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Hausse des droits de douane et supply chain : trois questions à Philippe Romano de Kbrw
Philippe Romano, CEO et co-fondateur de Kbrw, éditeur de logiciel spécialisé dans la transformation digitale des entreprises et de leurs supply chains, livre son analyse d'une actualité géopolitique chargée. Au menu : les impacts d'une hausse des droits de douane aux États-Unis sur la chaîne d’approvisionnement à l’international, et les leviers d’adaptation possibles pour les entreprises concernées.
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Kbrw
Quels impacts la hausse des droits de douane aux États-Unis pourrait avoir sur les chaînes d’approvisionnement mondiales ?
Les effets d'annonce sur une hausse des droits de douane aux États-Unis ont entraîné des réponses des pays concernés (Canada, Mexique, Chine) puis une suspension d'un mois de la part de la Maison Blanche pour le Mexique et le Canada. Si ces mesures, ou celle de l'abolition du seuil “de minimis” (valeur à partir de laquelle un colis induit de payer une taxe) devaient être mises en place, le principal impact serait une augmentation des prix des marchandises passant les frontières. Même si les droits de douane seraient indéniablement répercutés sur les consommateurs, pour rester compétitifs sur les marchés étrangers, les entreprises devraient baisser leurs prix de vente, ce afin de limiter l’impact sur le prix final. Côté approvisionnement, elles subiraient également l’inflation des matières premières importées. Leurs marges risquent donc d’être réduites à la fois en amont et en aval de la chaîne. Ce type de changements brusques et parfois imprévisibles, oblige les entreprises à s’adapter rapidement et impose aux acteurs de la supply chain une flexibilité accrue. Elles doivent faire évoluer rapidement leurs stratégies et processus logistiques afin de protéger leurs marges, éviter les ruptures de stock, et assurer la satisfaction client malgré les frictions potentielles dans la gestion des commandes. D’ailleurs, dans un environnement marqué par la volatilité, l’incertitude, la complexité et l’ambiguïté (VUCA - théories de leadership de Warren Bennis et Burt Nanus), l’impact ne se limiterait pas aux seules chaînes d’approvisionnement, mais toucherait de manière plus ou moins directe l’ensemble des opérations (adaptation des stratégies commerciales et marketing, évolution des méthodes de fabrication, politiques de recrutement, évolution des besoins en fonds de roulement…).
Comment les entreprises peuvent-elles adapter rapidement leurs stratégies logistiques pour y répondre ?
Plusieurs leviers pourraient être activés, notamment pour développer des chaînes d’approvisionnement et des systèmes d’économie circulaire à l’échelle locale, au sein même des États-Unis, voire d’autres pays en cas de représailles. Le tout, pour limiter leur exposition aux droits de douane et aux tensions commerciales internationales :
• Réorganisation de la production : produire directement aux États-Unis pourrait être envisagé, bien que cela comporte aussi un risque d’augmentation des coûts de fabrication et de nombreux investissements sur le long terme.
• Renforcement des infrastructures locales : le développement d’entrepôts supplémentaires dans les pays concernés pourrait être une option pour faciliter la gestion des flux et des retours, réduisant ainsi les coûts et les délais logistiques.
Sans devoir en passer par là, d’autres options sont possibles :
• Repriorisation des marchés : les entreprises pourraient être amenées à privilégier d’autres marchés moins contraignants et plus rentables, en réduisant l’offre disponible pour les États-Unis. L’ajustement des priorités selon les zones géographiques et les segments de clientèle deviendrait alors essentiel.
• Réorganisation des flux logistiques en amont (approvisionnement) : pour réduire l’impact de l’inflation des matières premières, les entreprises pourront faire le choix de s’orienter vers davantage de fournisseurs locaux, ce qui peut nécessiter un ajustement des stratégies de réapprovisionnement et de gestion des stocks.
• Réorganisation des flux logistiques en aval (distribution) : de nouvelles règles de sourcing pourraient être mises en place pour choisir, à chaque commande internationale, le pays d’expédition du produit final avec les frais de douane les plus attractifs en fonction du pays de destination.
• Gestion stricte des retours : les conditions de retour deviendraient plus complexes et coûteuses, ce qui pourrait conduire les entreprises à limiter ou à rendre payants certains retours de produits pour les clients américains.
• Analyse avancée des scénarios : les entreprises pourraient investir sur des technologies d’analyse et mettre en place des scénarios pour tester de nouveaux arbitrages et trouver les meilleures stratégies à appliquer en fonction des conditions. L’utilisation de jumeaux numériques permettrait de simuler les conséquences des alternatives.
Quels conseils donneriez-vous aux entreprises internationales souhaitant repenser leur sourcing ?
Dans un contexte d’incertitude (entrée en vigueur puis suspension de la hausse des droits de douane) et de possibles évolutions, il est essentiel pour les entreprises internationales d’adopter une approche stratégique et flexible en matière de sourcing, mais aussi de distribution. Elles doivent être en capacité d’adapter leur chaîne logistique amont comme aval de manière globale et agile. L’idée n’est pas de réagir immédiatement à chaque annonce, ce qui risquerait de créer de la désorganisation, mais de pouvoir maîtriser l’ensemble de sa supply chain pour appliquer tout changement souhaité de stratégie selon ses propres termes et délais souhaités, sans rupture de l’activité.
Il est ainsi conseillé d’évaluer la résilience des fournisseurs actuels (identifier les risques liés à la dépendance envers certaines zones géographiques) et d’envisager des sources alternatives pour sécuriser les approvisionnements, mais pas seulement. Les éditeurs de solutions technologiques impliqués dans la gestion de la supply chain doivent aussi être évalués, notamment pour leur capacité à accélérer la mise en conformité aux différentes réglementations, afin de faciliter de potentielles implantations dans de nouvelles zones géographiques. Mais surtout, nous conseillons aux entreprises de ne pas se baser que sur la planification pour piloter leurs opérations, mais de mettre en place une véritable stratégie d’orchestration en temps réel pour faire face aux aléas et évolutions qui impactent la supply chain. Cela requiert des solutions technologiques adaptées, comme un OMS (Order Management System) pour gagner en flexibilité sur la gestion des stocks et des réapprovisionnements. Un tel système permet également l’orchestration des commandes (notamment de leur sourcing) ainsi que des flux logistiques internes. Il offre ainsi une visibilité et une réactivité en temps réel. Tout l’enjeu réside dans la capacité des entreprises à mettre en place des stratégies basées sur des règles de priorités, prenant notamment en compte les différents droits de douane, pour trouver la meilleure solution de sourcing pour chaque besoin. Et ce, qu’il s’agisse de répondre à une commande d’un client ou à une demande interne. C’est, selon nous, le meilleur moyen de s’adapter aux potentielles augmentations de droits de douane selon les pays, mais aussi plus largement à toutes les disruptions potentielles de la chaîne d’approvisionnement.
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