Transversal
La course vers un dernier kilomètre décarboné revêt aussi d'un enjeu social
Une tribune signée par Laurence Labranque, directrice générale du groupe Sofrigam.
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Le boom du e-commerce observé depuis quelques années a fait exploser le marché de la livraison à domicile. Les récentes études démontrent que se faire livrer chez soi ou à un point relais est désormais ancré dans les habitudes des 42 millions de Français qui achètent sur Internet*. Et plus aucun secteur n'échappe à ce modèle, même les plus réglementés comme la santé, par exemple, ou les plus techniques comme la livraison de produits thermosensibles.
Ce nouveau paradigme fait apparaître le besoin de repenser la livraison du dernier kilomètre, confrontée à un cadre réglementaire de plus en plus incisif, et à des échéances qui se rapprochent. Or, si la question environnementale est au cœur des motivations de la transition des acteurs du last mile, le dernier kilomètre revêt aussi d'un enjeu social fort. La population vieillit, la durée de vie s’allonge, et le coût de la prise en charge des personnes âgées ne cesse d'augmenter. L'aide au maintien à domicile devient une priorité politique, et les acteurs de la livraison dans les villes et dans les zones rurales ont clairement un rôle à y jouer.
L'étau se resserre pour les acteurs du last mile
La loi d'orientation des mobilités (LOM) a rendu obligatoire la création d'une ZFE dans les métropoles où la qualité de l'air est jugée mauvaise. En 2025, les véhicules Crit’Air 3 seront interdits de rouler, et 2035 marquera aussi la fin de circulation des voitures thermiques, dont les utilitaires. En dépit d’échéances quelque peu revues, le déclin du moteur thermique dans nos villes est inexorable. Il est désormais temps d’agir et de ne pas attendre le dernier moment pour renouveler ou transformer sa flotte, afin de continuer à livrer sans discontinuité. Ne pas anticiper, c’est subir de plein fouet l’impact économique d’une telle transformation, et il n’est pas encore certain que nous ayons en tête l’exhaustivité des conséquences financières que cela implique pour les acteurs de la livraison.
Les ZFE ne représentent que la partie émergée de l'iceberg. De nombreuses autres réglementations vont commencer à cohabiter, avec plus ou moins les mêmes échéances. Prenons l’exemple de la livraison de produits froids et de la réglementation F-Gas, qui vise à interdire les échanges de fluides réfrigérants intégrant des gaz polluants. Ils concernent à l'heure actuelle 90 % du secteur. Demain, seuls quelques gaz naturellement réfrigérants comme l’ammoniac resteront autorisés. Pour les acteurs de la livraison sous température dirigée, le risque est à nouveau de devoir changer ou transformer l'intégralité de leur système de production de froid : une transition d’un système polluant vers un système décarboné et ce chemin n’est pas anodin.
Les transformations du last mile ne sont pas qu'affaire environnementale
La problématique liée aux interdictions de circuler dans les villes ne concerne pas uniquement la question climatique. Il y a là aussi le sujet de notre empreinte RSE : empreinte environnementale, mais surtout empreinte économique et sociale. C’est notre rôle d’accompagner le monde, nos clients et nos collaborateurs vers la prise de conscience et le changement. Il en va de notre responsabilité individuelle, mais également de celles de nos entreprises. C'est une évidence à prendre en compte dès aujourd’hui et pour les années à venir.
Côté social, un des publics concernés par la livraison à domicile sont les séniors. Le gouvernement estime que les plus de 65 ans représentent actuellement un cinquième de la population française et représenteront un quart de la population en 2040 – et près de 30 % à partir de 2050. Or, dans un contexte inflationniste, avec un coût des dépenses lié au grand âge qui ne cesse d'augmenter, qui s’ajoutent à l'engorgement des hôpitaux, il devient donc une nécessité de réfléchir au maintien à domicile le plus longtemps possible et à lutter contre l'isolement, conséquence principale. Vivre plus longtemps certes, mais vivre mieux sa longévité devient primant sur nos façons de vieillir.
C'est une question prise à cœur par certains acteurs traditionnels du retail qui tentent de se réinventer en intégrant de nouveaux services de proximité. Et pour certaines offres, le dernier kilomètre peut prendre une tout autre importance : c’est le cas des produits thermosensibles, comme les médicaments ou les vaccins qui nécessitent une chaîne du froid constante lors de leur livraison, sans rupture de températures. La livraison et le livreur deviennent alors le premier lien de confiance entre patient et médecin ou patient et pharmacien : un changement de paradigme majeur que nous devons intégrer dans la construction de nos circuits de livraison.
L'inclusion c'est donc revaloriser l’emploi car ces réglementations engendrent une transformation des métiers. Le livreur n'est plus seulement celui qui transporte un produit d'un point A vers un point B, il doit aussi être parfaitement formé pour maintenir la qualité du produit commandé, valoriser le service et être garant de ce lien social. Il véhicule l'image de l'entreprise face au client, face au patient… et pour les populations les plus fragiles, il est tisseur de liens, parfois même la seule personne rencontrée au cours d'une journée. Le rôle du livreur devient ainsi primordial dans le maintien à domicile.
Le dernier kilomètre fait donc face à de nombreux défis avec les soubresauts des réglementations actuelles et à venir ; cela peut rendre la route longue et sinueuse. Mais les enjeux sont connus et des solutions existent déjà. N'attendons pas d'être dos au mur pour amorcer le changement à l’aide d’experts sur le sujet. Tout est question d’accompagnement et tous les corps de métiers sont concernés : intégrateurs, artisans, constructeurs, concessionnaires... Un travail en équipe s'impose pour changer et nous sommes prêts à l’anticiper avec chaque acteur qui en fera la démarche. C’est une posture à encourager, pour que la transition soit la plus échelonnée et efficiente possible afin d’être les plus neutres sur les organisations, tant socialement qu’économiquement.
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* Source : Fevad
À propos de l'autrice et du groupe Sofrigam
Diplômée en écoles de commerce d’un master spécialisé en finance à l’ESSEC, puis d’un MBA Executive à l’EM Lyon, Laurence Labranque débute sa carrière dans une enseigne américaine spécialisée en biens de grande consommation. Elle rejoint l’entreprise familiale en 2013 pour prendre la direction et le développement de la filiale américaine du groupe Sofrigam, puis celle de la BU Sofrigam Last Mile avant de prendre la direction générale du groupe en juillet 2023.
Fondé en 1980, Sofrigam Group est le spécialiste européen de l’emballage réfrigérant dédié à l’industrie pharmaceutique. Il propose une gamme complète de solutions d’emballages sous température contrôlée, pré-qualifiées et sur mesure pour l’industrie biopharmaceutique, chimique, biotechnologique et cosmétique. L’usine de conception et de fabrication des emballages isothermes Sofrigam située à Monchy-le-Preux dans les Hauts-de-France, est l’un des plus grands sites européen à se consacrer exclusivement aux emballages sous température dirigée.