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Port de Marseille Fos/Chaminas Laure.

Transversal

Vers l'avènement du Green Port

Publié le 17 décembre 2020
SOMMAIRE

Développement de nouveaux équipements, projets autour des énergies alternatives, accroissement du report modal… L’ensemble portuaire s’adapte aux nouvelles exigences environnementales, en quête de solutions alliant conscience écologique et performance économique.

Alors que le plan de relance du gouvernement annonce toute une série de mesures pour le « verdissement des ports », ces derniers emploient régulièrement, pour désigner leurs projets de transition écologique, l’expression du « Green Port ». Un mouvement qui ne relève pas de l’effet de mode mais d’une réalité bien ancrée. En témoigne l’UPF (l’Union des ports de France) qui, maillée avec les organisations européennes et membre de l’ESPO (European Sea Ports Organisation), adhère aux objectifs de réduction des émissions maritimes. Les ports français sont en première ligne pour accompagner leur mise en oeuvre, tout en développant une stratégie de réduction de la pollution de l’air. « Toutes les solutions doivent être regardées car il n’existe pas de réponse unique », indique Jean-Pierre Chalus, président de l'UPF, qui précise par ailleurs l’importance d’une « convergence fiscale entre les membres de l’UE pour la taxation de l’énergie : ce sont des éléments de compétitivité pour nos ports. Il faut être cohérent et ne pas tomber dans un schéma franco-français, mais agir à l'échelle internationale ou au minimum européenne ».

 

Pas de green washing

Les initiatives vertes touchent également les prestataires logistiques présents sur la place portuaire qui affichent régulièrement les démarches mises en place. Pour autant, pas de « green washing », explique Jean-Marc Thomas, directeur général de CFNR Transport (dont la maison-mère est Rhenus) : « Pour nous, la première étape va être un ensemble de micromesures à partir de 2021 avec un effet immédiat, notamment dans l’isolation de nos bâtiments actuels. Tous les véhicules d’exploitation portuaire seront électriques avec des bornes de recharge sur nos installations. Cela va toucher également les habitudes du personnel, avec l’abandon complet du plastique dans le fonctionnement des établissements », énumère-t-il. Des décisions qui évoquent les mesures du plan de relance dont les enjeux ont déjà été pleinement intégrés par l’ensemble des acteurs interrogés, conscients que l’amélioration de leur performance environnementale participe à l’amélioration de la compétitivité des solutions qu’ils proposent. « Bolloré Logistics s’est donné pour ambition de réduire ses émissions de 43 % d’ici 2027 donc cela suppose de revoir l’intégralité de nos process, de nos moyens », illustre Henri Le Gouis, CEO de Bolloré Logistics Europe. Une ambition qui passe notamment chez le prestataire par l’acquisition de véhicules au GNL : « Nous souhaitons non seulement améliorer notre performance énergétique via le report modal mais également sur nos transport traditionnels avec des modes de combustion plus propres », poursuit-il.

 

La réduction de CO2, aujourd’hui devenue une norme dans les entreprises, conduit également Contargo North France à un objectif de diminution de 30 % de ses émissions à l’horizon 2030. Une ambition qui passe notamment par une motorisation plus propre des bateaux. Les efforts ne se concentrent pas uniquement sur le maritime, mais également sur les tractions routières, et le groupe teste actuellement en Allemagne des camions électriques, souhaitant par ailleurs voir le plan de relance intégrer l’implantation d’une station GNV poids-lourds à Valenciennes pour supporter ces initiatives vertes. CMA CGM, à l’initiative de la création de la Coalition pour l’énergie de demain, initiative comprenant 11 entreprises internationales, s’est de son côté fixé l’objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 en investissant massivement dans les carburants alternatifs comme le gaz naturel liquéfié (GNL) et le biofuel de deuxième génération à base d’huiles végétales recyclées : « Le Groupe CMA CGM a ainsi mis en place, en partenariat avec Total, une infrastructure de soutage au GNL bientôt opérationnelle au port de Marseille Fos, la première de ce type en France. En investissant dans les nouvelles technologies comme le branchement électrique à quai, ou “Cold Ironing”, le groupe donne l’opportunité aux porte-conteneurs en escale de couper leurs moteurs auxiliaires permettant ainsi d’éliminer complètement les émissions d’oxydes de soufre, d’oxydes d’azote et de particules fines pendant le séjour à quai du navire, et de réduire significativement les nuisances sonores », déclare l'armateur. L'installation de cette technologie, inaugurée en janvier 2020 sur le Grand port maritime de Dunkerque, se poursuivra sur les navires de CMA CGM, qui teste le dispositif avec d'autres autorités portuaires.

 

Décision a également été prise, en novembre 2017, d’équiper neuf futurs navires de 23 000 conteneurs, livrables à partir de 2020, de moteurs utilisant du GNL : « Un navire GNL émet jusqu’à - 20 % de CO2 par rapport à une motorisation au fuel. Cette technologie est une des premières étapes pour converger vers l’objectif de neutralité carbone ». Labellisé 6PL Performances Logistiques Durables en juin 2018, l’entreprise XP Log travaille, pour sa part, à cette transition énergétique sur deux axes : l’optimisation des flux de ses clients – « avec une baisse de 20 à 25 % du nombre de camions Euro VI sur la route, en transportant davantage de marchandises », détaille Olivier Jean-Baptiste – et le report multimodal. « Cela devrait aboutir dans les années qui viennent. Nous avons un entrepôt embranché fer donc nous allons pouvoir récupérer des trains et s’approcher au plus près des terminaux sans utiliser la route, ce qui permet de diminuer l’empreinte carbone », stipule-t-il.

 

Vers le report modal

Le gouvernement a acté cette nécessité d’intégrer davantage le ferroviaire, en lui accordant 4,7 milliards d’euros dans son dernier plan de relance. Cet apport bénéficiera-t-il au report modal ? Il en est en tout cas fait mention dans le chapitre dédié au « verdissement des ports », qui stipule que cette mesure vise notamment à mettre en oeuvre un programme d’investissement massif dans des « aménagements d’infrastructures fluviales ou ferroviaires pour faciliter le report modal ». Le port de demain ne se restreint pas en effet à ces aspects navigants et maritimes et le transport combiné y prend une place de choix. Dans la région Hauts-de-France, la fédération Norlink, illustre ce trait d’union nécessaire. En mars 2020, elle a uni tous ses acteurs en une fédération – Norlink ports, ferroviaire fluvial et plaisance – pour répondre aux nouveaux enjeux du transport multimodal, « avec la volonté de développer les infrastructures de transport et notamment les ports dans la région par la meilleure utilisation de services massifiés. Il était donc logique de raccrocher le fluvial et le ferroviaire, qui sont les deux jambes principales du développement des ports », explique Fabien Becquelin, directeur opérationnel de la fédération Norlink.

 

À ce sujet, Jean-Pierre Chalus, à l’UPF, rappelle la nécessité d’intégrer également le shortsea [transport maritime de courte distance] : « On pense très souvent fluvial ou ferroviaire mais il y a des solutions de shortsea, d’autoroutes maritimes. Il est compliqué de trouver un équilibre par rapport à la route mais aujourd’hui beaucoup d’actions sont faites par les ports sur ce sujet, que ce soit au Havre, Dunkerque ou Marseille. C’est un élément qui permettra aussi la relocalisation d’industries ou d’activités en France », juge-t-il. Au port de Marseille Fos, justement, le report modal est un axe majeur de développement : il représente 7 millions de tonnes pour les trains et 3 millions pour les barges. « Nous avons plus de 10 000 trains par an qui partent et qui arrivent dans le périmètre de l’emprise portuaire, illustre Christine Rosso, directrice du développement du port de Marseille Fos. Entre 2018 et 2019, la part modale a crû de plus de 35 % au niveau du container avec, aujourd’hui, plus de 25 destinations quotidiennes sur ce segment à destination de l’Europe. Le fleuve a de son côté réalisé une progression de 10 % ». Si, à l’heure de la crise sanitaire, les projections se font plus rares, les investissements sur le report modal réalisés depuis plusieurs années vont se poursuivre, estime Christine Rosso, « notamment sur la zone des conteneurs mais également sur la zone logistique de Fos, embranchée fer pour certains entrepôts ».

 

Écueils et difficultés

Largement évoqué, le sujet du transport combiné n’en contient pas moins nombre de difficultés. Et si les prestataires semblent s’en emparer, certains écueils limitent encore son déploiement massif. Ils peuvent notamment toucher à son coût : dans les ports français, sauf à Dunkerque, les THC (Terminal Handling Charges : charges de manutention facturées aux opérateurs fluviaux) impactent très lourdement le mode fluvial par rapport aux autres modes, sur lesquels ces THC sont beaucoup plus faibles voire inexistantes. « Ce dont on aurait besoin, c’est ce qui existe à Dunkerque depuis 2016 ou bien dans les ports de la zone Europe : une mutualisation des THC amenant à une neutralisation du surcoût du fluvial par rapport aux autres modes de transport », juge Eloi Flipo, responsable de la division transport & report modal chez VNF. Un surcoût de manutention non négligeable qu’il chiffre à 10 à 15 % de la chaîne fluviale globale entre un port maritime et un port intérieur. Autre problématique soulevée : la difficulté des opérateurs fluviaux à obtenir une garantie de 100 % sur les plannings d’escales dans les terminaux portuaires : « On enregistre des taux de régularité de l’ordre de 85 à 90 % ce qui représente 10 à 15 % d’escales qui ne sont pas respectées ». Résultat : le bateau fluvial est mis de côté, en attente de la fin des opérations sur le navire de mer qui reste largement prioritaire pour les entreprises de manutention.

 

Le prestataire Bolloré Logistics, qui, dès 2018, annonçait le lancement d’une navette fluviale hebdomadaire reliant le terminal multimodal du Havre à celui de Bonneuil-sur- Marne (94) observe les avantages et les contraintes de ce mode de transport : « Nous avons été précurseurs sur cette navette mais nous avons rencontré les difficultés et les aléas liés au report modal, qui reste compliqué en France », estime Henri Le Gouis. En cause notamment, des navettes bien remplies à l’import mais difficilement à l’export. « Cela nécessite de sensibiliser l’ensemble des clients chargeurs pour leur expliquer les avantages de la solution fluviale, qui ne sont pas qu’écologiques », poursuit Paul Bernard, directeur Région Normandie de Bolloré Logistics. C’est donc l’ensemble de la chaîne – chargeurs, organisateurs de transport, et opérateurs –, qui doit fonctionner ensemble. « Nous y croyons fermement et nous souhaitons accompagner cette poussée vers le report modal, malgré les difficultés qui restent à résoudre », indique Henri Le Gouis. La situation amène le prestataire logistique et transport à réaliser « beaucoup de pédagogie » vers ses clients et ses prospects « pour leur vendre les solutions fluviale et ferroviaire », selon les mots de Paul Bernard.

 

Une solution ferroviaire qui doit elle aussi trouver son modèle économique : « L’enjeu, ce n’est pas tant le coût au kilomètre mais le nombre de rupture de charges. Nous discutons avec SNCF Réseau et SNCF Fret sur ces sujets-là, avec l’idée de développer aussi des navettes ferroviaires. Nos interlocuteurs sont tout à fait conscients des difficultés présentes aujourd’hui. Cela va dans le bon sens, il y a du dialogue et de la mobilisation pour voir les choses changer. Néanmoins, ce sont des projets qui ne se mesurent pas en mois, mais en années… », estime-t-il.

 

Vers des mobilités écologiques et performantes

Pour autant, chez certains acteurs gravitant autour du port, cette question de transport combiné figure dans leur ADN. C’est le cas de CFNR Transport, spécialisée dans le transport fluvial et la logistique multimodale : « L’essentiel de notre activité concerne les activités de transit et notre mission est de convaincre les chargeurs qui ne sont pas forcément aux alentours du port d’utiliser ces services par le biais de solutions de massification et de solutions de pré ou post-stockage de manière à pouvoir lisser leurs flux en usine », décrit Jean- Marc Thomas. C’est également le métier de Contargo North France, en tant qu’opérateur de transport combiné : « C’est ce que nous faisons tous les jours et nous essayons de convaincre nos clients d’adopter ce mode de transport », explique Gilbert Bredel. Ce dernier constate d’ailleurs depuis une dizaine d’années un mouvement des chargeurs en ce sens : « Post-crise sanitaire, le besoin s’accélère un peu : est-ce que c’est ponctuel, sur le long terme ? Il faudra attendre pour le dire. Mais il y a clairement un mouvement vers des mobilités plus écologiques », souligne-t-il.

 

Pour CMA CGM, cette dynamique devrait aller en s’amplifiant, également pour répondre à des questions d’efficience opérationnelle et de compétitivité : « Les ports maritimes sont des plateformes logistiques destinées au commerce international, combinant à la fois des contraintes de délais et de coûts ainsi que des niveaux élevés de qualité de service, de performance et de flexibilité. Pour améliorer les temps de traitement des flux et gagner en attractivité et compétitivité, les ports doivent disposer d’un excellent réseau pour couvrir leurs arrière-pays avec à la fois une desserte routière fluide et des dessertes ferroviaires et fluviales désormais indispensables, car permettant un acheminement moins onéreux, plus fiable et respectueux de l’environnement », estime le groupe.

 

Et dans cette volonté de transition écologique, les solutions de report modal doivent elles aussi se questionner et procéder à un ajustement permanent pour montrer leur compétitivité. C’est le sens que leur apporte VNF (Voies navigables de France). L’opérateur national fluvial se dit engagé en faveur de l’innovation mais également du « verdissement » de la flotte fluviale, soulignant que malgré ses « énormes avantages écologiques » comparés au camion – un bateau transporte jusqu’à l’équivalent de 200 camions en un seul voyage et consomme trois à quatre fois moins d’énergie –, « le transport fluvial n’échappe pas à un examen objectif de sa performance environnementale face à des bateaux fluviaux parfois assez anciens et des motorisations d’une grande longévité. Ainsi, le transport fluvial doit s’adapter aux nouvelles normes environnementales, voire les anticiper, afin de maintenir son avantage concurrentiel naturel ». L’établissement public entend ainsi « transposer au secteur fluvial des solutions existant déjà dans d’autres modes de transport », notamment en « marinisant » des moteurs routiers conformes à la norme Euro VI, et en déployant des solutions s’appuyant sur l’hydrogène ou le gaz naturel. « Nous guidons le verdissement de la chaîne fluviale, notamment avec un dispositif de subvention le PAMI [plan d’aide à la modernisation et l’innovation] avec lequel nous accompagnons 100 à 150 projets par an d’achat et de construction de bateaux, et de changement de moteur en priorité vers des motorisations propres telles que des moteurs électriques », indique Eloi Flipo. Le volet innovation de cette démarche est également venu accompagner différentes études et pilotes « autour de nouvelles technologies comme des bateaux à propulsion électrique avec une alimentation en pile à hydrogène », termine-t-il.

Focus

Les ports, acteurs du déploiement des énergies marines renouvelables

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L’OEM (Observatoire des énergies de la mer) réalise chaque année une enquête auprès des principaux acteurs de la filière des énergies de la mer en France, dont les ports. L’enquête 2020 intitulée Les ports français, acteurs incontournables du déploiement des énergies marines renouvelables a ainsi adressé 300 questionnaires aux développeurs exploitants, prestataires et fournisseurs de la chaîne de valeur, acteurs de la recherche ou encore institutionnels et portuaires. Il en ressort que plus de 55 millions d’euros ont été investis en 2019 dans les ports français pour les EMR (énergies marines renouvelables), soit 12 % de l’investissement total de la filière. « En 2019, les investissements portuaires ont essentiellement concerné les ports de Brest et de Port-la Nouvelle, dans le cadre de leurs aménagements pour accueillir de futures activités EMR », indiquent l’UPF et l’OEM dans leur note publiée en octobre. Un positionnement particulièrement marqué vers l’éolien (pour 72 % des projets) qui a recueilli 600 millions d’euros d’investissement depuis le début des années 2010. Parmi les ports développant des projets significatifs avec des EMR, on peut ainsi citer Fécamp, le Havre, Cherbourg, Brest, La Turballe, Nantes Saint-Nazaire, La Rochelle, Marseille, Port-La Nouvelle ou encore La Réunion. Face à ces investissements en OEM, ce sont 1,75 million d’euros de chiffre d’affaires qui sont enregistrés. « Avec la construction des premiers parcs éoliens en mer français et la mobilisation accrue des ports dans ce cadre, le chiffre d’affaires généré par les gestionnaires de ports devrait croître de manière significative au cours des prochaines années », jugent l’UPF et l’OEM.

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