Transversal
N’attendons pas le passage à l’électrique pour décarboner le transport de marchandises
Une tribune signée par Ludovic Knysz, directeur transport du groupe Interlog.
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La transition vers les carburants alternatifs – en premier lieu l’électricité – doit permettre de réduire l’empreinte carbone du transport. Cette perspective s’inscrit toutefois dans le temps long et fait face à des défis structurels et économiques importants. Certaines stratégies complémentaires, plus rapides à mettre en œuvre, peuvent nous faire gagner du temps pour atteindre les objectifs de décarbonation.
Électrification du transport : un horizon d’un demi-siècle
Décidée en mars dernier par l’Union européenne, l’interdiction de la vente de voitures thermiques neuves entrera en vigueur en 2035. À partir de cette date, seules les voitures électriques (et autres carburants alternatifs propres) seront commercialisées. De nombreuses années supplémentaires, voire quelques décennies, seront encore nécessaires pour que le parc automobile français – environ 40 millions de voitures – soit neutre en émissions carbone.
Cette décision de l’UE ne concerne, à ce jour, que les véhicules de moins de 3,5 t. Pour les autres véhicules – notamment les poids-lourds, qui assurent près de 90 % du transport terrestre de marchandises –, aucun arrêt de la commercialisation des moteurs thermiques n’est prévu pour l’instant. Lorsqu’elle sera décidée, la transition du transport de marchandise vers le tout-électrique demandera assurément plusieurs décennies.
Une telle échelle de temps n’est probablement pas un luxe que nous pouvons nous permettre.
Et ce d’autant plus que les investissements qu’exige l’électrification du transport sont conséquents, tant du côté de l’État (capacités de production électrique et infrastructures de recharge) que des entreprises de transports (remplacement des flottes de véhicules).
La décarbonation doit se faire via plusieurs stratégies complémentaires
Il n’est donc ni réaliste ni raisonnable de tout miser sur l’électrification des poids-lourds. La Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) lancée par le gouvernement en 2022 cite plusieurs leviers pouvant être actionnés pour réduire les émissions du transport routier :
- La décarbonation des énergies utilisées (essentiellement en se tournant vers l’électrique, donc) ;
- La baisse de consommation des véhicules ;
- La modération de la demande de transport ;
- L’amélioration du remplissage des véhicules ;
- Le report vers des modes de transport moins émetteurs.
Ce dernier point présente un net avantage par rapport aux autres : il est relativement facile à mettre en œuvre, car les infrastructures existent déjà. Il est pourtant largement sous-exploité.
Le gisement sous-exploité du rail-route
L’UE a fixé un objectif de réduction de 55 % des émissions de GES d’ici à 2030, par rapport à leur niveau de 1990. Pour l’instant, ce rythme n’est pas assez soutenu : en France, la prolongation de la tendance actuelle amène à des émissions de 340 Mt de GES en 2030. Or, il faudrait viser 270 Mt pour respecter l’objectif européen.
Le report modal, et plus particulièrement le rail-route, peut nous faire gagner du temps et nous permettre d’accélérer vers l’objectif européen. Les infrastructures sont là. Le véritable enjeu est de mieux utiliser le rail-route, qui aujourd’hui est pénalisé par deux facteurs principaux : les flux sont essentiellement nord-sud ; il n’y a que trop peu de fret retour (déséquilibre des flux existants).
Nous manquons aujourd’hui cruellement de rail-route sur une grande partie du territoire français. Ce n’est pas un problème d’infrastructure, c’est un problème d’opérateurs et de flux proposés. Deux grands axes peuvent nous donner les moyens de changer cela relativement rapidement :
- Inciter les industriels à se tourner vers le rail-route afin de créer des flux (d’une part) et inciter les opérateurs à proposer des offres (d’autre part) ;
- Mieux combiner les flux amonts et avals pour créer des synergies et équilibrer les flux.
Favoriser le rail-route n’est pas plus cher ou moins cher, mais c’est assurément plus vert. À titre d’exemple, une livraison au départ du nord de Paris et à destination du sud-est de la France, pour un camion complet porte à porte, représente 53,43 g/t-Km en mode « gasoil » et contre 16,59 g/t-Km en mode « rail-route » (y compris pré et post acheminement). Soit une réduction de 69 %.
De quoi donner un grand coup d’accélérateur pour atteindre nos objectifs.
À propos de l'auteur
Avant de rejoindre le groupe Interlog en 2022, en qualité de directeur transport, Ludovic Knysz a occupé la fonction de directeur logistique du Groupe Cemoi, grande marque française spécialisée dans la production de chocolats et confiseries.
Entre 2006 et 2008, il était directeur chaine logistique du groupe agroalimentaire Pierre Martinet. Il était précédemment responsable logistique opérationnelle au sein du groupe Cemoi (2000-2006).