Transport
2. Une reprise encore incertaine
Cette inquiétude du secteur quant à sa trésorerie est également évoquée par Florence Berthelot à la FNTR, « car personne n’a une vision très claire du rythme de la reprise. On se doute qu’elle va être extrêmement lente. Quand va-t-on retrouver des chiffres d’affaires normaux ? », interroge-t-elle. La reprise pourrait en effet être très variable d’un secteur à l’autre et ne suffirait pas à compenser pour beaucoup les pertes engendrées par l’épidémie de Covid-19 : « Certains nous disent que même s’ils redémarraient en fanfare, leurs volumes de production seraient inférieurs de 20 à 30 % sur l’année à ce qu’ils avaient escompté, donc cela aura forcément un impact sur le transport… On peut d’autre part penser que, du fait des mesures sanitaires de déconfinement sur une durée assez longue, il y aura également une augmentation de la vente en ligne, qui représente aujourd’hui environ 15 % du retail, mais cette évolution était déjà en cours et il sera difficile de savoir si elle a été accélérée par la crise », juge Florence Berthelot.
La période d’isolement aura ainsi vu le développement fort de l’e-commerce alimentaire – une étude Nielsen a mis en avant une augmentation de 98 % de ce segment sur la semaine du 6 au 12 avril 2020 – alors qu’il représentait jusqu’alors une part assez faible de la vente en ligne. La question qui se pose maintenant : ces nouvelles habitudes vont-elles se maintenir et dans quelles proportions ? « Si elles perdurent cela reviendra à repenser les métiers et les dimensionnements d’acteurs du transport et de la logistique car il y a des volumes qui basculeront d’un point à un autre », estime Alexis Degouy. Ainsi, beaucoup d’inconnues planent encore sur la filière à l’heure de boucler ce numéro. Il est en tout cas certain que les changements seront profonds et visibles à long terme sur le transport aérien où IATA (l’association du transport aérien international) a d’ores et déjà estimé, le 14 avril dernier, des pertes colossales s’établissant à 314 milliards de dollars pour ce secteur en 2020 : « Il sera très durablement impacté au point que cela devrait réorganiser l’offre sur ce marché, anticipe Arthur Barillas. On ne pourra pas revenir en arrière ». Un changement également palpable, mais dans une moindre mesure, sur le transport maritime : « Les compagnies indiquent pour certaines d’entre elles une baisse des volumes historique, probablement la plus importante qu’elles n’aient jamais connue », poursuit Arthur Barillas qui prévoit dans ce secteur « des problématiques opérationnelles sur le long terme ».
Résilience et agilité
Parmi les pistes d’après-crise, s’envisage dans les discours un changement systémique de modèle, où figure en bonne place un mouvement de relocalisation et de réindustrialisation dans l’Hexagone. « Les supply chains qui faisaient preuve à la fois de résilience et d’agilité sont celles qui ont su servir le business de leur entreprise. Ces deux qualités prennent aujourd’hui tout leur sens pour les supply chain managers. Il y a plusieurs solutions pour y parvenir : la première consiste à déployer des supply chains plus courtes, d’où le souci de relocalisation. Mais ce sont des décisions longues qui vont mettre beaucoup de temps à se mettre en oeuvre », explique Xavier Villetard. Impliquant des supply chains régionales et locales, ces tendances de fond viendraient alors forcément redessiner les flux de transport dans l’Hexagone. Le secteur s’y prépare-t-il ? « Il s’agira en tout cas de s’assurer que sur le territoire français, on soit capable de produire un certain nombre de biens. Nous aurons cependant toujours besoin de la chaîne logistique internationale pour transporter des produits impossibles à produire en France dans des coûts acceptables. On ne change pas de modèle en quelques semaines ou quelques mois. Le café, si cher aux Français, ne sera par exemple jamais produit chez nous », estime Alexis Degouy. Alors, pour répondre à ces impératifs de résilience et d’agilité, Xavier Villetard évoque également la question de l’omnicanalité, plus facile à mettre en oeuvre sur le court terme : « En étant beaucoup plus agile dans cette capacité à passer d’un canal de livraison à l’autre, cette omnicanalité sert le business, et prend toute sa valeur ajoutée. Tous ces préceptes vont s’accentuer dans les semaines, mois et années à venir ».
Poursuivre le mouvement de transition écologique
Il ne faut pas oublier non plus qu’après cette crise sanitaire, se dresse une crise économique, avec une chute de PIB en 2020 estimée par le gouvernement à 11 %, le 2 juin dernier. « Qui dit crise dit nécessité d’aller optimiser les coûts aussi bien côté chargeur que transporteur. Cela risque d’être un phénomène de fond assez généralisé et assez long. L’impact a été tellement violent qu’il est à craindre que certaines entreprises soient défaillantes tandis que d’autres vont de manière évidente travailler sur la réduction de leurs coûts », juge Xavier Villetard. Une diminution des coûts qui ne devrait pas pour autant freiner les prises de conscience individuelles au niveau écologique et qui pourraient venir renforcer les convictions RSE de certaines sociétés : « Pas de toutes, mais nous pensons que les entreprises qui sont leaders en la matière, sensibles et matures sur le sujet en termes de RSE, vont se voir renforcer dans leur trajectoire », prévoit Xavier Villetard. De son côté, la FNTR a travaillé à un plan de relance du secteur du transport routier de marchandises dévoilé fin avril 2020, y intégrant des éléments de fiscalité et n’omettant pas l’enjeu de développement durable, déjà amorcé dans le secteur avant la crise. Proposant la poursuite de cette transition écologique ainsi que la signature du contrat de transition énergétique négocié entre les services de l’État et les organisations professionnelles, la FNTR souligne : « Le secteur doit d’abord assurer la pérennité des entreprises dont la perte de chiffre d’affaires impacte lourdement leur trésorerie. Un accompagnement de l’État est nécessaire pour continuer la transition écologique des entreprises du TRM ».
Parmi les 7 axes de relance de la filière proposée par France Logistique fin avril, en concertation avec l’ensemble des membres fondateurs de l’association, figure également une proposition englobant le sujet du développement durable : « La transition écologique est un mouvement profond qu’aucune crise ne peut arrêter. La question porte aujourd’hui sur le rythme des investissements. La chaîne entière du transport et de la logistique va continuer sa transformation mais le confinement a placé des entreprises, qui s’étaient engagées sur des renouvellements de matériels, dans des situations de trésoreries très tendues. Nous attendons des mesures concrètes pour soulager notre secteur dans la crise, mais aussi et surtout de faire baisser la pression fiscale sur nos activités dans cette période-là », explique Alexis Degouy. Si les impacts du confinement à moyen et long termes restent encore flous, les acteurs du secteur espèrent en tout cas ne pas voir leur métier, après leur mise en lumière récente, retourner dans une zone d’ombre par la suite. « On comprend que la reprise sera assez loin des volumes prévus à l’origine donc on va sans doute s’installer dans une crise économique malheureusement longue avec des impacts importants. Mais les constats qui ont été faits sur la nécessité de redynamiser à moyen terme l’industrie en France, ne seront rendus possibles que si l’on a fixé le maillon transport et logistique comme un partenaire stratégique », estime le délégué général d’Union TLF.
Focus
La digitalisation en renfort
Face aux bouleversements profonds vécus par le secteur du transport, une nouvelle organisation de la supply se dessine. Celle-ci pourrait notamment passer par un accroissement de la digitalisation déjà à l’oeuvre dans le secteur. « Ce mouvement s’est en effet accéléré, non pas chez les entreprises complétement à l’arrêt, mais pour celles qui continuaient à tourner. Cela a accentué leur basculement vers la digitalisation d’un certain nombre de process : facturation, digitalisation des documents de transport avec la question de l’interopérabilité des systèmes », estime Florence Berthelot. Chez Ovrsea, Arthur Barillas a également observé une accélération de la demande pour les solutions digitales : « La crise a été un catalyseur de ce sujet de dématérialisation du transport et il n’y aura pas de retour en arrière car une fois qu’on a fait ses preuves dans des circonstances comme celles-là, on ne revient vraisemblablement pas au mode de fonctionnement d’avant ».
Si la prise de conscience des atouts de la digitalisation s’est faite criante à l’épreuve de cette crise sanitaire, elle était néanmoins difficilement applicable du jour au lendemain dans un contexte d’urgence. « Ceux qui étaient mieux préparés en termes d’outils de pilotage et d’exécution, sont ceux qui ont tiré le mieux leur épingle du jeu durant cette crise et cela les a confortés dans la nécessité de monter en puissance sur ce segment », estime Xavier Villetard. Pour ceux qui n’étaient pas encore mûrs sur ce sujet, la révélation a pu être brutale et leur manière d’envisager l’avenir devrait s’en ressentir. « Il est évident qu’il va falloir accélérer la dématérialisation des documents de transport ainsi que l’interopérabilité des systèmes informatiques pour parvenir à fluidifier au maximum et gagner en flexibilité et en souplesse en cas de choc et de contrecoup », corrobore Alexis Degouy.