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Malandain

Innovation

L'innovation numérique au cœur des enjeux portuaires

Publié le 17 décembre 2020
SOMMAIRE

La course vers le Smart Port a commencé. Au cœur d’un écosystème portuaire déjà bien avancé en termes d’accessibilité et de partage de la donnée, les acteurs qui le composent travaillent à toujours plus d’interopérabilité, fluidité et traçabilité pour optimiser les chaînes logistiques.

Le monde portuaire est composé d’une très grande diversité de métiers, chacun d’entre eux disposant de leur système d’information, remorqueur comme capitainerie ou encore transitaire. L’enjeu consiste, malgré cette multiplicité d’opérateurs, à faire passer la marchandise le plus rapidement et fluidement possible. L’avenir se construit ainsi dans une intégration élargie des acteurs gravitant autour de la supply chain portuaire, permettant une récupération croissante d’informations en aval autant qu’en amont : « C’est la multiplicité d’acteurs dans la chaîne portuaire qui induit des difficultés à récupérer certains échanges d’informations, explique Dominique Lebreton, membre du directoire et directeur audit, projet et commercialisation de MGI. Ce sont des axes forts d’innovation sur lesquels MGI travaille à travers la connexion aux IoT. Par exemple, les conteneurs connectés de type Traxens ou Next4 permettent de récupérer de l'information et l'intègrent directement dans les CCS (Cargo Community Systems) pour donner encore plus de visibilité à nos clients sur leur chaîne logistique ».

 

Le prestataire Bolloré Logistics se positionne sur ce sujet de smart container avec un laboratoire d’innovations : « Nous avons décidé avec l’équipe du B.Lab de nous concentrer sur la traçabilité avec Next4 qui nous semble un élément clé dans ces environnements de transport qui souffrent de plus en plus d’aléas », indique Henri Le Gouis, CEO de Bolloré Logistics Europe. Pilotage fin et traçabilité sont donc en première ligne pour concourir à une fluidité renforcée du passage des marchandises et rendre les ports français plus compétitifs.

 

Interfacer la communauté portuaire

« Notre approche consiste à appuyer l’interopérabilité des systèmes des différents acteurs de la chaîne logistique : en renforçant les interfaces, nous voulons améliorer le dialogue entre terre et mer, et ainsi rendre le passage de la marchandise encore plus performant », explique Olivier Ferrand, directeur de la stratégie et du développement de Haropa. Un axe de travail pour lequel Haropa compte sur la société Soget, spécialiste du PCS (Port Community System). La société déploie en effet actuellement sur tout le corridor Axe Seine sa nouvelle plateforme collaborative S)One développée avec Microsoft. « Nous avons travaillé avec tous les acteurs sur cette plateforme collaborative sécurisée, explique Hervé Cornède, directeur général de la Soget. C’est un nouveau challenge puisqu’on intègre simultanément les trois ports de Haropa (Le Havre, Rouen, Paris) avec un système unique plutôt que trois ». Cet immense chantier digital regroupe 1 775 entreprises pour 6 700 utilisateurs et engendre 3 000 interfaces entre la plateforme et les entreprises elles-mêmes. Il a fallu procéder par étape : « Notre challenge, c’est que tous les entrepôts soient interfacés avec S)One, soit plus de 2,5 millions de m², explique Hervé Cornède. Or, il ne faut pas perturber les systèmes d’exploitation de nos clients, c’est donc une solution agile et modulaire qui se déploie sur l’Axe Seine… nécessitant également une culture du changement et une formation ».

 

Du côté de la Méditerranée, Marseille affirme aussi sa volonté de construire le port de demain, connecté et durable. Le tout sur un territoire qui détient la spécificité de compter plusieurs data centers : le troisième d’entre eux, le MRS3, doté de câbles sous-marins et construit sur une ancienne base sous-marine allemande, doit être achevé en 2021 et venir renforcer l’attractivité économique du territoire. Un élément parmi d’autres faisant dire à Christine Rosso, directrice du développement du port de Marseille Fos, que « l’innovation numérique est au coeur du port : d’une part, parce que nous sommes dotés depuis très longtemps d’un Cargo Community System (CCS) de MGI qui est vecteur d’innovations. D’autre part, parce que nous avons une culture numérique, se traduisant par la mise en place du French Smart Port in Med, qui réalise des challenges entre acteurs industriels et start-up ». La société française MGI cumule plus de 35 ans d’existence dans le CCS. Un système reliant 15 acteurs dans la chaîne logistique, à la fois publics (administration des douanes, autorités portuaires, organismes vétérinaires et phytosanitaires, gendarmerie, police…) et privés (agents maritimes, transitaires, manutentionnaires, exportateurs et importateurs, dépôts de conteneurs…) : « Dans l’export d’un conteneur, ces acteurs interviennent et doivent s’échanger de l’information. Historiquement, cela se faisait sous format papier et les CCS sont arrivés dans le paysage pour faciliter et fluidifier l’information de manière automatisée », détaille Dominique Lebreton. Gérant plus de 13 communautés portuaires et aéroportuaires, le nouveau CCS de MGI, le Ci5, est déployé sur tout le port effiet sa communauté, soit 4 600 utilisateurs quotidiens : « Nous connectons notre hinterland sur tous les modes de transport pour le pré et le post-acheminement : une marchandise qui arrive sur le port de Marseille Fos, par voie routière, ferrée, ou par le fleuve, est tracée dans notre système », précise Dominique Lebreton.

 

Niveau fluvial, l’accessibilité à la donnée et son partage, pour atteindre plus de fiabilité, sont tout aussi primordiaux. VNF travaille ainsi avec les ports maritimes et fluviaux à la mise en place de SIF (service d’information fluviale) – des portails donnant accès aux navigants à toutes les informations nécessaires pour l’exploitation de leur bateau : horaires et statuts des écluses, disponibilité des quais, hauteur libre sous pont, tirants d’eau disponibles… « Nous développons ces portails SIF avec nos partenaires portuaires comme par exemple sur la Seine avec Haropa. Et nous sommes en discussion notamment avec le Grand port maritime de Marseille pour le déploiement d’un SIF sur le bassin Rhône-Saône ». Enfin, et pour entrer dans le cadre du règlement européen EFTI qui impose aux gestionnaires d’infrastructures de numériser progressivement leurs outils, VNF lance le projet CEDRE (collecte et échange de données sur le réseau européen) à des fins d’optimisation logistique, avec différents partenaires.

 

Blockchain, IA et prédictibilité

Outre la sécurisation des systèmes d’information dans des objectifs de cyber-sécurité, et l’interopérabilité des systèmes, le grand sujet évoqué en matière de digitalisation touche aujourd’hui à la Blockchain. Une technologie sur laquelle certains avancent « très vite », selon Olivier Ferrand, à l’instar des grands armateurs mondiaux ou encore des grands traders céréaliers : « Les uns et les autres s’emploient à déployer cette technologie de façon à faciliter la transmission de l’information. Le défi consiste pour nous à être en capacité de nous inscrire dans la Blockchain de nos clients, et de faire en sorte que le futur PCS unique de l’axe Seine en soit un rouage à part entière », relate-t-il. Une technologie au coeur du pilote MeRS, présenté comme « le mariage de la Blockchain et de la logistique sur l’axe Méditerranée-Rhône-Saône ». Ce projet, financé par la Banque des Territoires, VNF, CNR (Compagnie nationale du Rhône) et le port de Marseille Fos dans le cadre des travaux autour de la Stratégie nationale portuaire du gouvernement, visait « à expérimenter un démonstrateur pilote pour tester la sécurisation de la chaîne de transport digitale afin d’améliorer la fluidité, la sureté et la compétitivité de la chaîne logistique et de l’acheminement intermodal de marchandises sur l’axe Rhône/Saône ».

 

Une période test de dématérialisation des processus export complets entre Lyon et le GPMM a été réalisée par les sociétés MGI, BuyCo et KeeeX au cours du premier semestre 2019. Objectifs ? Sécuriser la chaine de transport, améliorer la traçabilité et mesurer l’empreinte écologique, partager une plateforme de transport multimodal et enfin démontrer l’excellence française en innovation portuaire. Pour Dominique Lebreton de MGI, cette expérimentation aura amené à prouver « qu’un certain nombre de documents pouvait être intégré dans la Blockchain. En sécurisant les informations qui y sont intégrées, parce qu’elles sont réputées fiables et infalsifiables, et en faisant le lien avec les CCS, nous avons par exemple montré qu’on pouvait gagner 70 % de frais administratifs sur un flux export entre Lyon et Marseille… ». Après avoir été présenté dans le cadre du plan de relance aux différents ministères, en mettant en avant son apport pour la compétitivité, le projet est actuellement dans une « phase de communication pour l’industrialiser ». MGI planche également sur le sujet de l’intelligence artificielle et de l’analyse prédictive : « Nous travaillons avec le CEA Tech qui est un des plus grands laboratoires de recherche au monde, sur l’analyse prédictive des flux de marchandises arrivés sur nos places logistiques. Ce sont de travaux qui n’existent nulle part ailleurs, explique Dominique Lebreton. Les premiers services sont en cours de test avec les manutentionnaires marseillais en s’appuyant sur les informations intégrées dans notre système ». Et pour apporter toujours plus de traçabilité aux marchandises door to door, nerf de la guerre pour une efficience opérationnelle, MGI travaille enfin à une mise en réseau avec d’autres sociétés, notamment en Méditerranée, autour du projet Data Mare Nostrum : « Nous cherchons à nous connecter avec différentes sociétés comme la nôtre en Tunisie, en Algérie, au Maroc, en Espagne, et en Italie pour échanger de l’information entre ports ».

 

C’est également pour répondre à cet objectif de pilotage de la performance que Soget a lancé en juin 2020, en collaboration avec Haropa, dans son PCS S)One, le module de visualisation et d’analyse dynamique de la performance du passage portuaire My KPIs. Basé sur des technologies business intelligence de Microsoft, cet outil d’aide à la décision permet d’accéder à la performance moyenne du passage de la marchandise sur la place portuaire. Mais il va également plus loin en proposant aux entreprises de mesurer, visualiser et piloter leur propre performance individuelle. « À partir d’un outil d’échange d’informations, de production et de sécurisation, le PCS, les clients souhaitent avoir des nouvelles fonctionnalités liées à la prédictibilité des flux, les KPIs, l’IA. Nous avons beaucoup de services qui ont évolué autour de cette capacité à suivre ces flux et analyser leur performance par rapport à la moyenne portuaire ou à d’autres flux », explique Hervé Cornède.

 

Améliorer le process métier

Des nouvelles technologies qui, de manière générale, vont apporter aux acteurs de la place portuaire visibilité de l'information, réactivité et prédictibilité. « Tout ce qui permettra d’améliorer ces trois critères là sera positif pour les ports », juge Fabien Becquelin, directeur opérationnel de la fédération Norlink. Pour autant, il ne s’agit pas seulement de vouloir ces nouvelles technologies pour s’en emparer avec efficacité : « L’essentiel porte sur la manière dont vous allez apporter de la valeur en les utilisant, comment vous allez améliorer le process métier de vos clients. Un PCS est déjà un concept de Blockchain en tant que tel puisque les informations sont sécurisées. Avec l’IA ensuite injectée, vous allez améliorer vos process et apporter plus de facilité au client. Le secteur mondial du transport logistique maritime et portuaire est très mature et équipé. Nous nous adaptons à ses systèmes et non le contraire… », juge Hervé Cornède. Des nouvelles technologies, oui, mais si elles apportent de la valeur ajoutée dans les process métiers et améliore la fluidité. Et cette amélioration passe également par la poursuite de la dématérialisation des documents : « À l’international par exemple, nous réalisons des connexions avec les banques, nous dématérialisons les licences d’importation, les points de passages aux frontières terrestres, les permis miniers… », illustre-t-il.

 

CFNR Transport s’attelle justement à cette dématérialisation complète des factures, projet qu’elle compte finaliser courant 2021 dans le cadre du déploiement d'une GED (gestion électronique des données) pour l'ensemble de ses activités. « L’établissement de Nancy Port a servi de test pour ensuite étudier sa mise en place sur tout le périmètre des activités CFNR Transport », indique Jean-Marc Thomas, directeur général de l’entreprise. À leur échelle, les acteurs de la place portuaire travaillent ainsi chacun à faire de la digitalisation un levier de croissance : « Plusieurs actions ont d’ores et déjà été mises en place afin de permettre aux clients du groupe de bénéficier des meilleures innovations technologiques mondiales en matière de Blockchain, d'IA, d'IoT, etc. C’est le cas notamment avec My CMA CGM, notre plateforme 100 % digitale qui permet au client de gérer l’intégralité du cycle de transport en ligne », décrit le groupe.

 

Quant à Contargo, il entend déployer l’année prochaine son propre système informatique privatif COLA (Contargo Open Logistics Apps), en test depuis deux ans. Objectif : que l’ensemble de ses 25 terminaux soient équipés d’ici fin 2022 pour « driver toute l’Europe avec le même système d’information de plus en plus connecté vers l’extérieur avec des applications pour les chauffeurs leur permettant des prises de rendez-vous sur les terminaux, etc. », détaille Gilbert Bredel, président de Contargo North France, rappelant néanmoins que « tout n'est pas digitalisable. Mais nous allons continuer à développer l'échange de données en remontant la chaîne vers les chargeurs et nos transporteurs ».

 

Quid de la 5G?

 On a vu l’exemple du port de Shanghai entièrement automatisé avec de la 5G, doté de systèmes robotiques fonctionnant 24h/24, sept jours sur sept. Un Eldorado pour les ports français ? Le territoire hexagonal ne met en tout cas pas de côté cette option. Preuve en est avec Haropa qui teste actuellement au grand port maritime du Havre son application. « Nous sommes territoire d’expérimentation pour le déploiement de cette technologie avec plusieurs partenaires industriels. Nous allons faire un test grandeur nature, qui nous permettra d’avoir une capacité de débit 100 fois supérieur à l’existant. Cela va vraiment dans le sens d’un renforcement de la fluidité du passage de la marchandise », explique Olivier Ferrand. Haropa fait ainsi partie des onze premiers projets retenus, dans le cadre de l’appel à la création de plateformes d’expérimentation 5G dans la bande de fréquences 26 GHz (bande de fréquences dites « millimétriques ») lancé par le Gouvernement et l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse). « L’objectif de cet appel était de favoriser l’appropriation par l’ensemble des acteurs des possibilités offertes par cette bande de fréquences, et d’identifier les nouveaux usages de la 5G […]. Les applications relevant du domaine de l’énergie sont notamment envisagées, tels que le pilotage de “smart grids” [réseau électrique intelligent], ou la recharge de véhicules électriques. D’autres cibleront davantage les opérations logistiques sur le territoire portuaire, notamment l’exploitation des terminaux à conteneurs, en lien avec la communauté urbaine Le Havre Seine Métropole, Siemens, EDF et Nokia. Ce projet s’inscrit en continuité du Programme Smart Port City porté par le territoire », indique l’Arcep. Le Havre, un poisson pilote en France sur cette expérimentation ? « Ce sont des sujets que l’on suit avec attention. Après le port du Havre, peut-être que d’autres se lanceront… », anticipe Jean-Pierre Chalus, président de l’UPF.

Focus

Des innovations au port d'Anvers

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« Le port d’Anvers, c’est 238 millions de tonnes de fret maritime sur 12 068 hectares », rappelait Erwin Verstraelen, chief digital and innovation officer du port belge en préambule d’un webinaire, le 28 septembre 2020, consacré à ses projets récents visant à la fois transition énergétique et innovations technologiques. Parmi les dernières innovations : l’adoption d’un bracelet numérique de distanciation sociale, conçu par la société de technologie numérique Rombit et testé en avant-première durant la crise sanitaire. L’entreprise travaille par ailleurs avec le port d’Anvers à un système de caméra intelligente, pouvant également s’appuyer sur des drones, et « permettant de contrôler la gestion des flux de trafic avec reconnaissance des camions, trains et navires, prédiction de congestion ou encore taux d’occupation des quais, mais aussi la détection d’anomalies, notamment avec l’inspection des potentiels dommages sur les actifs », explique John Baekelmans, PDG de Rombit. Autre « use case » présenté, celui de la détection des marées noires à l’aide de drones, expérimentés avec l’université d’Anvers : « Il s’agit de la meilleure technologie à utiliser pour détecter, jour et nuit, les déversements de pétrole et observer leurs trajectoires », détaille Thomas De Kerf, chercheur à l’université. Le 30 octobre 2020, le port annonçait à ce sujet le déploiement de drones afin d’assurer la sécurité et de renforcer les contrôles dans la zone portuaire : « Ils seront déployés lors de contrôles réguliers, mais également en cas d'incidents liés au pétrole (marée noire) afin d'avoir rapidement un aperçu de la situation. Le matériel visuel capté sera par ailleurs utilisé par l'université d'Anvers afin de générer des algorithmes pour détecter automatiquement les évènements de ce type à l'avenir ». Enfin, Seafar était venu présenter sa technologie consistant à commander à distance les barges et navires automatisés pour la navigation intérieure et le transport maritime de courte distance. Un dispositif dont le port d’Anvers a été le premier contrat commercial. « Plusieurs navires sans pilote peuvent être surveillés et contrôlés par un seul opérateur à terre via le Shore Control Center. Cela offre une solution à la pénurie d’équipage dans le secteur de la navigation intérieure et améliore l’efficacité opérationnelle », indique le PDG de Seafar, Louis-Robert Cool.

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