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Pourquoi faut-il plus d’espaces logistiques urbains ?

Jérôme Libeskind, créateur du bureau d'études Logicités, se questionne sur les nouveaux modèles qui permettront de reconstruire une infrastructure de logistique urbaine durable et apaisée.

Publié le 28 février 2023 - 10h00
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Adobe Stock | hisa-nishiya

Les raisons qui justifient de s’intéresser à la logistique urbaine sont bien connues. La livraison des marchandises participe à la congestion urbaine, aux émissions de gaz à effet de serre et de polluants locaux, au bruit. Les villes, et en particulier les centres villes, sont des espaces convoités que les habitants, au travers de leurs élus, souhaitent apaiser. Cet apaisement passe par une réduction des externalités négatives, par un meilleur partage de l’espace public au profit des piétons, des cyclistes et des commerces.

 

Si cet état des lieux s’arrêtait là, les choses seraient assez simples. Mais la réalité est un peu différente. Les flux de livraison urbaine ne sont pas constants. Ils évoluent en particulier en fonction de la consommation. Et les tendances constatées ne font qu’amplifier les effets déjà mentionnés. L’évolution de la consommation, et notamment le e-commerce, se traduit sur un plan logistique par une fragmentation accrue des livraisons et en conséquence, par davantage de véhicules dans les villes, d’arrêts pour livrer toujours plus de colis, de repas, de courses alimentaires à des consommateurs, de façon individuelle.

 

Alors que faire pour apporter une solution pérenne permettant à la fois de répondre aux aspirations des consommateurs, mais aussi à celles des citoyens ?

 

 

Le commerce : un espace logistique oublié

 

Ce constat nous amène à comparer le fonctionnement logistique d’un point de vente physique avec celui du e-commerce, tel qu’il est le plus souvent pratiqué. Un point de vente physique est approvisionné en fonction de son métier et de ses contraintes, le plus souvent de façon consolidée. Les enseignes de magasin ont pour la plupart mis en place depuis des années des organisations supply chain avec des stocks centralisés. C’est donc un outil de consolidation des flux et un niveau à intégrer dans la hiérarchie des espaces logistiques en milieu urbain. En effet, par la mise en place progressive de l’omnicanal, le point de vente reçoit ses propres marchandises, mais reçoit aussi des commandes de click & collect. De plus en plus souvent, il a une fonction de stock de proximité afin de livrer les consommateurs dans un quartier ou de réapprovisionner un produit en rupture de stock dans un autre magasin de l’enseigne.


Certains commerces, de plus en plus nombreux, accueillent des flux parallèles, comme une activité de points relais, une consigne de retrait de colis ou des dépôts de paniers en circuit court. A contrario, l’e-commerce est encore, pour sa plus grande part, fondé sur un modèle de colis livrés individuellement à chaque consommateur. À ces livraisons s’ajoutent des flux supplémentaires liés à une double présentation en cas d’absence du consommateur ou aux retours.

 

Si le commerce physique souffre dans les centres-villes (et d’ailleurs aussi en périphérie), ce n’est donc pas du fait du e-commerce, mais du fait de la façon avec laquelle l'e-commerce est pratiqué. Le rôle d’espace logistique que peut jouer le point de vente modifie sa fonction mais lui permet aussi de jouer un rôle de consolidation des flux, qui se traduit par un effet positif sur le plan de la gestion des flux et de leur impact sur la ville.

 

 

Le desserrement logistique : un mal qui en cache un autre

 

Avant de savoir de quoi l’avenir sera fait, il est utile de faire un pas en arrière, même très loin dans l’histoire. Les villes ont pour la plupart été créées au bord des fleuves, souvent pour en faciliter l’approvisionnement. Puis, au 17e siècle, les canaux ont été percés avec comme objectif de faciliter l’acheminement des marchandises. Les routes ont ensuite été créées ainsi que, un peu plus tard, les réseaux de chemin de fer. Là aussi, les principales gares avaient comme raison d’être l’approvisionnement des villes. Ces réseaux de transport étaient complétés par des infrastructures immobilières permettant de recevoir ces marchandises, de les stocker et de les redistribuer, en fonction des besoins, vers les activités économiques et les habitants. Au fil des années, ce réseau d’approvisionnement s’est désagrégé. Les moyens de transport de marchandises par voie ferrée ou fluviale pour l’approvisionnement des villes se sont limités à certains produits pondéreux. Les entrepôts, docks et autres plateformes multimodales, ou tout simplement les entrepôts de grossistes localisés dans le tissu urbain se sont repositionnés, dans des locaux souvent plus modernes, mais plus loin des villes. C’est le phénomène de desserrement logistique, qui s’est souvent développé en parallèle de l’étalement des métropoles, à un rythme d’ailleurs plus important encore.

 

La conséquence est assez simple. La ville a perdu un réseau d’infrastructures dans le milieu urbain dense qui permettait de l’approvisionner avec des moyens de proximité. Logiquement, les distances d’approche entre le quai de groupage et la zone de livraison ont augmenté, réduisant alors la productivité de la livraison et augmentant la congestion urbaine. Mais le constat ne s’arrête pas là.

 

L’apaisement des centres-villes se traduit par des réglementations plus contraignantes et une volonté affichée de développer les modes doux : cyclologistique, livraison à pied dans les quartiers et véhicules électriques. Ces moyens de transport disposent souvent d’une moindre capacité que les véhicules thermiques et d’une autonomie réduite. L’infrastructure manquante, qui avait jusque-là comme effet de réduire la productivité, rend alors impossible cette transformation de la livraison urbaine. Les besoins multiples qui en découlent, auxquels s’ajoutent ceux liés à la transformation de la consommation, nécessitent alors de reconstituer un maillage d’espaces de différentes dimensions permettant de mettre en œuvre les solutions répondant à ces exigences.

 

 

Quelles solutions pour demain ?

 

Si les magasins peuvent jouer un rôle dans ce maillage, ils ne peuvent pas être les seuls. Les infrastructures à créer sont nécessairement de plusieurs ordres. Cette diversité d’espaces correspond à la multiplicité des filières de la logistique urbaine, mais aussi à la géographie des territoires urbains. De façon simplifiée, nous voyons apparaître trois niveaux différents.

 

Le premier niveau se situe autour des rocades urbaines. En région parisienne, il s’agit de l’A86. Ce secteur permet d’assurer une consolidation des flux en évitant de faire rentrer dans le cœur de ville une multiplicité de véhicules pas toujours bien optimisés. Ce sont les secteurs privilégiés pour la messagerie et les installations de stockage à vocation métropolitaine. Mais le coût du foncier et l’impact immobilier de ces installations imposera nécessairement de densifier les constructions et de construire sur plusieurs niveaux, comme dans de nombreuses villes asiatiques.

 

Un second niveau se situe dans les quartiers ou, pour les villes moyennes, près du cœur de ville. Ce sont ces espaces logistiques de proximité qui permettront d’assurer la livraison en vélo-cargo ou même à pied.

 

Notre hiérarchie serait bien incomplète si nous ne tenions pas compte de ce qui se passe encore plus près des immeubles, des habitants, des commerces. Ce sont là de multiples solutions d’hyper-proximité, comme les points relais, les consignes de retrait, les boîtes à colis ou les micro-hubs de quelques mètres carrés permettant d’assurer des fonctions utiles à une organisation optimale des flux.

Toute la difficulté est due au fait que ces espaces, notamment dans les grandes villes, sont souvent rares et convoités. C’est donc là que l’imagination des architectes, des urbanistes, mais aussi des pouvoirs publics, en facilitant l’évolution réglementaire des destinations des biens, peut aider à faire émerger des solutions nouvelles, adaptées à cette urgence logistique.

 

Si déconstruire la ville au travers de l’exclusion des activités logistiques a été assez rapide et simple, reconstruire une infrastructure de logistique urbaine nécessitera d’inventer de nouveaux modèles et de faire preuve de courage et d’initiative. C’est à ce prix que la ville sera demain plus apaisée, moins polluée et moins bruyante.

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'auteur

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Jérôme Libeskind est expert en logistique urbaine et e-commerce et l'auteur de plusieurs ouvrages sur la logistique urbaine dont « Si la logistique m’était contée », Editions FYP, 2021. Il a créé le bureau d’études Logicités (www.logicites.fr) spécialisé en logistique urbaine et e-commerce.

Sources documentaires :
▪️ « Si la logistique m’était contée, 12 histoires pour comprendre l’évolution du commerce et de la livraison », éditions FYP, 2021
▪️ « La logistique urbaine, les nouveaux modes de consommation et de livraison », éditions FYP, 2015

▪️ Rapport d’information du Sénat sur la logistique urbaine durable, mai 2022
▪️ Rapport de la mission Logistique urbaine durable, juin 2021

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