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Pratiques de sécurité et de santé au travail : leur contribution méconsidérée à la nécessaire résilience des supply chains

Une tribune signée par Salomée Ruel, professeure de supply chain management à Excelia Business School.

Publié le 26 février 2024 - 16h30
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 Wosunan via stock.adobe.com

Sécurité et santé au travail dans les supply chains : la pandémie comme révélateur

Pour nous autres, professionnels et académiques du supply chain management, il est évident que les supply chains sont des rouages essentiels de notre économie mondiale. Pour le grand public, c’est la pandémie de la COVID-19 qui a mis en lumière son importance alors que les ruptures en rayons apparaissent… Au-delà de cette évidence, la pandémie a joué un révélateur sur des enjeux cruciaux de management des ressources humaines en supply chain management.


Et pour cause ! Cette pandémie a eu le mérite de mettre en avant les métiers de « première ligne » et de « seconde ligne », dont les métiers opérationnels de la logistique font partie. Plus précisément, le contexte de travail de ces femmes et ces hommes qui occupent ces métiers a été au cœur des préoccupations : sont-ils en sécurité ? Comment protège-t-on leur santé ? Est-ce bien raisonnable de les laisser au travail ? Mais s’ils ne travaillent pas, comment serons-nous approvisionnés ?


En effet, faute d’une réflexion aboutie sur les questions de sécurité et de santé au travail dans le cadre d’une gestion des risques qui aurait intégré la probabilité d’une crise pandémique, de nombreuses entreprises ont dû fermer et arrêter leurs opérations de production et de logistique pendant plusieurs semaines, le temps de se réorganiser. Alors, peut-on encore se permettre de ne pas mettre les enjeux de management des ressources humaines au cœur des stratégies supply chain ?


Dans le même temps, la thématique de la résilience des supply chains est (ré)apparue très fortement tout au long de la gestion de cette crise, puisqu’elle correspond à leur capacité à résister et à se rétablir rapidement après des perturbations inattendues. Or, le développement de pratiques de sécurité et santé au travail est, dans les approches purement académiques du supply chain management, considéré comme un des nombreux leviers d’amélioration de la résilience des supply chains… Néanmoins, ce levier a jusqu’alors été très peu envisagé par les entreprises. Encore un exemple du « décalage entre théorie et pratique » qu’il nous faut collectivement résoudre ! Elles se sont plutôt concentrées sur des outils de visibilité (via la digitalisation et les outils connectés de l’industrie 4.0) ou sur la création de redondances capacitaires en créant des stocks de sécurité ou en développant des « plans B » voire des « plans C » pour rebondir en cas de ruptures.


Alors, j’ose ici, sur la base de mes recherches, un plaidoyer pour une meilleure considération stratégique des apports des pratiques de sécurité et santé au travail à la performance du supply chain management, et plus précisément à sa résilience.

 

Les pressions institutionnelles en termes de sécurité et santé au travail comme inattendues salvatrices

Les parties prenantes d’une entreprise peuvent exercer une influence, nommée « pression institutionnelle », sur les règles, les réglementations ou les normes qui la régissent. Plus clairement : actionnaires, clients, concurrents, fournisseurs, syndicats ou encore gouvernements peuvent exercer des pressions pour que l’entreprise adopte de nouvelles pratiques… Ces pressions sont souvent vécues comme des contraintes néfastes par les entreprises ! Mais ne peuvent-elles pas aussi être salvatrices ?


Notre étude empirique et statistique auprès de 186 directeurs en supply chain management basés en France a analysé de près les dynamiques qui se sont jouées dans les coulisses des supply chains mondiales pendant la pandémie. Les résultats sont édifiants. Ils confirment le rôle vital des parties prenantes qui génèrent des pressions institutionnelles dans la gestion de la sécurité et de la santé au travail.


Plus précisément, le port du masque et la distanciation sociale, imposés par l’environnement institutionnel, ont brusquement placé les questions de sécurité et de santé au sommet des priorités, notamment pour les métiers les plus opérationnels de première et seconde lignes. Les parties prenantes, qu’il s’agisse de fournisseurs ou de clients, ont intensifié leurs exigences en matière de pratiques de sécurité et de santé au sein de ces supply chains. Ce changement de cap a incité de nombreuses entreprises à étendre volontairement leurs pratiques de sécurité et de santé au travail, voire à les mettre en place pour la première fois. Les résultats de l’étude scientifique mettent en lumière l’influence positive de ces pressions institutionnelles issues des parties prenantes : elles les ont poussées à aller au-delà de la simple conformité réglementaire, un résultat presque inédit !


Autre résultat clé de cette étude : les pratiques de sécurité et de santé au travail ont été identifiées statistiquement comme des atouts majeurs pour faire face aux risques liés à l’environnement volatil (donc contribuent de manière très significative à la résilience !) mais aussi aux risques liés aux questions sociales de manière large, telles que la préservation de l’emploi et les conditions de travail. Les entreprises qui avaient déjà intégré ces pratiques avant la crise pandémique ont mieux réussi à s’adapter aux bouleversements provoqués par la pandémie et à faire face aux menaces de perturbations. Une nouvelle fois, ce résultat démontre qu’en matière de gestion des risques et de résilience, l’anticipation paie plus que la réaction ! Or, les scientifiques sont formels, il y aura d’autres pandémies.


En fin de compte, cette étude démontre que les entreprises qui répondent aux exigences de leurs parties prenantes en matière de sécurité et de santé au travail peuvent non seulement renforcer leur résilience face aux perturbations, mais aussi maintenir leur réputation et améliorer leurs performances sociales. En ces temps incertains, l’importance de la sécurité et de la santé au travail ne saurait être surestimée, et elle est devenue un pilier de la durabilité des supply chains à l’échelle mondiale. J’urge alors les professionnels du supply chain management de (ré)intégrer ces réflexions managériales au cœur de leurs stratégies.

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