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Risto Arnaudov
Transport
Il a montré son caractère essentiel durant la crise sanitaire mais n’a pas pour autant échappé aux impacts délétères de la période de confinement. S’il a su faire preuve d’agilité, le secteur du transport doit aujourd’hui établir des schémas de résilience pour la reprise tout en intégrant les nouveaux enjeux numériques et écologiques qui habitent la filière.
1. Le transport prépare sa relance
À divers degrés échelonnés dans le temps, le monde du transport a fortement subi les impacts de la crise sanitaire. Sur le plan international, les effets ont été visibles bien avant la période de confinement en France, amenant précocement une complexité opérationnelle forte pour les transporteurs. Au niveau maritime, ces impacts se sont notamment traduits par l’augmentation des blank sailing (annulations de navire) par les compagnies, pour pallier la baisse de la demande : « Cela a créé de nombreux problèmes : des conteneurs non chargés sur des navires alors qu’ils auraient dû l’être, des navires retardés ou qui arrivaient aux ports et doivent être stockés car la logistique à destination ne fonctionne pas, les entrepôts des clients n’étant pas ouverts… », décrit Arthur Barillas, CEO d’Ovrsea, commissionnaire de transport digital international. Pour autant, il observe un secteur moins sinistré que l’aérien avec une réduction de plus de 90 % du trafic en France : « Sans capacités en soute sur les avions passagers, le marché s’est concentré sur les avions cargo. On a en conséquence constaté un doublement, voire un triplement des prix sur une grande partie des destinations aériennes… Les capacités à l’import ont par ailleurs été fortement limitées avec des temps d’attente très long ». La continuité d’activité s’est avérée plus probante sur le transport routier qui a néanmoins dû affronter nombre de remous. « Le choc a été violent et rapide, estime Alexis Degouy, délégué général de l’Union TLF, l’organisation professionnelle qui représente les entreprises de la chaîne du transport de marchandises et de la logistique. Alors que le métier repose d’abord sur l’optimisation des flux doublée d’une capacité d’adaptation à la demande du client, cette optimisation a volé en éclat en 24 à 48 h ! 70 % de l’activité a été quasiment à l’arrêt total dans un premier temps tandis qu’en parallèle, 20 à 25 % des entreprises ont connu une explosion des volumes dans des conditions dantesques de désorganisation : des flux alimentaires de la restauration hors domicile qui se sont retrouvés en grande surface, des flux des supermarchés transférés sur les commerces de proximité, avec, de surcroît, des millions de personnes qui se sont déplacées vers des zones plus rurales à l’annonce du confinement… ».
Offre, demande et qualité de service
Sur le segment routier, il est nécessaire de distinguer l’activité BtoB de l’activité BtoC, rappelle Xavier Villetard, directeur associé du cabinet de conseil en optimisation transport bp2r : « Sur le BtoB, on a observé une forte réduction de la demande en dehors de l’alimentaire et de la pharma, comparé au pré-Covid, tandis qu’en BtoC, les études ont montré une baisse d’activité beaucoup plus modérée, tout simplement parce qu’elle a été soutenue notamment par la livraison à domicile ». Concernant l’offre en BtoB, bien que les transporteurs aient dû se réajuster, pas de manque à notifier, ces derniers ayant plutôt évolué dans une logique d’excédent capacitaire. Pour l’offre BtoC, la fermeture des points relais aura de son côté eu un impact structurant sur l’activité, via un transfert sur la livraison à domicile quand cela était possible : un phénomène doublé d’une accélération des livraisons e-commerce. « Sachant que le secteur a connu en parallèle des moments de tension : certains réseaux ont dû limiter leur capacité de livraisons et passer de six à cinq voire trois jours de livraison par semaine », détaille-t-il. Qu’en a-t-il été de la qualité de service ? Xavier Villetard évoque, dans le BtoB, des difficultés concentrées au début du confinement sur les points de chargements et de livraison, « notamment dans la grande distribution avec des délais d’attente importants, voire des refus ». Des contraintes qui se sont adoucies par la suite tandis que le BtoC a vu sa qualité de service se détériorer avec un allongement net des délais de livraison : « Les expressistes sont allés jusqu’à revoir leur promesse en livraison, ce à quoi beaucoup de chargeurs ont dû s’adapter ».
Face à ces bouleversements, le secteur du transport routier aura été remis sur le devant de la scène, acquérant pour l’occasion, une meilleure visibilité auprès du grand public, soucieux plus qu’à l’usage du bon approvisionnement de leurs supermarchés et commerces de proximité. « Ce que le grand public a un peu plus de mal à voir c’est que l’activité BtoB, qui constitue une grosse part de notre activité, a été durement impactée, estime Florence Berthelot, déléguée générale de la FNTR (Fédération nationale des transports routiers). Nous sommes face à une situation extrêmement paradoxale : malgré l’acquisition de visibilité, une enquête menée auprès de nos adhérents a montré que moins de 20 % des entreprises tournaient correctement pendant le confinement, le reste étant en arrêt partiel, soit total. Nous nous sommes retrouvés dans la position inédite de devoir demander du chômage partiel. Sachant que ceux qui poursuivaient leur activité l’ont fait dans des conditions économiques très complexes, avec des difficultés à optimiser les retours qui se faisaient à vide ».
Un secteur solidaire
Face à ces difficultés doublées de contraintes organisationnelles éprouvées au début du confinement (fermeture des aires de repos et des restaurants sur les autoroutes) ayant rendu laborieux l’exercice de leur fonction dans des conditions acceptables, les transporteurs routiers ont néanmoins su se montrer présents tout au long de la crise. « Les entreprises de notre secteur se sont adaptées de façon remarquable, observe Alexis Degouy. Le choc a été géré et soutenu, il n’y a pas eu de pénurie ou seulement ponctuellement, grâce au travail incroyable effectué par les transporteurs et opérateurs logistiques dans les premières semaines », poursuit le délégué général d’Union TLF. L’organisation professionnelle a par ailleurs participé, dès la première semaine du confinement, à la mise en place d’une cellule de crise, accompagnée des autres fédérations, de logisticiens et transporteurs, en dialogue avec l’agroalimentaire et la distribution afin de réaliser des synthèses quotidiennes et remonter aux pouvoirs publics un certain nombre de problématiques : accueil des fournisseurs, gestion des flux, explosion des surgelés, livraison du dernier kilomètre…
En dehors du transport routier, Arthur Barillas évoque également une filière maritime et aérienne ayant réagi avec « beaucoup de solidarité », s’adaptant face aux marchandises prioritaires, comme pour l’import de masques : « Autres exemples de flexibilité : des compagnies aériennes ont supprimé des sièges en cabine pour transformer les appareils en avions tout cargo, tandis que les compagnies maritimes ont développé des nouveaux produits intégrant des possibilités de frais de stockage très bas, dans des grands hubs de transport, pour gérer des situations où le client final ne pouvait venir immédiatement récupérer la marchandise ». Une solidarité que le CEO d’Ovrsea appelle également de ses voeux, dans la gestion de l’après-crise, à travers un accompagnement de l’État face aux problématiques de rentabilité financière qu’elle implique.