Transport
3. Interview avec Jérôme Bour, PDG de DDS Logistics
Fortement impacté par la crise du Covid-19, le transport résiste néanmoins et se prépare à l'après. Le point avec un éditeur phare de la filière, DDS Logistics, et son PDG, Jérôme Bour.
Face à la crise sanitaire et ses conséquences économiques, quels ont été les principaux défis à relever pour DDS Logistics ?
Notre situation est d’abord liée à celle de nos clients. Notre première démarche a donc été de les appeler pour les assurer de la continuité de service, connaitre leur situation et les aider si besoin. Dans la crise que nous vivons, la dimension transport est remontée dans les sujets critiques, ce n’est donc pas le moment que le TMS fasse défaut. En interne, nous avons la chance d’avoir une activité quasiment à 100 % digitale. Nous avons donc pu nous organiser dès le début en télétravail. Et même si l’habitude était déjà prise, cela a été une belle découverte : nous avons développé une forte solidarité ainsi que les interactions avec nos équipes de Rennes et Hong-Kong.
Et quels sont les défis à relever par le secteur du transport ?
Nos clients ont été face à des situations assez contrastées. Nous avons d’abord assisté au ralentissement de l’économie en commençant par l’Asie. Très rapidement, il y a eu des impacts sur le transport international qui s’est finalement effondré dès la fermeture de la Chine et la mise à l’arrêt des flux import. Cela s’est ressenti selon les secteurs d’activité, notamment sur l’automobile où lorsque Renault et PSA ont annoncé la fermeture de leurs usines, un effet domino s’est produit sur les clients équipementiers de rang 1, puis 2 et 3… Finalement, le véritable enjeu de nos clients a été de continuer à opérer sur une partie des flux, qu’ils soient moindres ou supérieurs, comme cela a pu être le cas dans le monde de la distribution qui a connu un niveau d’activité plus important. Chacun, selon sa situation, a dû faire face à une offre de transport réduite, une difficulté à faire fonctionner les plateformes logistiques, une forte variation des activités et, pour les moins équipés, à une désorganisation du fonctionnement au quotidien.
Comment ont-ils fait face ?
Ils ont parfois choisi de changer d’organisation ou de basculer une partie de leurs flux sur des modes différents lorsque leur réseau habituel ne fonctionnait plus. Au travers de notre plateforme Join2ship, certains sont notamment passés à un mode de distribution directe durant le temps où les flux massifiés ne pouvaient plus fonctionner.
Comment appréhendez-vous l’après-crise ?
Sur le court terme, la crise met en avant l’importance du transport mais aussi de la notion de risque ou inversement de résilience sur les chaînes dédiées. Sans transport pour pousser les produits jusqu’aux clients, l’économie ne fonctionne pas. La crise a donc démontré l’importance de la supply chain et en particulier de ses maillons d’exécution. En ce sens, nous verrons arriver de nombreux projets sur la maîtrise et la sécurisation des chaînes de transport. Et pour cause, tous les produits sourcés en Asie ne vont pas revenir comme par magie en quelques mois en Europe. Cela prendra du temps. La crise risque de produire un appauvrissement général et un renforcement de la demande sur la capacité à produire à des niveaux de prix bas. Nous pensons que cela poussera les entreprises à diversifier leur sourcing. Les sujets de la maîtrise du risque et de l’organisation des chaînes de transport vont être très forts dans les mois et années à venir. Ils tireront l’ensemble du secteur vers le haut.
Ces évolutions pousseront-elles les entreprises à se tourner davantage vers des outils de gestion digitaux ?
Effectivement, pour maîtriser ces changements, il faut un outil de gestion du transport. Les solutions digitales et les TMS vont enfin connaître une explosion en termes d’adoption. La crise a montré le caractère sensible de ces chaînes. Mais cela va également être amplifié par d’autres phénomènes. La remise en route des supply chains et des outils industriels va se faire de façon progressive, les délais habituellement constatés en termes de livraison et d’approvisionnement vont subir une variabilité beaucoup plus forte, ce qui renforce à nouveau le besoin de visibilité sur les flux. L’outil industriel repart en Asie, le transport maritime reprend mais l’offre reste réduite, il y a donc un gros enjeu de visibilité sur ce que les usines vont produire. En aval, les clients des industriels auront également un besoin accru de traçabilité.
Ira-t-on vers des changements de modèles profonds en termes de supply chain ?
Nous avons évoqué la notion de prise en compte du risque mais il faut aussi compter sur le retour du stock et la diversification des accès aux clients. Ces chaînes très concentrées sur un mode flux tendu, stock limité et massification, vont réapparaître. Néanmoins, les entreprises continueront en parallèle à travailler la diversification du panel d’acteurs pour faire face à ces risques identifiés comme importants. Cela met en avant les enjeux de collaboration, de digital et surtout la capacité à travailler sur des localisations très dispersées, y compris à domicile. Tout cela en gardant en tête que les transporteurs, pour une grande majorité, ne sont pas tous forcément préparés à cela. Un des facteurs de succès pour la reprise réside donc dans la volonté des donneurs d’ordre à accompagner leurs prestataires et à leur donner des moyens digitaux pour collaborer.
Que peut-on souhaiter pour l’avenir ?
En parallèle de ce que nous venons d’évoquer, je terminerai par un voeu pieu, celui de ne pas omettre la composante environnementale. La crise peut accélérer l’évolution des mentalités. Elle peut faire relativiser un certain nombre de valeurs et notamment ce sujet essentiel. Les organisations supply chain auront intérêt à intégrer cette composante ne serait-ce que pour donner du sens à l’activité, au-delà des composantes économiques et réglementaires.
Interview réalisée par Laurène de Vialar