Transversal
L’éthique du dernier kilomètre, entre durabilité et exigences client
Le dernier kilomètre, parfois considéré comme le maillon le plus délicat de la chaîne logistique, met en lumière des enjeux qui dépassent la supply chain. Il combine expériences clients, performance opérationnelle et enjeux sociaux et environnementaux. Exploration de ce maillon en pleine transformation à travers le prisme d’une perspective parfois oubliée : l’intégration de l’éthique dans les pratiques du dernier kilomètre. Une tribune signée par Guillaume Asconchilo, manager supply chain chez Bartle.
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Les enjeux de la livraison ultra rapide
En France, en 2022, plus de 1,5 milliard de colis ont été distribués. Fin 2023, La Poste prévoyait de livrer quotidiennement plus de 2 millions de Colissimo. La e-consommation continue de croître et bien souvent l’expérience de livraison est la seule interface entre le client et la marque. Ainsi, les distributeurs portent une attention particulière à ce dernier maillon pour assurer un service de qualité qui réponde à toutes les attentes du consommateur, quitte, parfois, à en faire trop.
Le très haut niveau de performance opérationnelle de certains acteurs a poussé la livraison ultra rapide comme un standard. Être livré le jour même de sa commande, voire dans l’heure suivant l’achat ne surprend plus personne. Cela est même devenu un gage de qualité qui pose cependant certaines questions. Ai-je réellement besoin de me faire livrer ce produit que je peux trouver en magasin à côté de chez moi ? Ai-je vraiment besoin d’être livré tout de suite pour chacun de mes achats plutôt que d’attendre un peu pour être livré en une seule fois ? Ces habitudes engendrent beaucoup de kilomètres parcourus qui pourraient être évités, beaucoup de déchets qui pourraient être réduits et beaucoup de stress pour les livreurs ayant toujours plus de colis à livrer en un laps de temps contraint.
Repenser la promesse de livraison pour une approche raisonnée
Fort de ce constat, certains distributeurs ont questionné leurs clients pour connaître les réelles attentes en termes de livraison. D’après une étude du groupe Star Service menée par l’IFOP en septembre 2021, plus de 70 % des e-consommateurs auraient une meilleure image des commerçants s’ils proposaient une livraison responsable. Les promesses peuvent (doivent ?) donc être revues afin de proposer une livraison raisonnée. Cela permettrait d’améliorer la performance du dernier kilomètre sur bien des aspects. Par exemple, la rétention des commandes permettrait une massification des flux et donc une optimisation du transport et une diminution des gestes inutiles. Les emports pourraient ainsi être optimisés ainsi que les tournées de distribution.
Les enjeux environnementaux et les nouvelles approches de livraison
Les enjeux environnementaux sont également à prendre en compte. D’après l’Agence européenne pour l’environnement, au moins 238 000 décès prématurés ont été dus aux particules fines dans l’Union européenne en 2020. La politique de mise en place des zones à faibles émissions dans les grandes villes vise, entre autres, à diminuer ce chiffre. Cela implique donc de repenser les moyens de livraison pour la logistique du dernier kilomètre. Il ne sera bientôt plus possible d’accéder aux centres urbains avec des véhicules polluants, du fait des nouvelles réglementations mises en œuvre et de la piétonisation grandissante des centres villes. Les distributeurs doivent trouver de nouveaux moyens de livraison qui répondent à ces enjeux. Le vélo cargo, en plein essor, ne cesse d’évoluer dans le but d’avoir toujours plus d’emports et de simplifier au maximum le travail du livreur. La startup Pelican Cycles propose par exemple un vélo wagon à assistance électrique offrant le même volume d’emports qu’un Renault Kangoo. Cela permet de décongestionner les centres villes, de diminuer les impacts environnementaux ainsi que la pollution sonore.
La collaboration entre acteurs pour un dernier kilomètre responsable
Ces enjeux vont également pousser les acteurs de la distribution à collaborer pour opérer le dernier kilomètre. Ces entreprises aujourd’hui concurrentes vont devoir faire évoluer leurs pratiques afin de réfléchir à des mutualisations de moyens pour acheminer leurs produits dans les centres villes et pouvoir les distribuer. Les moyens de transports carbonés devant être limités, il faut partager les capacités d’emports pour optimiser les flux et diminuer les impacts environnementaux. De même, les espaces logistiques en centre-ville ne sont pas extensibles. Des hubs partagés doivent donc être créés en réutilisant des espaces vides ou non utilisés. Ainsi, La Poste propose une nouvelle offre logistique, Log'issimo, qui réutilise ses espaces libres en centre-ville pour répondre aux besoins en services logistiques de proximité. Certains parkings sont également utilisés comme hub éphémère la nuit.
La logistique du dernier kilomètre évolue vers une approche plus responsable et éthique. Au-delà de la performance opérationnelle, l'éthique occupe une place centrale. Nous pouvons envisager un avenir où la livraison du dernier kilomètre se fera majoritairement par des moyens de transport non polluants tels que les vélos cargos électriques ou les véhicules utilitaires électriques. Les partenariats et les collaborations entre les acteurs de la chaîne logistique se multiplieront pour optimiser les flux et réduire les émissions. De plus, nous pouvons imaginer un développement des technologies de pointe, telles que la robotique et l'intelligence artificielle, pour faciliter la gestion des livraisons du dernier kilomètre. Nous avons tous un rôle à jouer, en tant que consommateurs dans nos manières d’acheter, en tant qu’entreprise dans la promesse client et la manière d’opérer le dernier kilomètre et en tant que société pour favoriser et impulser les transformations. C'est le moment d'innover pour un dernier kilomètre plus éthique et durable.
À propos de l'auteur et de Bartle
Cabinet de conseil en management pluridisciplinaire indépendant créé en 2005, Bartle mobilise près de 300 consultant(e)s sur des sujets de vision et de conduite de projet chez ses clients. Les grands enjeux ? Identifier et explorer des pistes de diversification stratégique, améliorer l’efficacité opérationnelle, conduire des projets avec efficience.
Consultant chez Bartle depuis 2018, Guillaume Asconchilo accompagne les transformations des différents acteurs supply, notamment sur les sujets du dernier kilomètre. Ses expériences passées comme responsable en entrepôts et sa formation d'ingénieur Arts et Métiers lui donne une vision pragmatique et réaliste au service des projets.