Emploi/RH
La rencontre
Une tribune signée par Philippe-Pierre Dornier, professeur à l'Essec et fondateur et président de Newton.Vaureal Consulting, cabinet spécialisé dans le conseil en supply chain et la performance des opérations.
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Chacun se plaît à reconnaître aujourd’hui, la difficulté des recrutements auxquels les organisations supply chain sont confrontées à tous les niveaux : pénurie de candidature, infidélité rapide, choix limités,… Que ce soit dans les postes d’opérateurs ou dans ceux d’encadrement, la difficulté est souvent la même : trouver le bon profil. Si l’attractivité de ces métiers évolue au fil des années, elle reste encore insuffisante. Pour les opérateurs, elle est marquée par une image où prédominent encore le caractère basique des opérations, une certaine pénibilité et des rémunérations perçues comme insuffisantes. Pour les postes d’encadrement, le domaine apparaît pour les potentiels impétrants comme un ensemble de métiers techniques, de spécialistes et qu’il est difficile de quitter. Restons focalisés dans ce qui suit sur les métiers de l’encadrement. Si la question de la difficulté du recrutement est observée souvent du côté recruteur, plaçons-nous du côté des personnes à recruter et interrogeons-nous sur les actions qui pourraient aujourd’hui les inspirer à rentrer sur le chemin de nos métiers.
En ce début de période estivale, les derniers choix d’orientation se font pour les étudiants. Mais les congés se profilent pour les professionnels et leur quotidien va temporairement s’alléger en leur offrant un temps plus libre, qu’ils pourront saisir pour envisager une contribution plus intense de leur part pour s’investir dans une meilleure attractivité des métiers supply chain.
Si l’amélioration de cette attractivité passe par des impulsions techniques en termes d’effort sur la marque employeur, ou sur le niveau des rémunérations, elle est souvent, avant tout, une question de rencontre. Une figurante inspirante rencontrée lors d’un stage, un mentor qui décille le regard sur une orientation professionnelle qu’on ne soupçonnait même pas, un échange qui vous éclaire une voie restée jusqu’alors invisible ou incomprise… et la voie des métiers supply chain peut s’ouvrir pour une vie professionnelle durant. L’étymologie du mot « rencontre » renvoie au lancement de dés qui définissait le combat entre deux chevaliers. Une rencontre reste ainsi toujours empreinte de hasard et d’une forme de confrontation de deux individualités qui se découvrent et qui se jaugent.
« Qui vous a mis sur le chemin de votre carrière dans la supply chain ? »
Chacun d’entre nous peut s’interroger sur les causes qui l’ont amené à intégrer la communauté de la supply chain. Je pose ainsi fréquemment à mes interlocuteurs la question suivante : « Qui vous a mis sur le chemin de votre carrière dans la supply chain ? ». Le hasard y est toujours pour beaucoup. Parfois, le hasard désincarné. Ainsi, le dirigeant d’une filiale logistique d’un important distributeur, qui goguenard m’a expliqué un jour qu’il avait trouvé dans sa boîte aux lettres de manière imprévisible, un journal professionnel relatif à la logistique. Sa lecture l’avait passionné et il avait décidé de « rentrer en supply chain ». Un patron d’un prestataire logistique, modeste, m’expliqua un jour « que jeune, il ne savait rien faire ». Le métier dont les barrières à l’entrée étaient les plus faibles, était préparateur de commandes en entrepôt. Et une fois rentré, par hasard, dans ce domaine, pour gagner sa vie, il avait découvert un univers qui lui a permis de s’épanouir et de progresser.
Mais souvent, l’ouverture de la voie professionnelle se fait par le biais du hasard, incarné. Qui dans sa vie n’a pas fait la rencontre de deux, trois ou quatre personnes qui ont fait jouer les aiguillages ? A-t-on bien ces personnes présentes à l’esprit et rendons-nous leur suffisamment hommage ? Nous ne faisons pas assez cet exercice de reconnaissance. Pour ma part, j’ai deux personnes qui ont pesé sur ma professionnelle. Hervé Mathe, professeur à l’ESSEC, qui m’a fait rentrer à l’époque en « logistique » pour le rejoindre. Étudiant à l’ESSEC et menant un travail pour Renault, je suis allé le voir dans son bureau pour lui demander un conseil. Un mois plus tard, j’étais embauché à l’ESSEC et 40 ans après, je n’ai toujours pas quitté cette Business School, et mon destin supply chain était scellé. Et plus tard, Christian Da Costa Noble, alors dirigeant de Tailleur Industrie, ancêtre de Geodis, m’invitait une fois par an à dîner. Il a pesé pour l’ajout d’une autre dimension à ma vie professionnelle, celle du conseil. L’objet de notre rencontre annuelle était d’échanger sur mes étudiants de l’ESSEC. Et au cours d’un dîner, il y a 25 ans, il s’est préoccupé de mes activités, en m’incitant puis en m’accompagnant dans ses débuts, dans la création de Newton.Vaureal Consulting. Une pensée pour eux deux.
Rencontre étudiante
Pour moi, comme pour beaucoup, c’est souvent une rencontre étudiante qui a été avant tout déterminante. S’il n’est pas impossible de rentrer dans ces métiers plus tard, après de premières expériences dans d’autres domaines, ici comme pour d’autres fonctions, l’âge et le niveau de rémunération attendue font que les entreprises recherchent des profils déjà initiés. L’entrée en supply chain, se fait donc jeune.
Le moment de la formation d’un étudiant est un moment privilégié pour éclairer et accompagner les plus jeunes dans la reconnaissance de leur destin. Nourrir les rencontres, en donnant son temps à autrui, sans nécessairement en rechercher un gain direct, accepter même de « perdre » du temps avec de jeunes profils en recherche de leur voie professionnelle, c’est œuvrer pour accompagner l’épanouissement de vocations. Quand bien même cela n’induirait pas nécessairement un retour sur investissement, si chacun consacre un peu de son temps à évangéliser, les vocations se multiplieront et les candidatures finiront bien par s’intensifier et affluer. De mon retour d’expérience de professeur à l’ESSEC, je vois plusieurs contributions déterminantes apportées par des professionnels auprès des étudiants qui ont une influence forte sur leurs choix professionnels.
La première capacité d’influence réside dans le partage simple et sincère de son expérience professionnelle. Accepter de participer dans des formations comme témoin professionnel donne l’occasion aux étudiants de se projeter dans la vie d’un professionnel et ils y voient fréquemment un exemple inspirant et à suivre. La seconde est la prise en charge d’un cours, contribution plus importante, plus exigeante mais qui offre une occasion unique à celui qui délivre son savoir de synthétiser et de formaliser son expérience. Ce qui peut être clairement expliqué et transmis peut être ensuite délégué. Et pour celui qui enseigne, cela ouvre des perspectives nouvelles de liberté et de conquête d’espaces nouveaux. Enfin, la troisième est celle de l’encadrement d’un étudiant dans le cadre d’un stage ou d’un apprentissage, multipliant les opportunités d’échange dans un temps long et apportant une proximité très proche.
Tous ces investissements de la part de professionnels peuvent apparaître comme exigeants en termes de temps. Mais quelle gratitude pour soi de se dire qu’on a provoqué la rencontre et qu’on a œuvré humainement à accompagner un jeune talent dans la découverte de sa voie.