Entrepôts
Quelle place pour les AMR quand l’homme redevient indispensable dans l’entrepôt logistique
Qu’ils aident au transport de charges lourdes ou permettent d’accélérer la vitesse d’exécution des commandes, les robots mobiles autonomes (AMR) font désormais partie intégrante de la vie de l’entrepôt logistique. Mais, en France, l’adoption ou la révolution tant attendue, ne semble pas avoir eu lieu. Quand certains dénoncent les menaces pour l’emploi, d’autres évoquent une réponse aux nouveaux défis imposés par la montée du e-commerce. Dans une chronique pour Voxlog, Fabien Guerrero, directeur commercial de Körber, s’interroge sur les perspectives de l’AMR et la difficile conciliation entre homme et machine.
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AMR : définitions et usages
Dès lors qu’il est question de robots mobiles autonomes (AMR), très vite les discussions se cristallisent autour de la question d’un remplacement de l’homme par les machines. Si cette inquiétude est fondée, il convient de rappeler que si nous comparons les AMR à l’automatisation, nous arrivons vite à la conclusion qu’ils ont été conçus pour travailler avec l’homme et non le remplacer. Mais avant d’en venir à l’analyse de la place de l’homme dans l’entrepôt, il convient de définir les notions ou de s’interroger sur ce que sont les AMR.
Les autonomous mobile robots ou AMR, sont des robots ayant la capacité de se déplacer de façon autonome dans un environnement industriel. Il existe plusieurs types d’AMR selon les besoins métiers et la typologie d’entrepôt : les robots de picking de type goods to men, déplacent les articles du lieu de stockage à l’opérateur. Ils permettraient l’optimisation du temps de déplacement de l’opérateur d’environ 60%. Le co-bot (robot collaborateur), lui, va se déplacer dans l’entrepôt de façon autonome et se positionner à l’emplacement prévu, en attendant qu’un opérateur (personne physique) prenne le relais.
Le convoyage virtuel, quant à lui, conduit les charges d’un point A vers un point B, sans aucune intervention humaine. Ici, il s’agit purement et simplement de remplacer l’humain, non de réduire la pénibilité ou de réaffecter le temps rendu disponible à d’autres tâches dites plus valorisantes.
Si nous nous intéressons maintenant au paysage français de l’AMR, par comparaison à celui des États-Unis, où nous avons en mémoire l’image des entrepôts Amazon entièrement automatisés, plusieurs questions se posent : le « faible taux » d’équipement de nos entrepôts est-il conjoncturel, structurel, ou lié au coût d’acquisition des AMR ?
La France n’est-elle pas, encore une fois, en train de se réfugier derrière l’argument de l’exception française ? Les AMR sont-ils, plus qu’ailleurs, considérés comme une menace pour les emplois ? N’avons-nous pas, en France, l’expertise suffisante au pilotage d’une stratégie AMR ? Nous n’avons bien sûr pas la prétention de répondre à toutes ces questions en profondeur ici, mais d’essayer de comprendre les enjeux de l’AMR, pour les activités de supply chain et pour l’homme.
Retard ou bon sens ?
De la prétendue difficulté de déploiement d’une stratégie AMR en France. Contrairement à ce que nous serions tentés de croire, les AMR ne sont en rien complexes. Comprenez que la technologie est maîtrisée depuis plusieurs années déjà. Il s’agit, en réalité, d’une évolution de la technologie des véhicules à guidage automatique (autonomous guided vehicles, A.G.V.). Précisons que les AMR sont livrés déjà paramétrés par les fournisseurs et répondent à un cahier des charges fonctionnels, définit par les besoins spécifiques de chaque entrepôt logistique. Ils n’exigent donc pas de longues sessions de formation ou le recrutement d’ingénieurs dédiés… Et, qu’en est-il du coût d’acquisition et d’intégration ? Si nous en revenons à l’exemple de l’automatisation, l’investissement de départ pour une automatisation fixe est bien plus important. Ajoutons que les AMR sont généralement intégrés à l’entrepôt en mode RaaS (robot-as-a-service), donc moins onéreux pour l’entreprise.
Faudrait-il donc convenir que, la difficulté de déploiement des AMR tient à la spécificité des entrepôts logistiques français ? Il n’en est rien. Il y a, bien sûr, certaines conditions à respecter : disposer d’allées larges, d’un signal Wi-Fi puissant, de sols lisses et uniformes, etc. Si ces impératifs structurels peuvent représenter un défi pour certains entrepôts, il s’agit d’un projet bien moins complexe, une fois de plus, que la mise en place d’un système d’automatisation.
Si la France peut sembler en retard par rapport aux États-Unis, il faut avant tout y voir une différence structurelle ou géographique. En France, comme dans certains pays de l’U.E., le coût du m2 est plus important qu’il ne l’est aux États-Unis. Les entrepôts français sont donc moins grands et nécessitent par conséquent moins de déplacement des opérateurs.
Autrement dit, les entrepôts logistiques français sont contraints d’optimiser l’espace et de densifier le stock. A contrario aux États-Unis, où les entrepôts logistiques ont une superficie plus importante, le déploiement d’une stratégie AMR est, pourrions-nous presque dire, indispensable à la bonne exécution des processus et à la réduction de la pénibilité (distance à parcourir, déplacement de charges, développement de troubles musculo-squelettiques...).
En France, il conviendrait mieux de parler de bon sens plutôt que de retard ou de faible taux d’adoption ! Ajoutons à cet argument, une spécificité ou une exception bien française : les exigences des clients ne sont pas les mêmes qu’ailleurs envers leurs prestataires logistiques. Chacun pourra avoir des besoins spécifiques : un fabricant de chaussures par exemple, pourra demander à mettre un antivol sur chaque pièce. Ces particularités ou ces demandes sur mesure, peuvent être un frein à une stratégie AMR.
Ressources humaines et AMR
Nous l’avons dit, il y a aussi cette idée bien ancrée que les AMR seraient en quelque sorte les ennemis du capital humain dans l’entrepôt. Si l’accélération des ventes mondiales du e-commerce (+26,7%, pour atteindre 130 milliards de dollars en 2021) a rendu indispensable de réfléchir à une stratégie AMR, elle a aussi eu l’effet de contribuer au débat sur la place de l’homme dans l’entrepôt.
Premier constat : la majorité des entreprises qui investit dans des technologies AMR, ne le fait pas pour dégraisser leur masse salariale ; mais pour « libérer » les employés des tâches répétitives (picking ou encore scannage) et chronophages. Ces derniers peuvent désormais être réaffectés à d’autres missions plus valorisantes. Ici, l’AMR doit être perçu comme une aide et non un « ennemi ». Bien sûr, comme en toute entreprise, il s’agit aussi de productivité : les employés peuvent effectuer des prélèvements plus rapidement et exécuter plusieurs commandes simultanément. Les robots fournissent des informations sur l'article : où il se trouve, où le déposer, son aspect...
Certains, dans un contexte de difficulté de recrutement post crise sanitaire, ont pu avancer que les AMR pouvaient être la solution, au même titre que la gamification.
Aujourd’hui, le bien-être de l’employé est jugé primordial pour lutter contre l’attrition. Les entreprises, tous secteurs confondus, ont compris que pour limiter les démissions et retenir les salariés, il faut transformer l’espace de travail, pour plus de sécurité et de bien-être.
En Europe comme en Amérique du Nord, les professionnels de la supply chain adoptent de nouvelles normes et technologies en réponse à ces nouveaux impératifs. Beaucoup réfléchissent à des projets d’ergonomie du lieu de travail ou à l’intégration d’outils destinés à la manutention d’objets lourds (AMR ou encore exosquelette).
À ce stade, nous comprenons que plus qu’un obstacle, les AMR sont peut-être la solution à une meilleure prise en considération des hommes dans l’entrepôt. Et si nous passions au tout AMR ? Eh bien, nous aurions toujours besoin d’équipiers pour superviser et s’assurer du bon fonctionnement des robots. Certes, il y aurait bien sûr moins d’opérateurs. Mais nous sommes d’avis que l’entrepôt ne peut se passer du bon sens qu’apporte l’humain.
La supply chain est confrontée aux défis imposés par le e-commerce, des clients finaux toujours plus exigeants, des politiques de livraison difficilement tenables, nous l’avons dit. Ces tensions devraient s’accentuer dans les années à venir. Pour l’heure, déployés efficacement les AMR semblent être une des solutions à une meilleure gestion de l’entrepôt. L’avenir dira le reste.
Présentation de l'auteur :
Directeur commercial au sein de la filiale française de Körber Supply Chain, Fabien Guerrero a commencé sa carrière dans la supply chain il y a 20 ans, comme développeur puis chef de projet spécialisé dans l’intégration des solutions de voice picking pour le compte de la société Zetes. Après quelques années en tant qu’ingénieur avant-vente chez Psion, il s’oriente vers une carrière commerciale. En 2014, Fabien Guerrero est diplômé d’un Master en management après deux ans d’études à l’EM Lyon Business School.
Il rejoint ensuite, comme directeur commercial, la société Voiteq, leader mondial dans l’intégration des solutions de voice picking. Après l’acquisition de cette dernière par Körber Supply Chain, en 2020, Fabien Guerrero prend en charge le développement des activités robotiques du groupe.