Transversal
La logistique à l’heure de la décarbonation : les solutions IT pour une supply chain verte
Une tribune signée par Jean-Louis Lamidon, directeur logistique de l'ESN (Entreprise de service numérique) SCC France.
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La décarbonation n’est plus une simple option, mais une nécessité mondiale. Le secteur de la logistique, qui représente environ 14 % des émissions mondiales de CO2, doit impérativement se transformer pour répondre aux défis climatiques. Alors que les pressions des gouvernements et des consommateurs en faveur de pratiques plus responsables s’intensifient, les technologies de l'information (IT) se révèlent être des leviers puissants pour remodeler en profondeur les chaînes d'approvisionnement.
Comment les technologies IT peuvent-elles transformer la supply chain pour répondre aux défis environnementaux et réduire significativement les émissions de CO2 dans le secteur logistique ? En posant cette question, on prend conscience du potentiel énorme que représente l'IT pour le secteur logistique, tant dans la réduction des émissions que dans l'optimisation des performances.
Ces innovations technologiques ne se contentent pas d'optimiser les flux logistiques ; elles redéfinissent la manière dont les entreprises réduisent leur impact environnemental. De la gestion des ressources à l’optimisation des trajets, en passant par les simulations numériques, ces technologies contribuent directement à la réduction des émissions de CO2, tout en améliorant la performance économique des entreprises.
Une analyse en cinq axes :
1 - Un cadre légal de plus en plus contraignant
En France, la réglementation joue un rôle moteur dans cette transformation. Le décret tertiaire de 2019 impose une réduction drastique de la consommation énergétique des bâtiments tertiaires, avec des objectifs chiffrés : une baisse de 40 % d'ici 2030, 50 % d'ici 2040, et 60 % d'ici 2050, par rapport à une année de référence située entre 2015 et 2020. Ces exigences visent à aligner le secteur du bâtiment sur les engagements climatiques nationaux. En parallèle, les entreprises doivent anticiper les sanctions prévues en cas de non-respect, ce qui les incite à investir massivement dans la rénovation énergétique et les technologies vertes.
À titre d’exemple, un bâtiment tertiaire moyen de 1 000 m² consomme environ 220 kWh/m²/an en énergie finale. Atteindre les objectifs de réduction fixés par le décret pourrait permettre de réduire cette consommation à environ 132 kWh/m²/an d’ici 2030, avec des économies significatives en coûts d’exploitation.
2 - Les jumeaux numériques : une révolution dans la modélisation des flux
L’une des innovations les plus prometteuses est l’utilisation de jumeaux numériques, qui permettent de modéliser des scénarios logistiques complexes. Ces répliques virtuelles de réseaux physiques permettent aux entreprises de simuler et d'optimiser l'ensemble des processus dans une vision end-to-end, de la production à la livraison finale. En visualisant les stocks, les flux de transport et les emplacements stratégiques des entrepôts, les directions supply chain peuvent élaborer des schémas d'approvisionnement minimisant les distances parcourues. Cela se traduit par une réduction significative du carburant consommé et, par extension, des émissions de CO2.
Ce type de jumeau numérique peut également déterminer le meilleur positionnement des stocks dans la supply chain (entrepôts, centres de distribution, magasins), en fonction de la demande prévisionnelle des clients. Cette simulation des flux permet d’estimer le risque de ruptures de stock en fonction de différents scénarios de couverture de stock par maillon de la supply chain et ainsi à terme de réduire les trajets inutiles (moins de retours à gérer, moins de transport express de dépannage pour approvisionner des points de vente en rupture produits) et donc d’alléger l’empreinte carbone du transport.
3 - L’IoT et l’IA au service d’une logistique plus verte
L'un des principaux défis de la chaîne d'approvisionnement réside dans l'optimisation de la gestion des stocks et de l'approvisionnement. Il s'agit de disposer des bons produits, en quantité suffisante, au bon endroit et au bon moment pour répondre aux demandes des clients. C'est précisément sur cet aspect que l'intelligence artificielle peut apporter des solutions innovantes en optimisant la gestion des stocks.
L'IoT révolutionne la logistique en offrant une visibilité en temps réel sur les stocks et l'utilisation des ressources. Grâce aux capteurs connectés dans la supply chain, les entreprises peuvent connaître précisément la quantité, la localisation et l'état de leurs produits. Par exemple, un magasin détectant instantanément une rupture de stock de t-shirts bleus taille L via une étiquette RFID lue en caisse automatique peut déclencher un réapprovisionnement immédiat dans l’entrepôt. Cette approche permet de réduire le niveau de couverture de stock en magasin, d’anticiper les besoins de réapprovisionnement en entrepôt (commande reçue au fil de l’eau), de mutualiser les livraisons et de réduire significativement l'empreinte carbone.
L'IoT joue aussi un rôle clé dans le suivi énergétique des installations logistiques. Des systèmes intelligents ajustent automatiquement la consommation pour l’éclairage ou le chauffage, notamment dans les entrepôts, en fonction de l'occupation, de la lumière naturelle ou des besoins opérationnels. Ces optimisations réduisent significativement la consommation énergétique et par conséquent, les émissions de CO2.
4 - L’innovation dans le transport : des gains concrets
Le secteur du transport de marchandises, responsable d'environ 15 % des émissions de CO2 en France, est au cœur de la décarbonation logistique. Plusieurs initiatives, comme le programme Fret21, visent à réduire ces émissions grâce à des actions concrètes. Par exemple, une entreprise participante a évité l'émission de 87 tonnes de CO2 en trois ans grâce à des initiatives telles que :
• L'utilisation de carburants alternatifs, comme l’Oleo100 (un biocarburant), pour ses poids lourds ;
• Le recours systématique au transport routier pour les expéditions européennes, plutôt que par avion ;
• L'optimisation des trajets avec des transporteurs engagés dans des démarches écoresponsables.
Ces actions s’inscrivent dans une démarche plus large visant à réduire les consommations d’énergie, en densifiant le remplissage des camions, réduisant les kilomètres parcourus et en remplaçant les carburants fossiles via le recours à des bio-carburants ou des véhicules électriques ou hybrides, en particulier pour la livraison du dernier kilomètre.
5 - Le reporting et monitoring
Les innovations IT permettent un suivi plus précis des émissions de gaz à effet de serre (GES). Grâce à des systèmes de télématique avancés et à la gestion de flotte, les entreprises peuvent aujourd'hui calculer en temps réel leur consommation de carburant et leurs émissions de CO2 par camion, par client ou par trajet.
Pour répondre aux objectifs de l'Accord de Paris (réduction de 30 % des GES en 2030), à la loi européenne pour le climat (neutralité climatique en 2050) et aux réglementations nationales (comme le décret tertiaire), les entreprises doivent mettre en place un reporting précis et régulier. La CSRD encadre cette démarche et impose notamment d’intégrer les émissions CO2 de scope 3 (dont le transport constitue bien souvent une part majeure). Des plateformes numériques de reporting permettent de consolider les données, mais aussi de suivre les progrès liés aux démarches de réduction des émissions de CO2 des entreprises de manière transparente et d'instaurer des actions correctives.
La transition vers une logistique plus verte est déjà en marche, mais elle nécessite une adoption massive de ces technologies pour garantir une réduction significative des émissions de gaz à effet de serre. Ce défi représente également une opportunité unique pour les entreprises de moderniser leurs opérations tout en répondant aux attentes environnementales de leurs clients.