Transversal
La supply chain pour changer le monde !
Une tribune de Yann de Feraudy, président de France Supply Chain by Aslog, le réseau réunissant les professionnels de la supply chain. Avec tous les secteurs représentés, cette association vise à accompagner les transformations de toute la chaine de valeur des entreprises et institutions françaises qui la composent.
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Par freshidea / Adobe Stock
Vraiment ?
C’est le cri de ralliement que nous nous sommes donné, à France Supply Chain, depuis 2020.
Si on considère un flux « bout en bout » depuis le sourcing fournisseur, jusqu’à la livraison (voire le retour) des produits aux clients finaux… Cela représente, en moyenne, 60 à 80 % de la structure de coûts des entreprises…
Si l’on considère le scope 3 des émissions de CO2, dans les industries de biens de consommation, ce fameux scope 3 représente plus de 80 % du bilan carbone de l’entreprise, dont environ 25 % pour les seuls transports…
Alors oui, si la supply chain ne change pas, si elle ne devient pas plus durable, les objectifs et engagements de nos gouvernements ne seront pas atteints.
Devant l’ampleur de la tâche et le rapprochement inexorable et rapide des échéances, comment ne pas se décourager ? Comment ne pas succomber à la tentation de l’inaction, tant les premiers pas semblent insignifiants au regard des enjeux ?
Il convient de :
- Revenir aux basiques : être « durable » concerne d’abord les femmes et les hommes qui travaillent dans nos opérations.
- Rester pragmatique : un pas dans la bonne direction, même petit, même imparfait, vaut mieux que le statu quo
- Se regrouper, collaborer, car souvent la solution réside hors du périmètre des contraintes d’une seule entreprise.
Bref, il faut d’abord être concret.
Les déclarations et engagements ronflants sont nombreux, mais pour se donner du cœur à l’ouvrage, il faut des réalisations et des résultats pratiques.
Revenir aux basiques
La démarche RSE concerne chaque personne qui travaille, comme dans nos entrepôts. Le Lab Supply Chain for Good (#SC4Good, « la supply chain des biens pour le Bien ») s’est rapidement saisi du thème des conditions de travail et de l’ergonomie au poste comme un des chantiers, concrets, à mettre en œuvre pour partager les « bonnes pratiques » au sein de l’association France Supply Chain.
Une trentaine d’entreprises se sont mobilisées pour publier dans un Toolbook (*) les solutions permettant de réduire la pénibilité en entrepôt.
Si certaines activités de manutention et de conduite dans l’entrepôt peuvent exposer les collaborateurs à des risques professionnels (notamment les TMS), il existe depuis plusieurs années de nouvelles solutions technologiques permettant de mieux objectiver les risques, mais aussi de les réduire : outils d’analyses ergonomiques par capteurs et par vidéo, la réalité virtuelle en conception et en formation ou encore les exosquelettes.
C’est en mettant en commun nos pratiques et nos expériences que nous pouvons accélérer l’adoption et la mise en œuvre de nouvelles solutions qui permettront d’améliorer, concrètement les conditions de travail.
Rester pragmatique
Au-delà de la responsabilité sociale et sociétale des entreprises envers leurs collaborateurs, les entreprises s’engagent massivement sur des trajectoires ambitieuses de baisse de leurs émissions de CO2. Compte tenu de la part significative du transport, en particulier pour le scope 3, le recours à l’hydrogène semble incontournable.
Surviennent alors des débats sur le caractère vert ou non de cet hydrogène. Or la mise en œuvre de l’hydrogène dans la supply chain, relève de trois défis :
(1) La production : soit à partir d’énergie renouvelable (barrage hydraulique, solaire, éolien…), on le dit alors « vert », soit à partir d’énergie nucléaire, on le dit alors « bleu » soit à partir d’énergie fossile, on le dit alors « gris », car il n’est pas décarboné.
(2) Le stockage : qui doit être très sécurisé.
(3) La distribution : il faudra disposer d’un réseau de « stations-services ». Ce défi est du reste commun à celui de la propulsion électrique, pour lequel il faudra en outre disposer de l’allocation de puissance dans une vision à l’échelle industrielle.
La montée à l’échelle industrielle de l’usage de l’hydrogène sera essentiellement un sujet d’infrastructure, surtout en France qui bénéficie d’un mix énergétique favorable à la production d’hydrogène « propre ».
Nous voyons son usage performant pour la moyenne et longue distance, en complément de véhicules électriques privilégiés sur les petites distances.
Se regrouper
Mais, le problème majeur pour entrer dans cette démarche est le coût : l’hydrogène est deux fois plus cher au kilomètre, les véhicules (par manque de débouché pour les constructeurs) sont jusqu’à six fois plus chers. De tels impacts coûts peuvent se révéler prohibitifs et il faut non seulement de solides convictions aux pionniers, mais aussi, à terme, une demande solvable susceptible de payer les surcoûts.
C’est pourquoi, nous préconisons la mise en place de binômes « Chargeurs – Transporteurs » (**) susceptibles de s’engager sur la commande de véhicules pour permettre à des constructeurs de lancer la production à l’échelle de véhicules gros porteurs.
La solution résidant, le plus souvent, en dehors du périmètre des contraintes, il est plus efficace de se regrouper pour faire bouger les lignes – à défaut de changer le monde ! -
C’est aussi pour cela que France Supply Chain a créé avec l’AUTF (Association des utilisateurs de transports et de fret) une co-association pour mettre en place des lignes maritimes régulières Europe – Amérique avec des porte-conteneurs utilisant la force vélique .(***)
Après un an d’existence, force est de constater que la coalition vélique ou SCLCMT (Shipper Coalition for a Low Carbon Maritime Transport) a remporté plus qu’un succès d’estime : grâce à l’engagement dans la durée des chargeurs participants, les bateaux pourront être mis en chantier, les lignes démarreront en 2025 (Le Havre - New York) et d’autres lignes sont à l’étude, à la demande des adhérents, pour l’Amérique du Sud et l’Asie.
Notre vision d’une supply chain « levier » pour changer le monde se matérialise donc en actions, tout en gardant les pieds sur terre et en faisant bouger les lignes grâce à des regroupements d’intérêts convergents qui débloquent les situations figées jusque-là.
Ces actions sont dans le droit fil du pragmatisme qui anime les supply chains managers : « améliorons, transformons ce que nous avons ».
Précisément, nous avons, au cours des années, perfectionné et optimisé un modèle de supply chain, vertical, descendant depuis les sources de matières premières jusqu’aux consommateurs en passant par la transformation industrielle. C’est ce modèle que nous cherchons à rendre plus vertueux, moins consommateur, plus « durable »…
Mais, dans un monde qui consomme plus de ressources naturelles que leur capacité à se renouveler, la question est moins de savoir si nous approchons de l’impasse que de savoir comment nous pourrions faire « autrement » et développer une économie et des supply chains circulaires qui nous permettront de subvenir à nos besoins, demain.
En fait, il est simplement impensable que l’économie de demain soit la même qu’aujourd’hui mais décarbonée.
Ce sujet est donc, bien que balbutiant, stratégique pour nos économies, nos métiers et nos entreprises. Il nous faut travailler dès à présent à la conception et au prototypage de nouveaux modèles de supply chains, circulaires ou autres, prenant en compte les limites de la Terre, notamment en matière de production.
C’est un impératif pour les décennies à venir et ce sera l’opportunité d’une prochaine tribune !
(*) Voir pour plus de détails, la présentation qui en sera faite à la SITL (le 28/03) lors de l’atelier « L’innovation au service des conditions de travail dans l’entrepôt ».
(**) Voir ici la conférence « L’hydrogène, atout pour la décarbonation du transport de marchandises – Coopération France Hydrogène & France Supply Chain » de la SITL (le 30/03)
(***) Voir ici la conférence « Transport maritime : comment les chargeurs collaborent pour décarboner leurs flux containeurs ? Coopération AUTF & France Supply Chain » à la SITL (le 29/03)