Transport
E-CMR : l'industrie du transport routier est-elle prête pour une logistique 100 % digitalisée ?
Une tribune signée par Pascal Turpin, head of business consulting chez Transporeon.
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Transporeon (a Trimble company)
Le secteur de la logistique et du transport a un rapport plus ou moins déséquilibré avec la numérisation des documents. D'une part, nous avons encore souvent recours au papier pour formaliser des accords, organiser les process, transférer la propriété, attribuer des responsabilités... D'autre part, la plupart des acteurs savent qu'ils économiseraient de l'argent et gagneraient en efficacité en supprimant le papier et en réduisant le travail administratif – sans parler des avantages sous-estimés en matière de collaboration et de transparence. Le secteur est-il prêt à intégrer pleinement la dématérialisation ?
La résistance au changement, un obstacle de taille
Plusieurs raisons expliquent pourquoi le secteur du transport routier a été lent à adopter la dématérialisation. Tout d'abord, la plupart des expéditeurs, des transporteurs et des prestataires de services logistiques utilisent un ensemble de solutions technologiques disparates et isolées. En d'autres termes, il n'existe pas de normes numériques. Dans cet environnement, le papier devient l'alternative logique, car il est accessible à tous. Deuxièmement, certaines règles un peu dépassées pour l'import et l'export de marchandises sont encore en vigueur. Certains pays exigent encore l'utilisation de tampons physiques pour authentifier et autoriser les documents, ce qui rend difficile l'abandon total du papier.
Le chaos à la frontière britannique suite au Brexit est un excellent exemple de la raison pour laquelle une nouvelle législation est nécessaire pour encourager une logistique 100 % digitale. Lorsque la période de transition a pris fin en janvier 2021, les chauffeurs - armés de rames de documents papier inconnus - ont été pris au piège dans des files d'attente interminables à la frontière. Les expéditeurs ont été confrontés au pire des scénarios : des marchandises abîmées avant d'atteindre leur destination. Une solution digitale aurait facilité la transition en réduisant la charge administrative des chauffeurs, en éliminant les barrières linguistiques, et en informant les expéditeurs et transporteurs de tout problème en temps réel.
Le Brexit a également mis en lumière une autre question longtemps débattue : le rôle d'un conducteur est-il de transporter et de livrer des marchandises, ou est-il également d’être un administrateur ? Avec une pénurie continue de chauffeurs causant des frictions à travers le continent, maximiser les heures de conduite et minimiser l'administratif est essentiel.
Quel cadre pour accélérer la transformation digitale du secteur ?
Le changement se profile à l'horizon, accéléré en partie par la nouvelle législation européenne. Des initiatives à petite échelle visant à numériser la documentation se développent, comme les notes numériques sur les palettes et les certificats de lavage numériques pour les semi-remorques citernes. Mais des changements de plus grande ampleur se préparent également. La future réglementation européenne sur l’e-CMR devrait rendre obligatoire le transfert numérique des lettres de voiture entre les entreprises, les gouvernements et les administrations douanières à partir de 2026. Dans le même temps, des initiatives nationales en matière d'eDelivery sont en cours d'élaboration, ce qui devrait simplifier considérablement la relation entre les expéditeurs et les destinataires.
Plus important encore, l'UE soutient un processus d'information électronique sur le transport de marchandises. Ce dernier devrait permettre de constituer une vaste base de données électronique de toutes les informations relatives au transport, étayée par un cadre juridique pour les protocoles de partage. Cette évolution vers un système collaboratif unique devrait permettre d'économiser 27 milliards d'euros sur une période de 20 ans, ce qui démontre les avantages financiers potentiels d'une logistique sans papier.
Des avantages multiples
La numérisation des documents de transport est donc inévitable. Il ne s'agit cependant pas seulement de convertir un document papier en PDF. Les avantages de la dématérialisation vont bien au-delà, et peuvent transformer la manière dont les expéditeurs et les transporteurs exercent leurs activités.
Tout d'abord, la numérisation des documents de transport améliore la visibilité des expéditeurs et des transporteurs sur leurs opérations. Prenons l'exemple de marchandises rejetées pour cause de dommages au moment du déchargement. Grâce à une solution digitale, l'expéditeur est immédiatement informé, ce qui lui permet d'entamer la procédure de litige avec le transporteur et de contacter le client pour résoudre la situation. L'ensemble du processus de contestation peut se dérouler en digital, toutes les parties prenantes collaborant sur le même document numérique.
Le même principe s'applique lorsque les marchandises sont chargées par l'expéditeur, le destinataire étant immédiatement informé, lui permettant de se préparer à recevoir les marchandises. De plus, grâce à la mise en place de processus dématérialisés, les transporteurs peuvent accélérer la facturation, puisqu'il n'est pas nécessaire d'attendre que les documents soient renvoyés manuellement au chargeur.
Enfin, il convient de prendre en considération le nombre considérable de points de données que les solutions de documentation numérique rassemblent. Bien que toutes ces informations existent déjà dans les entreprises, elles sont difficiles à analyser lorsqu'elles sont dispersées dans une mosaïque de solutions numériques et papier. Centraliser les éléments digitaux et papiers permet d’extraire des informations qui ne sont pas directement visibles autrement, en révélant par exemple des erreurs courantes dans les documents administratifs. Fortes de ces informations, les entreprises peuvent affiner leurs stratégies.
Une approche plus unifiée de la technologie est donc en bonne voie. Pour qu’elle devienne pérenne, il faut d'abord que les expéditeurs et les transporteurs apprécient le potentiel transformatif de la digitalisation, et ce, au-delà du simple allègement de la charge administrative des chauffeurs. Le succès à long terme dépendra ensuite du remplacement de systèmes disparates et cloisonnés par une approche collaborative, en plateforme, pour permettre davantage de visibilité entre les expéditeurs, les transporteurs et les destinataires.
À propos de l'auteur et de Transporeon
Pascal Turpin cumule plus de 20 années d'expérience dans le domaine du transport et de la logistique. Il a rejoint Transporeon en 2019 au sein de l'équipe des consultants business, dont il a actuellement la charge en qualité de head of business consulting.
Société de Trimble, Transporeon est une plateforme collaborative de gestion du transport. Elle fournit des applications modulaires à son réseau de plus de 145 000 transporteurs et prestataires de services logistiques multimodaux dans le monde entier, ainsi que des outils de visibilité en temps réel, de planification, d'exécution et d'émissions carbone.