media supply chain
et logistique

Transversal

Des supply chains circulaires pour un monde durable !

Une tribune signée par Yann de Feraudy, président de France Supply Chain by Aslog, association visant à fédérer, promouvoir et réfléchir à la supply chain de demain.

Publié le 26 juin 2023 - 17h30
A_1

 Parradee via stock.adobe.com

Nous touchons aux limites

Nous avons longtemps cru et agi comme si nous vivions dans un monde aux ressources inépuisables. Or, nous touchons aux limites : par exemple, l’électrification du monde va créer des tensions énormes sur la supply chain du cuivre ; 50,5 millions de tonnes vont manquer sur les huit prochaines années. Créer des filières de recyclage doit être au cœur des nouvelles supply chains du cuivre, mais pas seulement…
Il va nous falloir apprendre à travailler dans un monde où la gestion de la rareté est la norme. Selon François-Michel Lambert, « chaque Européen consomme vingt tonnes de matières premières vierges par an. La planète a un équilibre estimé à six à huit tonnes par habitant. »¹
Comme je l’écrivais ici en mars dernier, pour une économie qui consomme plus de ressources naturelles que leur capacité à se renouveler, la question est moins de savoir si nous approchons de l’impasse que de savoir comment nous pourrions faire « autrement » et développer une économie et des supply chains « circulaires » qui nous permettront de subvenir à nos besoins, demain.

Un sujet émergent, mais incontournable

On commence juste à entendre parler de ce sujet… Dans ce domaine, je suis parfois hanté par cette phrase de Jacques Chirac : « La maison brûle et nous regardons ailleurs… » Le temps presse.
À l’heure où on ne parle plus que de décarbonation et d’engagement pour la neutralité carbone, sans très bien savoir si cela va vraiment être atteint, il est de plus en plus clair que nous toucherons les limites de certaines ressources avant 2040 ou 2050.
Dans un sondage réalisé début 2023 par la revue 60 millions de consommateurs, seulement 17 % des sondés « connaissaient et savaient expliquer » l’économie circulaire, alors que sur la part de leurs abonnés ce ratio passe à 50 %.
Autant la prise de conscience est globalement faible, autant elle progresse rapidement pour les publics « avertis » et c’est sans doute là notre chance, ce sont les consommateurs qui pourraient finalement imposer ces changements. Encore faut-il nous y préparer, rapidement car la tâche est complexe et immense tant elle est à la croisée d’une multitude de domaines : conception des produits, technologie, économique et aménagement du territoire…

 

Le défi de la conception des produits

Si on pose le principe d’une réutilisation des matières et/ou des pièces ayant concouru à la fabrication d’un produit, soit au cours de sa vie soit à la fin de sa vie, il est primordial pour être efficient, de concevoir ce produit dans cette optique, dès le départ.
En s’arrêtant un instant sur ce point, cela représente une petite révolution dans les méthodes et démarches de conception : choix des matières, modélisation de l’usure et des stratégies de réparation, choix des emballages (matière, formes, destination…). Afin de maîtriser les paramètres économiques quant au prix de revient, aux coûts d’entretien et aux coûts de manutention en tout genre.
Dans la parfumerie, par exemple, on préfèrera les pompes (éventuellement mono-matériaux) vissées aux pompes serties qui conduisent à la destruction du flacon et de la pompe.

 

La data et la technologie

Mais ce n’est pas tout : récupérer une pièce, une matière, un emballage nécessite de disposer d’informations spécifiques concernant : son origine, les acteurs qui l’ont déjà manipulé, le nombre de cycles réalisés, etc. Autant d’informations à partager selon des standards d’interopérabilité, de traçabilité, de certification et d’agrément propres aux secteurs ou filières industriels.

 

¹ In repuplik-supply.fr du 26/04/2023

 

----------------------------------------------------------------------------------------------------


Dans le secteur de la réparation automobile par exemple, il est primordial de travailler avec une data pièces/véhicules très fiable (le référentiel de pièces comprend des dizaines de millions de SKUs) et de s’assurer de la qualité, de la durabilité et des garanties proposées sur les pièces issues de l’économie circulaire (PIEC) montées sur les véhicules.

Pour ce faire on distingue 3 catégories de pièces :
La pièce remanufacturée : refabriquée à neuf à partir d’une pièce usagée, elle a les mêmes exigences, la même durée de vie et de garantie et le même niveau de traçabilité que la pièce neuve.
La pièce reconditionnée : c’est une pièce d’occasion dont les fonctionnalités ont été testées et les éventuelles pannes réparées. Elle bénéficie en général d’une garantie d’au moins 1 an.
La pièce d’occasion : c’est une pièce qui a été démontée sur un véhicule en fin de vie qui est remise en vente en l’état. Elle bénéficie souvent d’une garantie de 6 à 12 mois.

La pièce remanufacturée nécessite la mise en place d’une logistique circulaire, car chaque pièce remplacée doit être renvoyée au remanufacturier pour refabriquer une nouvelle pièce. Pour inciter les garagistes à renvoyer ces pièces usagées, un système de consigne est presque toujours mis en place par les remanufacturiers.

Les pièces reconditionnées et d’occasion, notamment les pièces de carrosserie, nécessitent des solutions d’emballages très performantes pour garantir la qualité des pièces pendant le transport, un poste qui peut s’avérer très coûteux en argent … et en impact carbone !

À noter que le développement de la PIEC dans la réparation automobile permet de réduire de plus de 80 % l’impact environnemental global de cette industrie : réduction des émissions de gaz à effet de serre et du prélèvement de ressources naturelles induites par la fabrication des pièces neuves. Par ailleurs, ce marché de la seconde vie des pièces auto est fortement générateur d’emplois industriels en France.

 

Jean-Michel Guarneri
Président de LRPI Remanufacturing 
Secrétaire Général de Mobilians Remanufacturing

 

--------------------------------------------------------------------------------------------------------

 

Chaque filière industrielle devra définir ou amender son référentiel d’informations partageables et partagées et lui adjoindre des outils et des standards d’échanges et de traçabilité (type blockchain) pour en garantir l’intégrité. Car pour réutiliser une pièce ou un emballage, il faut connaître ses caractéristiques générales (matière, dimension, etc.), ses caractéristiques historiques, son état, mais aussi sa localisation.

 

La concurrence des supply chains verticales

On peut le pressentir, tout cela va coûter, et souvent, à l’heure actuelle, plus cher… Lors de la table ronde sur les supply chains circulaires organisée à la SITL 2023, Jean-Denis Curt, en charge de la supply chain circulaire de Renault, témoignait de la difficulté d’entrer en compétition (ici interne) avec la supply chain verticale suroptimisée d’un grand industriel de l’automobile.
L’absence d’une comptabilité carbone (la remise à neuf d’une pièce, c’est 80 % de carbone économisé sur une pièce neuve), le coût de la data, l’ajout de ruptures de charge, le coût des transports, la modestie des volumes qui brident l’absorption des frais fixes… renvoyant plus à un succès d’estime qu’à un succès économique.


En effet, in fine, l’économie circulaire représente, aussi un bouleversement de nos modèles de production, de supply chain et de consommation :
- Comment convaincre un fabricant qu’il doit favoriser la réutilisation de matériaux, la réparation qui feront inexorablement baisser sa production et augmenter ses coûts ? Comment peut-il accepter d’être soumis à de nouvelles contraintes, si ses concurrents mondiaux ne le sont pas ?
- Pour optimiser les coûts de transport et minimiser les ruptures de charge, faudra-t-il mettre en place des ateliers géographiquement répartis pour réparer, réusiner, reprendre les pièces et les matériaux… posant ainsi les bases d’une infrastructure physique adaptée aux boucles circulaires ?
- Pour assurer, grâce notamment à la volumétrie et la massification, un coût acceptable, faudra-t-il favoriser une économie du service à l’économie de l’avoir comme le mentionne le plaidoyer pour l’économie circulaire et son exemple très emblématique de la machine à laver  ?²

 

En résumé…

On le voit bien les supply chains dont aura besoin l’économie circulaire sont à construire selon quatre dimensions :
1. Une dimension industrielle, afin de définir et mettre en place des démarches d’éco-conception à 360° intégrant la dimension circulaire et des standards d’interopérabilité.
2. Une dimension technologique pour donner un support de traçabilité de confiance sur les données des composants (matière, articles, pièces) et des acteurs (OEM, réparateurs, reconditionneurs…)
3. Une dimension économique pour trouver les nouveaux équilibres de performances tant du point de vue de la massification que du point de vue de la conception de nouveaux flux et offres de services.
4. Une dimension politique pour créer les conditions favorables à la mise en place de services et flux circulaires via l’incitation, la facilitation, les aides, la labellisation/certification ou la promotion de ces initiatives aux plans régional, national et européen.


La tâche est immense tout comme les défis. Il apparaît clairement que les solutions à apporter doivent être étudiées par « filières » (ex. automobile, électroménager, FMCG…), même si les concepts et les bonnes pratiques peuvent être utilement partagés.
Par ailleurs, comme c’est le cas de nombre de sujets en matière de RSE, les solutions dépassent les acteurs, même les plus gros d’une même industrie, qui devront donc collaborer.

 

Il nous faut agir

Devant l’ampleur et la complexité des défis, il sera sans doute plus pertinent de réaliser des sortes de use cases sur une filière et pour un segment précis, qui seront autant de petites victoires sur la route d’une transformation nécessaire.
Le temps presse, c’est pour cela que les législateurs se sont déjà emparés du sujet : en France avec la loi AGEC et maintenant au niveau européen où nombre de dispositifs sont en cours de discussion.
C’est pourquoi, dans la continuité de la mise à jour de son Manifeste pour des Supply Chains durables, France Supply Chain fait de ce sujet l’une de ses priorités.

Pour accélérer le mouvement et inciter à collaborer, France Supply Chain appelle à la constitution d’une coalition de la supply chain circulaire permettant à chacun de partager les résultats de ses travaux et use cases au sein d’un forum ouvert. Un tiers de confiance pour fédérer et dialoguer avec les pouvoirs publics dont nous avons besoin pour réussir cette transition.

 

²  La supply chain circulaire, pivot de la réindustrialisation verte

à lire aussi
CHAQUE JOUR
RECEVEZ LES ACTUALITÉS
DE NOTRE SECTEUR
INSCRIVEZ-VOUS
À LA NEWSLETTER
OK
Non merci, je suis déjà inscrit !