Face à face : Mathieu Friedberg, directeur général de Ceva Logistics

Pour commencer, revenons sur votre arrivée chez Ceva, en janvier 2020. Dans quel contexte s’est faite votre prise de fonction ?
Je suis arrivé chez Ceva Logistics dans un contexte quelque peu chahuté, à la fois pour le groupe, dans une situation compliquée depuis quelques années, mais également d’un point de vue conjoncturel, peu de temps avant la pandémie. Nous avons donc dès 2020 travaillé d’arrache-pied en mettant en place des actions concrètes pour repenser l’organisation. Tout cela a porté ses fruits. Nous avons depuis retrouvé notre équilibre, affiché de solides résultats positifs en 2021 et poursuivi avec une série de trois acquisitions en 2022 : Ingram Micro Commerce & Lifecycle Services, Colis Privé et enfin Gefco fin juillet 2022.

Effectivement, le 26 juillet 2022, Gefco devenait Ceva Logistics. Comment s’est passée cette intégration ?

Elle s’est faite dans une situation particulièrement rapide du fait de l’actionnariat russe de Gefco. Nous avons donc travaillé dès avril 2022 à boucler le dossier et quelques mois plus tard, nous obtenions l’accord des autorités de concurrence compétentes. Cette acquisition a apporté de multiples atouts. Non seulement Gefco est une entreprise constituée de nombreux talents mais sa taille conséquente, notamment en France où Ceva était peu représentée, nous permet de changer la donne en termes de positionnement. Cela nous a donné la possibilité de croître sur le transport routier en Europe et d’étoffer notre réseau de manière importante, mais aussi de gagner un immense savoir-faire dans le domaine de l’automobile finie. Ceva se place ainsi comme le seul grand 3PL avec une offre aussi étoffée sur ce secteur : de la logistique amont jusqu’à l’après-vente et les véhicules finis.

Votre maison mère, le Groupe CMA CGM, a confirmé début mai l’offre pour l’acquisition des activités de commission de transport et de logistique de Bolloré Logistics. Pouvez-vous nous expliquer ce que cela implique pour Ceva Logistics ?

Cette opération serait significative pour Ceva, nous amenant à être à la fois logisticien contractuel, opérateur sur le transport routier et commissionnaire sur l’aérien et le maritime. Cette combinaison pourrait nous apporter une belle complémentarité, y compris en termes géographiques. Ceva est très présent sur les continents américain et asiatique tandis que Bolloré jouit d’un bel ancrage français et européen. Et cette réciprocité existe également sur les segments de marché, que ce soient le luxe, la pharma, l’aéronautique ou bien encore la tech, l’automobile, l’e-commerce ou la grande distribution.

En début d’année, le Groupe CMA CGM annonçait un objectif net zéro carbone d’ici 2050 et lançait de grands chantiers visant à ne consommer que de l’électricité bas carbone et à réduire son impact environnemental. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces sujets et sur les objectifs de Ceva Logistics en la matière ?

Cet objectif se décline de façon légèrement différente selon les entités. Pour CMA CGM, il s’agit bien évidemment de décarbonation du transport maritime. Concernant Ceva Logistics, 90 % de notre empreinte carbone provient du scope 2 ou 3, il s’agit donc du transport que nous achetons et revendons à nos clients. Ici, l’enjeu majeur réside dans la collaboration, la sélection et le travail conjoint avec les fournisseurs et les clients pour mettre en place des alternatives moins carbonées. Pour ce qui est des 10 % restants, les scope 1 et 2, nous nous appuyons sur un plan d’action calibré. En matière de logistique contractuelle, nous visons une énergie neutre en 2025. Sur notre flotte de transport routier en propre, nous menons un travail avec les différents constructeurs et suivons les avancées technologiques du marché en nous impliquant en parallèle sur des projets pilotes, tels que celui porté conjointement avec les entreprises Sanef et Engie dans l’Alliance ECTN (European Clean Transport Network).

Ceva Logistics a récemment installé un système goods-to-person Geek+ en Belgique et travaille également avec DCBrain autour de la digitalisation du transport ou bien encore avec Project44. Quels sont les sujets d’innovation qui vous semblent les plus porteurs en ce moment ?

L’innovation en matière de supply chain est un vaste sujet. Il s’agit à la fois d’insuffler cet esprit dans l’entreprise mais également de s’entourer de partenaires experts dans leur domaine. Il existe de nombreux leviers en la matière, notre enjeu est également de savoir partager cette innovation de façon égale et intelligente dans une structure de 110 000 collaborateurs telle que Ceva. Concrètement, nos sujets tournent autour de la visibilité, de la data et donc de notre capacité à tirer tout le potentiel de cette somme de données charriée depuis de longues années, pour en faire une exploitation intelligente ayant de la valeur pour nos clients.
Sur des métiers plus industriels comme la logistique contractuelle, les enjeux varient selon les géographies, les secteurs et les types de problématiques adressés. Nous travaillons notamment autour de l’automatisation, mais ce qui est vrai dans nos géographies ne l’est pas toujours dans d’autres territoires. Enfin, dernier point essentiel : les moyens de transport et leur décarbonation. Cet enjeu nécessitera d’importants moyens d’innovation et de larges capacités. En tant qu’acheteur de transport, nous devons jouer notre rôle.

Le secteur connait de fortes pénuries de main-d’œuvre. Comment palliez-vous ce manque ?

Effectivement, nous sommes nombreux à partager cette problématique dans la filière, et elle ne connait malheureusement pas de frontières. Nous avons construit une feuille de route au long cours et lancé des programmes très variés autour de la diversité ou bien encore de la formation afin d’embarquer toutes nos forces vives sur le sujet. Nous réfléchissons aux questions d’identification des ressources, aux différentes approches pour aller les chercher et surtout les garder. Comment accompagner nos équipes, créer des opportunités de carrière et un environnement social attrayant et attractif pour qu’elles restent ? Ce sont des questions que nous nous posons au quotidien.

Pour finir, quelles sont vos ambitions en France sur ces prochaines années ?

Notre présence en France a considérablement évolué ces dernières années à la suite de l’acquisition de Gefco et cela va se poursuivre puisque nous venons de remporter l’appel d’offres pour la logistique des Jeux olympiques et Jeux paralympiques 2024. Nous allons ainsi pouvoir démontrer tout notre savoir-faire sur le territoire. Nous souhaitons devenir un acteur de référence, jouer ce rôle sur le marché français pour nos clients et au service de l’emploi.

Quels sont selon vous vos meilleurs atouts pour y parvenir ?

Notre histoire récente a démontré notre capacité d’adaptation, d’agilité, de remise en question. Nous avons été capables de construire des solutions rapides et efficaces, ayant du sens pour nos clients. Il s’agit d’un ouvrage qui n’est jamais terminé. Avec l’ensemble de nos équipes, nous nous remettons en question chaque jour. De nombreux projets sont en cours et permettront de rester ambitieux tout en conservant ce goût du développement qui nous anime.