application de la loi Agec (« Loi anti gaspillage pour une économie circulaire » qui décrète notamment d’un dispositif d’affichage sur les vêtements : origines géographiques, caractéristiques environnementales du produit…) : « Cette loi va demander de travailler plus en profondeur sur certaines parties du processus : aujourd’hui, c’est déjà le cas sur les fournisseurs de rang 1, et on a de l’information sur le rang 2 mais demain, la volonté sera peut-être de décomposer toujours plus cette chaîne d’approvisionnement jusqu’au champ de coton. Cela va requérir des changements d’organisation et d’engagements de la part des fournisseurs auprès de leurs donneurs d’ordres à qui on va demander plus d’informations », indique Pascal Saint-Pierre. Belharra avait anticipé la loi Agec et dès le mois de septembre 2022, des QR codes ont été apposés sur les produits lors de leur processus de fabrication : « Début janvier, en boutique on a pu consulter sur toutes nos marques d’où est issu le produit, s’il est constitué de polymère, de matières recyclées… », décrit-il.
RMAN Sync s’appuie sur l’IA pour améliorer la gestion fournisseurs
Pour gérer les ressources (achats, supply chain) et la relation fournisseurs, la start-up fondée en 2019, RMAN Sync, a cherché à aller au-delà d’un SRM (Supplier Relationship Management/gestion de relation fournisseurs) traditionnel : elle propose un SRM collaboratif basé sur une technologie de deep learning, un cran au-dessus du machine learning, avec des algorithmes auto-apprenants, venus s’auto-évaluer et vérifier leur efficacité entre eux. « Les entreprises disposent de données qu’elles n’exploitent pas forcément. Finalement, ces outils d’IA permettent de faire des corrélations qu’elles n’auraient pas imaginées », stipule Jean-Marc Joyeux, responsable marketing de RMAN Sync. En plus de contribuer à un suivi et à une amélioration la performance fournisseur, l’outil va être en mesure d’offrir des fonctionnalités de prévision des ventes, d’optimisation des approvisionnements ou encore de suivi et de réduction de l'impact carbone. « Un SRM traditionnel va proposer des comptes-rendus mais pas d’information quantitative or il est important de disposer d’un système prévisionnel. Nous avons donc ajouté à notre solution une brique qui vient encadrer la solution sur la prévision des ventes et des approvisionnements et qui indique comment va se passer l’approvisionnement par rapport aux achats prévus. Nous gérons donc le prévisionnel et l’approvisionnement en temps réel, du contrat physique jusqu’au camion ou au bateau qui emmène la marchandise dans un entrepôt. Nous remontons toute la chaîne en nous inscrivant dans une dimension S&OP de la gouvernance des entreprises », décrit Marc Malmaison, CEO et co-fondateur de la start-up RMAN Sync. Pour la société, la visibilité apportée à la supply chain passe également par des éléments extérieurs exploités grâce au Deep Learning, à l’instar de la météo et de ses impacts sur les approvisionnements. « En l’intégrant, on va améliorer a minima de 5 % les prévisions de vente, comparé à d’autres outils du marché, et nous pouvons aller jusqu’à 50 %, déclare Marc Malmaison. Par exemple, si dans les 15 prochains jours, il va faire très chaud, le marchand de glace a besoin de le savoir car il vendra plus et va donc davantage s’approvisionner en lait, en vanille, etc. Et inversement, s’il fait plus froid, notre solution va lui préconiser d’acheter moins ». La start-up travaille dorénavant à creuser ses capacités de prévision sur le coût des ressources de matières premières.
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