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Flux tendus : la fin d’un cycle

Pénurie de transport, difficulté de recrutement, pénibilité du travail de préparation de commandes, hausse des prix de l’énergie, augmentation des exigences clients, réduction des délais d’exécution, évolution des attentes des consommateurs et des attentes sociétales… Ces contraintes tendent les modèles logistiques actuels et pèsent sur tous les acteurs des chaînes logistiques : producteurs, industriels, distributeurs, prestataires logistiques… Or des modèles logistiques à bout de souffle ne permettront pas de relever les défis industriels qui attendent le territoire breton.

Publié le 15 mars 2023 - 09h00
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Image de wirestock sur Freepik

La position géographique de la Bretagne impose, sans doute plus qu’ailleurs, que les modèles logistiques soient les plus optimisés possibles. Certains ne sont aujourd’hui plus tenables, que ce soit en termes économique, environnemental mais aussi social. Il en va de la performance logistique des entreprises industrielles bretonnes et plus largement de leur performance économique, voire de la viabilité de certaines activités sur le territoire. Il est désormais indispensable pour les entreprises bretonnes d’optimiser leur organisation logistique pour construire des modèles pérennes et optimisés.
Report modal, massification, mutualisation, réduction des distances parcourues, conditionnement, optimisation des implantations logistiques… Les solutions existent et sont, par nature, collectives.
Pour construire ensemble des solutions logistiques qui permettent d’aller au-delà des organisations actuelles, le Cluster Bretagne Supply Chain propose, le 4 avril prochain à Brest (29), une journée dédiée à la nécessaire refonte des modèles logistiques.

 

À l’occasion de cet évènement régional, Bretagne Supply Chain a échangé avec Emmanuel Hamon, directeur Supply Chain & Achats chez SILL Entreprises [producteur de produits laitiers frais, nutrition et ingrédients, produits surgelés, jus et potages sous les marques Le Gall, Malo, Le Petit Basque, La Potagère notamment] et Olivier Sinquin, directeur général de la Sica Saint Pol de Léon [groupement de producteurs de légumes et d'horticulteurs distribués sous les marques Prince de Bretagne et Kerisnel notamment]. L’occasion d’évoquer avec eux les spécificités bretonnes et les leviers qui permettraient d’optimiser, collectivement, les chaînes logistiques.

 

« Le flux tendu nous amène dans une impasse »


Bretagne Supply Chain : Quelle est la situation actuelle de la supply chain bretonne ?


Olivier Sinquin : L’inflation, la guerre, la pandémie… Depuis trois ans, nous cumulons des facteurs que l’on n’avait pas connus depuis 35 ans (une génération). S’ajoute à cela la volonté d’une nouvelle souveraineté alimentaire. Cet effet ciseau inédit doit être une vraie opportunité collective.


Emmanuel Hamon : Les problématiques actuelles sont nombreuses : la pénurie de main-d’œuvre en logistique, les coûts du carburant, la nécessaire décarbonation, la prédominance anormale de la route face aux alternatives, le manque crucial d’infrastructures…


BSC : La période actuelle nécessite-t-elle de revoir les modèles logistiques ?


Emmanuel Hamon : Le flux tendu a nécessité du camion. Et maintenir une exigence de livraisons en flux tendus empêche les acteurs, que ce soient les chargeurs et les prestataires, de déployer des moyens alternatifs. Que ce soit pour faire du ferroviaire ou du maritime, ou plus simplement pour optimiser le remplissage des camions, nous avons besoin d’un peu plus de délais. Le flux tendu nous amène dans une impasse. Nous avons du mal à recruter et fidéliser des préparateurs de commandes. Nos transporteurs ont les mêmes difficultés concernant les conducteurs routiers. Et dans les plateformes de distribution, les réceptions prennent du temps parce qu’il manque des réceptionnaires. Or, dans le même temps, ce flux tendu nous oblige à préparer jusqu’à cinq commandes par semaine pour un même destinataire dans des délais trop courts qui limitent l’optimisation des chargements. Les camions circulent à moitié pleins, avec, en plus, une envolée du prix du carburant.
Sociétalement, nous sommes arrivés à la fin d’un cycle en parlant du flux tendu. Nous devons évoluer. Mais nous voulons le faire en collectif. Les clients, notamment la grande distribution car elle donne le tempo, doivent nous entendre sur l’aberration de faire du flux tendu cinq à six fois par semaine pour certains types de marchandises. Quand nous livrons un lot de yaourts six fois dans la semaine alors qu’il a été fabriqué le même jour, il n’y a pas plus de fraîcheur en linéaire ! Mais nous aurons préparé six fois la commande et mis six moyens de transport sur les routes. On dit qu’il faut décarboner le transport mais la première chose à faire, c’est de maximiser le remplissage des camions. Et pour ce faire, il faut un petit peu plus de temps pour nous permettre de mutualiser et massifier les expéditions.


Olivier Sinquin : Déjà que sur les produits frais, il y a une réflexion à avoir malgré les contraintes liées aux DLUO ou aux DLC, mais pour des produits stockables, cela n’a pas de sens. Le distributeur ne veut pas de stocks pour des raisons de trésorerie. Du coup, il le bascule sur son intermédiaire, qui lui-même le répercute sur le prestataire, qui lui-même le répercute sur le producteur. C’est toujours le maillon le plus fragile qui gère le stock de la filière aval. Et ça devient insupportable, car le maillon le plus en amont est souvent, en IAA (industries agroalimentaires), une exploitation agricole familiale... Chacun a son niveau devrait avoir un stock minimum par rapport à la gestion des flux. Aujourd’hui, nous sommes en flux ultra-tendus, du A pour A, du A pour B, du A pour C, quelle que soit la région en France, voire en Europe. Cela devient extrêmement tendu. En passant ne serait-ce que sur du A pour B, nous détendrions le flux entrant et le flux sortant de la région et nous pourrions utiliser des outils de substitution, que ce soit le maritime ou le ferroviaire, mieux optimiser nos emballages et taux de remplissage. Il y a un vrai enjeu pour une région comme la nôtre. Les gens du Nord, de Belgique ou de Hollande n’ont pas de problèmes de flux, parce que ce sont des flux traversants. En Bretagne, ce sont des flux rentrants et des flux sortants. Quand ils viennent charger à Brest, les conducteurs ne sont pas sortis de la Bretagne qu’ils doivent faire une pause. Il faut que l’on détende le flux pour passer sur des alternatives. Dans un schéma en A pour A ou en A pour B, c’est impossible. Je considère qu’aujourd’hui nous sommes arrivés dans un effet ciseau. Après le Covid et face à l’inflation, la souveraineté alimentaire est devenue une priorité. Mais le maillon le plus fragile (ou affaibli), c’est l’agriculture et l’agroalimentaire, qui souffrent énormément.  Si, collectivement, nous n’arrivons pas à faire ressurgir des éléments de flux qui nous permettent de faire venir en Bretagne des intrants et de l’emballage et d’en sortir des produits finis, ce sera problématique. Je rappelle que 3 Français sur 10 consomment breton et que la Bretagne ne consomme que 6 % de ce qu’elle produit… Et Paris produit 6 % de ce qu’il consomme… L’atout de l’agroalimentaire et de l’agriculture bretonne est sa diversification. Nous sommes capables de tout faire… Et en qualité. Cette diversité nous permet de charger les camions de tous types de matières.


« C’est ensemble que l’on doit réfléchir différemment. Et il y a des solutions. »


BSC : Si la solution est collective, comment faire bouger les lignes ?


Emmanuel Hamon : il faut favoriser la prise de conscience collective car nos enjeux sont communs. Nous devrons collectivement adapter nos pratiques pour prendre en compte le contexte sociétal et évoluer vers des modèles plus vertueux. Si l’on regarde le travail mené par nos voisins, le GIE des Chargeurs Pointe de Bretagne [qui a pour mission de concevoir, négocier et mettre en œuvre des solutions logistiques mutualisées pour les entreprises de Bretagne et de l’Ouest], leur limite est bien que seuls quelques clients ont modifié leurs pratiques. Il faut que le client accepte que les marchandises de deux ou trois chargeurs qui ne sont pas du même univers produit soient livrées en même temps. Le client doit être partie prenante dans ces projets.


Olivier Sinquin : Avec certains distributeurs, même proches, nous n’arrivons pas à faire du A pour B parce qu’il n’y a pas de prévisions et parce que les magasins ne remontent les commandes qu’à 10h. Si toute la filière anticipait une partie de ses achats, je suis sûr que cela fonctionnerait. Chacun doit prendre un peu du risque. C’est ensemble que l’on doit réfléchir différemment. Et il y a des solutions.

 

BSC : Outre la question du flux tendu, quels seraient les leviers pour développer le transport ferroviaire en Bretagne ?


Olivier Sinquin : Encore une fois, la gestion des flux est essentielle. Après, se posera la question des infrastructures. Un des problèmes du ferroviaire, c’est le manque de sillons de qualité. Il faut que l’opérateur historique remette en place de vrais corridors de transport ferroviaire et qu’il soit un peu plus agile. Cela nécessite aussi que les modes alternatifs soient compétitifs. Aujourd’hui, malheureusement, le ferroviaire n’est pas plus compétitif que le routier. Il faut aussi que l’administration nous aide : il faut un « plan Marshall » pour le maritime et le ferroviaire pour la Bretagne. C’est un vrai plan politique qui doit être mené. La région Bretagne s’y est engagée et c’est une excellente nouvelle pour le territoire que nous devons accompagner. 

 

 

Présentation des auteurs

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▪️ Emmanuel Hamon (à gauche) est directeur supply chain & achats chez SILL Entreprises, producteur de produits laitiers frais, nutrition et ingrédients, produits surgelés, jus et potages sous les marques Le Gall, Malo, Le Petit Basque, La Potagère notamment.

 

▪️ Olivier Sinquin (à droite) est directeur général de la Sica Saint Pol de Léon, groupement producteurs de légumes et d'horticulteurs distribués sous les marques Prince de Bretagne et Kerisnel notamment. 

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