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Inégalité de genre dans la supply chain : il est temps d’agir !

Une tribune signée par Salomée Ruel, professeure en supply chain management au sein d'Excelia Business School.

Publié le 16 septembre 2024 - 16h00
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Les métiers de la logistique et du supply chain management (SCM) sont souvent perçus comme des domaines où la performance prime avant tout. Pourtant, un enjeu majeur persiste, souvent sous-estimé : l’inégalité de genre. Alors que les entreprises cherchent à innover et à se rendre plus résilientes, il est crucial de se poser une question essentielle : Comment maximiser les performances si la moitié du potentiel humain est laissé de côté ? Ce n’est pas une nouvelle question que je soulève pour Voxlog, mais je reviens cette fois-ci avec une toute nouvelle recherche scientifique et des nouveaux résultats à partager.

Dans cette étude, je n’ai pas interrogé les femmes et les hommes qui travaillent en SCM. Non. J’ai cherché plutôt à faire la synthèse des « connaissances » (donc ce qui a été publié dans la littérature scientifique) sur le sujet. Ainsi, j’ai identifié 238 articles académiques qui, lors de ces 47 dernières années, ont traité de manière plus ou moins directes des questions de genre logistique et en SCM.
Première remarque : ces dernières années, le nombre de recherches sur les questions de genre en SCM a littéralement explosé, preuve (s’il en faut encore) que le sujet est d’actualité. Les résultats confirment une réalité préoccupante. Bien que les discours autour de la diversité et de l’inclusion progressent, la représentation des femmes dans le SCM reste faible, particulièrement dans les postes de direction. Si nous voulons réellement changer la donne, il est temps d’affronter cet enjeu avec plus de sérieux et d’engagement. Car au-delà de la justice sociale, la diversité de genre représente un levier de performance économique.

 

Toujours une large domination par les hommes

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Dans certaines activités de la logistique, comme le transport, les femmes représentent à peine 2 % des effectifs. Elles sont également sous-représentées dans les rôles techniques et décisionnels, où leurs compétences peuvent être remises en question par des stéréotypes profondément ancrés... et inconscients ! Cette sous-représentation ne se limite pas aux chiffres : elle impacte la diversité des idées, freine l’innovation et limite les performances des entreprises.
La situation est exacerbée par des disparités salariales persistantes. À compétence et expérience égales, les femmes gagnent souvent injustement moins que leurs homologues masculins. Cela, bien sûr, est inacceptable, mais c'est également un frein à la rétention des talents féminins dans le secteur (certaines n’hésitent plus à fuir…). Alors, comment attirer et retenir les talents féminins si l’égalité de traitement n’est pas au rendez-vous ? De plus, le harcèlement et les biais de genre restent un problème omniprésent. Oui, de nombreuses femmes dans la logistique et le SCM rapportent (encore) des discriminations au quotidien. Ces comportements toxiques non seulement nuisent aux femmes, mais créent un environnement de travail globalement moins productif. Aucune entreprise n’a à y gagner.

 

Le rôle essentiel des ressources humaines dans l’inclusion

Les RH jouent un rôle fondamental dans la promotion de l’égalité de genre. Pourtant, dans beaucoup d’entreprises, les politiques de diversité et d’inclusion restent superficielles : des processus de recrutement biaisés (marqués par l’homophilie), un manque de transparence dans les promotions, et une absence de flexibilité pour répondre aux défis de la conciliation travail-famille rencontrés principalement par les femmes.
Or, promouvoir l’égalité de genre, ce n’est pas seulement corriger une injustice, c'est aussi investir dans la performance collective. Les études que j’ai recensées montrent que les équipes diversifiées prennent de meilleures décisions, sont plus innovantes et plus aptes à gérer les crises. En SCM, où l’adaptabilité et la réactivité sont vitales, ignorer cette réalité serait une erreur stratégique majeure.
Les entreprises qui souhaitent progresser doivent mettre en place des politiques claires et mesurables pour l'égalité de genre, incluant des actions concrètes : révision des salaires, programmes de mentorat, formation sur les biais inconscients, et offres de travail flexible (le fameux « future of work » !) pour répondre aux besoins des employés. En bref, arrêter de cacher la poussière sous le tapis (ça commence à se voir…). Le rôle du SCM dans tout cela ? Et bien, alerter le service RH sur une nécessité de revoir des processus et des pratiques… mais aussi, prendre des initiatives partout là où c’est possible rapidement, sans attente de nouveaux processus RH…

 

Les femmes : des atouts sous-exploités pour la durabilité et l’innovation

Un aspect souvent négligé dans le SCM est le rôle des femmes dans la promotion de pratiques durables et innovantes. Nombreuses des études recensées montrent que les femmes sont souvent plus attentives aux enjeux environnementaux et éthiques dans leur prise de décision. Cela se traduit par une tendance à favoriser des pratiques durables telles que le choix de fournisseurs responsables (lorsque les grilles critériées laissent une marge de manœuvre…) ou encore le suivi plus strict des procédures de sécurité et de conformité. Par ailleurs, la présence des femmes dans les équipes permet d’apporter une diversité de perspectives, terreau de l’innovation. Les femmes tendent à adopter une approche plus collaborative et inclusive, favorisant ainsi le dialogue et l’exploration de nouvelles idées pour relever les défis auxquels les entreprises sont confrontées, et c’est aussi vrai en SCM.
Ne pas exploiter ce potentiel équivaut à passer à côté d'une opportunité de transformation majeure. En intégrant davantage de femmes à des postes stratégiques, les entreprises peuvent non seulement améliorer leur performance durable, mais aussi se positionner en tant que leaders dans la transition vers une économie plus verte, plus sociale, en bref : plus responsable.

 

Vers un changement de mentalité dans la supply chain

Si nous voulons voir de réels progrès, il est impératif de changer les mentalités (le fameux mindset !). Les préjugés de genre persistent, et cela commence dès le recrutement. Il est courant d’entendre que les femmes seraient moins intéressées ou moins compétentes dans des rôles techniques ou quantitatifs, un stéréotype dépassé qui freine leur accès à ces postes. Combien de talents sont ainsi gaspillés ? Dans cette recherche, je suggère que les entreprises les plus performantes en SCM sont souvent celles qui ont réussi à instaurer un changement de mindset en interne, en valorisant réellement la diversité et en créant un environnement de travail inclusif. Cela signifie revoir en profondeur les critères de recrutement et de promotion, mais aussi créer un cadre où chaque employé, indépendamment de son genre, se sent respecté et encouragé à contribuer pleinement.

 

Conclusion : l’égalité de genre, une urgence stratégique

Promouvoir l’égalité de genre dans le SCM n’est pas un acte philanthropique. C’est surtout un enjeu stratégique. Les entreprises qui ne parviennent pas à valoriser ce potentiel se privent d’un levier d'innovation et de performance essentiel. Dans un environnement économique de plus en plus volatile, marqué par des disruptions successives des supply chains, la diversité (et pas seulement de genre…) devient un atout compétitif incontournable. Il est temps pour les dirigeants de la logistique et du SCM de prendre position et d’agir. Non seulement pour aligner leurs pratiques sur les Objectifs de développement durable des Nations unies (je pense à l’ODD 5 qui vise à l’égalité entre les genres), mais aussi pour s’assurer que leur entreprise soit à la hauteur des défis économiques et sociaux de demain. Le talent n'a pas de genre.

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