Transversal
Décarboner la Bretagne : la recette du Shift Project pour la logistique
L’association « The Shift Project » éclaire les débats ainsi que les décideur·se·s politiques et économiques pour décarboner l’économie. Elle a posé ses valises en Bretagne il y a quelques mois pour travailler à l’échelon régional. Quelles sont les principales orientations relatives à la supply chain, à la logistique et au transport de marchandises identifiées par le rapport intermédiaire ? Eléments de synthèse avec Elodie Le Provost, déléguée générale de Bretagne Supply Chain.
©
Adobe Stock - Par grafxart
L’association The Shift Project veut éclairer les acteurs économiques et politiques pour sortir des énergies fossiles. Un « Plan national de Transformation de l’Economie Française » a été élaboré en 2022. Il listait des solutions pragmatiques pour décarboner l’économie, favoriser la résilience et l’emploi.Planification écologique, Stratégie Nationale Bas-Carbone 2 (SNBC2)… Les ambitions nationales semblent élevées. Mais les objectifs dans les régions ne sont pas alignés à ce jour sur l’objectif national de neutralité carbone en 2050. Les politiques régionales et sectorielles doivent donc être cohérentes entre la planification économique, la décarbonation et l’emploi.
The Shift Project a décidé de porter son regard sur les économies régionales. Et l’association a choisi la Bretagne pour lancer une réflexion méthodologique. Le rapport intermédiaire de ce travail initié à l’automne 2023 est sorti le 17 avril 2024. Il présente des orientations pour une planification régionale bas-carbone répondant aux enjeux énergie, climat et emploi à horizon 2050.
Le transport de marchandises : vital mais dépendant des énergies fossiles
L’objectif affiché dans la SNBC2 est de réduire de 28 % les émissions de CO2 des activités de transport de marchandises d’ici 2030. Ces activités sont vitales mais sont aujourd’hui fortement dépendantes des énergies fossiles. Les équipes de The Shift Project ont analysé de nombreux éléments : volumes transportés (17 millions de tonnes.kilomètres (t.km) transportés en Bretagne en 2017, 4e région française), modes de transport des marchandises (99 % routier), nature des marchandises transportées (deux tiers des tonnages sont représentés par les matériaux de construction, les minerais et les produits alimentaires et agricoles), infrastructures et réseaux, distances moyennes parcourues (intra régional et intra-départemental fortement majoritaires en Bretagne en t.km), parc de véhicules, topographie…
The Shift Project a mis en lumière certains éléments significatifs. Par exemple, en Bretagne, le fret utilise 75 % de l’énergie produite en Bretagne. Il y a donc un fort enjeu de sobriété énergétique du transport de marchandises sur ce territoire. La pertinence d’un outil comme Bretagne Supply Chain sur le territoire a également été mise en avant. Les clusters servent de point d’entrée, de point d’appui et disposent d’un panel de contacts et d’une expertise d’une grande d’aide.
Les leviers de décarbonation du fret en Bretagne
Globalement, la palette des leviers mobilisables pour décarboner le transport de marchandises est assez large : la réduction de la demande de transport, l’électrification des véhicules et des infrastructures, le report modal vers le fer et le fluvial, la massification et la mutualisation et la cyclo-logistique. Mais ces leviers ne sont pas toujours mobilisables dans des ampleurs comparables en Bretagne. Pour atteindre les objectifs nationaux, The Shift Project donne les orientations suivantes pour la Bretagne :
• Limiter la demande de transport en transportant moins et moins lourd (emballages) et en augmentant le taux de remplissage des véhicules (baisser les cadences / fréquences de livraison, favoriser l’usage des doubles planchers, des palettes fines et légères, du chargement vrac, du gerbage et réduire des retours à vide via la mutualisation et la massification sur des plateformes multi-utilisateurs) ;
• Décarboner l’énergie en électrifiant le parc de véhicules et les infrastructures (routes électrifiées) et en augmentant la part des biocarburants. Le renouvellement complet du parc se fait naturellement en 15 ans (horizon 2039). L’atteinte des objectifs nécessite donc un plan très volontaire ;
• Améliorer l’efficacité énergétique du fret, soit en passant d’une énergie thermique à l’énergie électrique, soit via le report modal ;
• Diversifier les modes de transport.
Pour The Shift Project, une réflexion sur le maritime pour le transport intrarégional serait pertinente. Le développement acté du ferroviaire ne contribuera que marginalement aux objectifs nationaux. Même si le fret ferroviaire se développe très fortement, ce ne sera pas à la hauteur des objectifs nationaux (objectif de part modale à 18 % en moyenne nationale, la Bretagne pouvant atteindre maximum 5 %). Le développement de la cyclo-logistique, bien lancée en Bretagne, nécessitera une évolution de l’infrastructure régionale et plus largement de la place de la logistique en général.
Selon The Shift Project, les efforts seront d’autant plus importants (30 % supplémentaires par rapport au niveau national) à faire sur certains leviers que le report modal est limité en Bretagne. Il faudrait notamment limiter la demande de transport et accélérer la transition énergétique. Les priorités seraient alors une électrification accélérée des véhicules utilitaires, l’expérimentation des routes électrifiées et l’utilisation de biogaz et de biocarburants.
L’évolution associée des emplois et compétences
Les chiffres sur l’emploi sont difficiles à objectiver sans connaître l’évolution de la demande de transport. Mais The Shift Project prévoit que la transformation liée à la décarbonation du fret se traduise d’abord par une forte baisse en Bretagne des emplois dans le transport de marchandises (-20 % après transformation, passant de 37 000 emplois à 30 000). Cela est significatif par rapport au scénario national, qui prévoit une stabilité des emplois du transport avant et après transformation.
Deuxième enseignement : la transformation devrait avoir des effets très contrastés sur l’emploi selon les modes de transport. Le nombre d’emplois devrait baisser dans le transport routier (-10 000 emplois environ). Cette baisse serait corrélée, selon The Shift Project, à une bien meilleure considération et valorisation du métier de conducteur·rice. A contrario, l’emploi devrait augmenter en cyclo-logistique (+5 000) et dans le ferroviaire. Côté formation, The Shift Project met l’accent sur l’enjeu de formation des conducteur·rice·s de VUL à un module énergie/climat, voire à l’écoconduite.
Vers une gouvernance régionale
Pour The Shift Project, une gouvernance régionale du transport des marchandises articulant moyens financiers et infrastructures serait pertinente. Cette gouvernance pourrait porter une stratégie ambitieuse avec des décisions politiques contraignantes pour limiter la demande de transport : obtention d’un certificat d’effort / de contribution à la décarbonation quand une entreprise (transporteur, chargeur ou commissionnaire) atteint ses objectifs ; règlementation sur les jours autorisés de livraison ; règlementation sur le sens des flux ; limitation du nombre d’acteurs par typologie de produits et par zone géographique (Délégation de Service Publique).
The Shift Project souligne que la Bretagne est un territoire propice pour inventer un nouveau modèle pour la décarbonation du fret. Dans ce modèle à tester, un pilote régional deviendrait autorité régionale organisatrice de transport. Il mobiliserait des financements et les infrastructures pour décarboner. Cette gouvernance innovante pourrait certainement se mettre en place en Bretagne plus facilement que dans d’autres régions. The Shift Project liste pour cela plusieurs facteurs favorables : la péninsularité de la Bretagne, son tissu économique, sa topographie, sa culture et son histoire récente.
Et sur le volet industriel de la supply chain ?
The Shift Project a également étudié la décarbonation de l’agro-agri-industrie. La prospective mobilise plusieurs tendances directement liées à la supply chain : travailler sur les approvisionnements (relocalisation, reterritorialisation de systèmes alimentaires), optimiser les emballages et améliorer le transport et notamment le remplissage des véhicules.
La décarbonation des chaînes logistiques ne semble pas encore être un enjeu majeur pour les professionnel.le.s des secteurs agricoles et agro-alimentaires. Ce rapport intermédiaire souligne également la nécessaire mobilisation de la distribution, et notamment de la GMS pour décarboner. C’est une véritable réorganisation des chaînes logistiques à prévoir !