Transversal
Supply chains plus durables, hâtons le temps !
Une tribune signée par Yann de Feraudy, président de France Supply Chain by Aslog, association visant à fédérer, promouvoir et réfléchir à la supply chain de demain.
©
metamorworks via stock.adobe.com
Avec la CSRD qui entre en vigueur dès l’année prochaine, la CS3D qui suivra, l’actualité des supply chain managers est chargée.
Au-delà des procédures et des indicateurs « durables » qu’il faudra mettre en place, il faut se concentrer sur l’essentiel (les grandes masses, les risques majeurs, etc., qui détermineront la priorisation des actions) au risque de se perdre dans une foultitude de détails, un vrai changement de mind-set…
C’est dans cet esprit qu’en cette fin d’année, la black-week à peine terminée, France Supply Chain présente la version 2 de son Manifeste pour des supply chains plus durables.
Pourquoi ce manifeste ?
Bien sûr on pourra nous dire que ce manifeste, comme le premier, est un recueil, intéressant, d’incantations et de bonnes intentions. Il est plus que cela, il recense les ambitions portées par France Supply Chain, les initiatives et les réalisations que nos membres ont bien voulues nous communiquer. Notre ambition est de contribuer à éclairer l’avenir pour le rendre désirable en sortant par le haut des injonctions et des contraintes, et accélérer les mises en place car le temps presse.
Ce manifeste est une invitation à s’inspirer, s’entre-aider et collaborer. En effet, la collaboration entre les divers acteurs est clé :
- Pour atteindre plus rapidement la masse critique ou optimiser ne serait-ce que les chargements des camions. De fait, la mutualisation des transports est un levier efficace d’optimisation les consommations, des émissions et des coûts.
- Pour viser des solutions pérennes sans dégrader les relations commerciales, mieux vaux impliquer et coordonner les efforts de toutes les parties prenantes : les industriels, les distributeurs, les logisticiens et les clients.
Nous voulons ici faire le pari de nous tourner vers l’avenir sans naïveté. Pour reprendre le discours de JF Kennedy qui lançait le programme Apollo : « Nous voulons aller sur la Lune, non pas parce que c’est facile, mais parce que c’est difficile. »
Nous voulons concevoir et mettre en place des supply chains désirables, plus respectueuses de l’environnement, sans qu’elles deviennent des « tue l’amour » pour le commerce, et c’est difficile !
Seule la qualité de service est indispensable
Il nous faut coopérer entre clients, vendeurs (industriels ou distributeurs), logisticiens et territoires. Quoi de mieux que de s’inspirer de bonnes pratiques où les supply chains ont permis de répondre à la volonté de consommer mieux et moins cher tout en respectant notre planète, par exemple en produisant plus juste ou en éliminant les emballages (vrac) afin de limiter le gaspillage.
Les spécialistes de l’eCommerce nous rebattent les oreilles avec le diktat de la rapidité… le just in time est devenu le no time (que l’on obtient très simplement en allant en magasin), nous portons des projets avec le Club Demeter et l’Institut du Commerce pour une logistique urbaine efficiente, respectueuse de la ville et de l’environnement. Des solutions existent, que ce soient avec des entrepôts en périphérie immédiates, des micro-hubs « multi chargeurs », des consignes, des véhicules électriques ou des vélos cargos ; à chaque contexte sa solution, bâtie sur la base de données réelles échangeables, analysables.
Nous avons fait ici « l’éloge de la lenteur », qui permet de mutualiser, organiser et optimiser pour économiser… Cela rencontre les démarches de certains armateurs qui diminuent la vitesse de leurs vaisseaux pour faire des économies de coûts et d’émissions… Mais, soyons clair, la slow logistics n’est pas la panacée notamment dans le transport et la livraison de produits pharmaceutiques. Pour tous ces sujets, il nous faut faire preuve de pragmatisme et piloter un mix de solutions aux services de nos clients et de nos opérations. S’agissant des aspirations des clients “B2C”, une étude menée en 2022 par DC Brain sur un panel de 1 500 consommateurs allemands, britanniques et français nous montre que :
- 78 % d’entre eux se déclarent prêts à attendre plus longtemps leur livraison pour réduire les émissions de gaz à effet de serre…
- Mieux, 66 % seraient prêts à attendre 3 à 5 jours pour une livraison verte.
- 60 % souhaitent avoir des données sur l’empreinte carbone de leurs livraisons.
- Preuve de la sincérité des réponses, seuls 21 % de l’échantillon se disent prêts à payer plus cher. Car l’item #1 pour décider du mode de livraison reste le coût.
Nous avons donc, sans nul doute des marges de manœuvre pour améliorer nos supply chains sans écœurer les clients. La rapidité n’est pas toujours indispensable, seule la qualité de service l’est, comme l’engagement et le respect d’un créneau horaire restreint.
First mover advantage, l’avantage du premier
Notre maître mot c’est la collaboration entre les acteurs pour faire émerger des solutions efficaces et pertinentes pour tous, dans l’intérêt de tous. Une tonne de CO2 émise par une entreprise X ou son compétiteur Y a le même effet pour la planète ! Faisons émerger des solutions sectorielles !
Nous avons conscience qu’il ne sera pas facile non-plus de « commencer » car les premiers prendront, forcément des risques, qui, nous voulons le croire, se transformeront en avantage compétitif du first mover… En effet :
- Les entreprises qui commencent maintenant prennent de l’avance sur les process à mettre en place, les flux à qualifier, les économies à faire et la formation des personnels.
- Nous voyons poindre de nombreuses initiatives qui allient les méthodes de l’excellence opérationnelle avec les démarches RSE, car toutes font la chasse aux pertes (Muda), recherchent la performance économique et la qualité au service des clients.
- Par-delà les difficultés et investissements du court-terme, c’est la valeur et la pérennité des entreprises à long-terme qui se joue, un vrai sujet de gouvernance.
- Du reste tous les acteurs sont concernés et l’Union européenne via la CSRD va structurer les actions de tous, pour démontrer des résultats.
C’est aussi pour cela que notre manifeste 2.0 sera présenté le 12 décembre prochain, lors de la remise des prix 2023 de l’Association logistique européenne*, à la Cité internationale universitaire de Paris. Nous sommes en effet convaincus qu’une collaboration et des échanges au niveau européen ne peuvent qu’accélérer et enrichir les initiatives et projets de nos membres respectifs.
À cette fin nous proposons 5 pistes de réflexion :
Économiser l’énergie
Avant d’utiliser des énergies alternatives, il est crucial d’économiser l’énergie que nous consommons, dans nos approvisionnements, nos productions, nos stockages et nos livraisons.
Transporter et produire mieux
Nos chaînes d’approvisionnement doivent dès leur conception rapprocher les usines de leurs clients, ce qui induit de relocaliser certaines activités et de réduire les intermédiaires. Nous devons mutualiser et maximiser l’utilisation de tous les moyens afin de remplir camions, bateaux, entrepôts, ainsi que bannir le vide dans les emballages, notamment dans le e-commerce.
Il nous faut (ré-)apprendre à produire juste : améliorer nos prévisions, différencier tardivement… Il faut arrêter de produire (et donc d’épuiser la planète) avec des produits qui ne seront pas vendus.
Nos transports doivent se convertir rapidement à des énergies plus durables, des solutions multimodales et à un ralentissement des flux. Ces choix permettraient une meilleure optimisation et une réduction de la consommation d’énergie. De même, les bâtiments logistiques et industriels “à énergie positive” deviendront la norme.
Économiser l’énergie, transporter moins et transporter mieux restent les leviers pour une supply chain plus sobre.
Rendre possible la circularité
Nous avons dit ici, aussi, combien la mise en place et le support de modèle d’économie circulaire était incontournable.
En effet, en plus de ces initiatives qui lui sont propres, la supply chain porte la responsabilité de rendre possible dès maintenant la circularité. À partir de produits plus durables et plus faciles à maintenir voire standardisés, nous définirons des supply chains circulaires.
La logistique de collecte, de retour et de réparation nécessite la maîtrise des données et des flux. Il faut au plus vite mieux tracer les objets, leurs usages et leur composition afin de maximiser leur durée de vie avant même d’organiser les flux de valorisation des déchets. De même, la standardisation des produits et des contenants est essentielle.
Faire émerger des écosystèmes collaboratifs
Pour accélérer toutes les dynamiques, les acteurs de la supply chain doivent mettre en place des écosystèmes de mutualisation basés sur la confiance. Ceci ne sera possible que grâce à un partage équitable de la valeur et au respect de la confidentialité. L’émergence de tiers de confiance doit accélérer la mise en œuvre de ces principes.
La maturité des outils d’optimisation (machine learning, intelligence artificielle, recherche opérationnelle) et la traçabilité décupleront la puissance de ces écosystèmes. Circularité et collaboration seront les piliers de la résilience des supply chains de demain.
Travailler le S de RSE
Dans toutes nos démarches il nous faut intégrer la dimension « collective » du travail ce qui implique une vision sociale voire sociétale permettant de discerner ce qui est souhaitable de ce qui n’est pas acceptable (les pratiques, les services et les emplois).
Dans cet esprit, il nous semble impératif de donner au consommateur les informations pour décider entre un service « express » et un service « vert » via un signal prix corrélé avec la réalité des coûts directs voire, demain les externalités négatives. De ce point de vue, le législateur pourrait jouer un rôle clé.
Contribuer à la transformation environnementale de la société contribue à donner du sens au travail de nos équipes supply chain. L’attractivité des métiers de la supply chain passe par un renforcement de la formation et des compétences, une réduction de la pénibilité des métiers physiques. Demain, la logistique sera encore un tremplin social. Ainsi, la diversité des métiers, une formation permanente et une inclusion plus prononcée permettront de proposer des parcours dynamiques, qualifiants et attractifs.
Nous appelons donc, les entreprises, les associations, et l’ensemble des acteurs supply chain à rejoindre France Supply Chain autour de ce manifeste, pour que la rupture nécessaire devienne opérationnelle au niveau européen et porte enfin ses fruits.
_____
* E.L.A. European Logistic Association, dont France Supply Chain est membre fondateur avec le BVL allemand.