©
Rawen Vision
Transversal
Mis en avant durant la crise sanitaire, le transport routier de marchandises n’en a pour autant pas fini de construire sa conquête des institutions. En quête de mesures cohérentes pour accompagner sa transition écologique tout en ayant conscience de ses enjeux et de son importance, le secteur attend plus de cohérence de la part des pouvoirs publics.
« Si vous l’avez, c’est qu’un camion vous l’a apporté ». Durant l’été 2020, c’est par ce slogan que la FNTR (Fédération nationale des transports routiers) a lancé une campagne de communication. Une manière de rappeler aux Français, durant ce relatif redoux sur le plan épidémique, les services apportés quotidiennement par les transporteurs routiers. Des services qui, plus encore qu’auparavant, auront été mis en lumière pendant le premier confinement. « Nous avons indiscutablement été plus visibles pendant la crise sanitaire », estime Florence Berthelot, la déléguée générale de la FNTR, observant que la reconnaissance s’est étendue à celle du grand public : « Nous l’avons vu à travers les messages reçus à la fédération. Des particuliers nous ont écrit et remerciés, c’était assez touchant ». Des déclarations encourageantes qui n’ont pour autant pas remisé au placard la campagne d’information qui a suivi « parce que l’on se doutait qu’une fois le premier confinement terminé, les mots d’amour seraient vite oubliés… ».
Des mesures d’accompagnement
Et les acteurs du secteur entendent le rappeler : ils ont su répondre présents en ces temps tourmentés, faire preuve de résilience et s’adapter. « Même s’il y a eu moins de volumes et des tensions, les entreprises de transport n’ont pas eu pour la plupart de problèmes de trésoreries, notamment grâce au PGE [Prêt garanti par l’Etat]. Il y a 50 % de taux de dépôt de bilan en moins en 2020 qu’en 2019, observe Alain Borri, cofondateur et CEO de bp2r, et membre du conseil d'administration de France Supply Chain. Il est évident que le rôle crucial des chaînes logistiques dans la crise sanitaire a été pris en compte dans les annonces faites à l’issue du Cilog [Comité interministériel de la logistique qui a eu lieu en décembre], et on ne peut que s’en féliciter ».
Un Cilog qui, parmi ses grands objectifs prioritaires mentionne « soutenir la décarbonation du transport de marchandises » mais aussi « promouvoir un écolabel flux logistique pour acheminer les marchandises vers les chaines logistiques les moins carbonées des ports français ». Une ambition questionnée par Yann de Feraudy : « On peut se demander si c’est le rôle du gouvernement de s’occuper de cela. Il existe foison d’organisations qui certifient ces éléments comme la SBTI ou l’Ademe. Doit-on réellement faire appel à un nouveau label ? », interroge le président de France Supply Chain et directeur général adjoint des opérations et IT du Groupe Rocher, jugeant qu’au-delà de la décarbonation du transport de marchandises, il s’agit de s’intéresser également à sa digitalisation. « Quand on voit la fragilité du tissu des transporteurs en France, des mesures d’accompagnement économique sont nécessaires, mais il faut aussi mener des réflexions sur l’utilisation des nouvelles technologies, souvent coûteuses, pour mieux mutualiser », estime-t-il.
Une reconnaissance contrastée
Et le transport jouit toujours d’une attention et d’une reconnaissance contrastée, que ce soit auprès du grand public ou des politiques. Si les annonces de la création de France Logistique et de ce premier Cilog suscitent l’espoir, certaines décisions et positions politiques contradictoires éveillent ainsi si ce n’est la méfiance, du moins l’incompréhension du TRM (transport routier de marchandises). « Quand je vois, sur la carte de voeux du ministère des Transports, tous les modes de transport en photo, y compris le skateboard, mais pas de camion, ça laisse songeur, il y a encore du chemin à parcourir… », se désole Éric Hémar, président de l’Union TLF (Union des entreprises transport et logistique de France). Même impression mitigée pour Florence Berthelot, qui estime que le TRM a été « complétement zappé » du Plan de relance « à part une aide pour l’acquisition de véhicules propres mais dont la plupart n’existent pas : pour l’instant, l’électrique ne dépasse pas le 26 tonnes et l’hydrogène n’est pas mature », indique-t-elle.
Sur l’enveloppe de 11,5 milliards annoncés pour le secteur du transport par le Plan de relance, l’une des priorités va ainsi au ferroviaire qui bénéficie de 4,7 milliards, tandis qu’1,9 milliard doit servir à « construire l’avion vert de demain », et 400 millions d’euros sont dédiés au maritime et au fluvial. Le transport routier, sans être directement cité vient lui s’agréger à la somme des 2,7 milliards annoncée pour la « poursuite de la conversion du parc automobile », qui intègre notamment « la transition énergétique des poids lourds ».
Du courage politique
Plus généralement, c'est le manque d’allant des pouvoirs publics à investir véritablement le routier, à en saisir les enjeux et les moyens de l’accompagner sur la transition écologique, qui est souligné. « La sphère politique ne se sent pas le courage d’exprimer de façon claire ces sujets à l’opinion publique. Victor Hugo sur son île disait : “Je suis un guide échoué à qui la boussole donne raison mais à qui l’ouragan donne tort”… On a pu l’observer avec la Charte de transition énergétique : quand elle a été discutée avec les acteurs opérationnels, on était d’accord, et quand est arrivée la Convention citoyenne pour le climat, tout cela a été balayé parce qu’il fallait absolument prendre des engagements fiscaux à deux ans… Pourquoi est-il si difficile pour un ministre ou un homme politique de s’occuper du transport routier ? Parce qu’il pense que ce n’est pas porteur politiquement… », déclare Éric Hémar pour qui il faut oser aller à l’encontre de l’opinion publique et être en mesure d’expliquer : « On parviendra à atteindre les objectifs d’empreinte carbone neutre européens parce que les camions basculeront à l’hydrogène ou à l’électrique et ce serait bien que cela ne se fasse pas au détriment des industriels français ! En revanche, il faut assumer de dire que cette bascule prendra entre 10 et 20 ans et qu’il y aura autant de camions qu’aujourd’hui mais qu’ils seront à l’hydrogène… ».
Inquiétudes face à la Convention citoyenne pour le climat Cette contradiction entre les annonces de soutien au secteur et des actions venues les contrebalancer est également soulignée par Florence Berthelot : « On ne peut pas nous dire d’un côté : “Oui, il y a un problème de compétitivité de l’ensemble de la chaîne logistique française”, pour au final se retrouver avec des mesures qui vont encore contraindre un peu plus cette compétitivité ». Pour la déléguée générale de la FNTR le projet de loi issu de Convention citoyenne pour le climat est « une catastrophe » pour le transport routier, avec l’instauration de nouvelles taxes. « Cela nous a d’autant plus étonnés qu’au Cilog de décembre, des mesures permettaient de porter le transport et la logistique pour les reconnaître comme un secteur stratégique. Et avec le projet de loi sur la Convention citoyenne, on a l’impression que tout a été effacé d’un revers de main… ». Une Convention où est notamment prévue « la disparition progressive du remboursement partiel de la TICP entre 2023 et 2030 dont bénéficient les transporteurs. Et ce, même si l’offre de véhicules “propres” et d’énergies alternatives n’est pas disponible », rappelle Florence Berthelot sur le site de la FNTR.
Mûrir une réflexion globale
Les enjeux pour le climat sont aussi largement soulignés dans le Plan de relance qui axe ses mesures autour de la transition écologique du secteur : « Nous voulons développer la R&D et l'innovation dans le secteur, avec un programme d'investissements d'avenir pour des sujets majeurs, comme l'hydrogène pour le monde du transport », souligne Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée, chargée de l’Industrie. Derrière ce mouvement de verdissement, il s’agit néanmoins d’en inscrire de manière réaliste les étapes, sans laisser sur le bord de la route les camions, encore largement majoritaires pour assurer le transport dans l’Hexagone : « Si demain on double le fret ferroviaire en passant de 9 à 18 %, et le fret fluvial de 2 à 4 %, le TRM restera majoritaire dans ce pays de 75 à 80 % pendant 10 ans », rappelle Florence Berthelot qui incite, au lieu d’« incantations » à « un accompagnement sérieux » de la part de l’État. La déléguée générale appelle ainsi à arrêter de « taper » sur le transport routier qui s’est déjà engagé dans la transition énergétique, mais à mûrir une vraie réflexion globale de filière avec les constructeurs et les énergéticiens en s’interrogeant sur l’échéance à laquelle on pourra avoir un basculement de la flotte de camions du diesel vers d’autres énergies, avec des infrastructures de recharge ou d’avitaillement. « Nous avons réduit notre consommation de carburant, nous sommes beaucoup moins émetteurs de GES alors que les volumes ont augmenté. Des efforts considérables sont faits sur la limitation de la pollution avec les ZFE (Zones à faibles émissions), beaucoup d’entreprises ont fait des transitions vers le GNV, d’autres vont vers les bio-carburants », liste-t-elle. Dans ce cadre, les axes de travail de la FNTR l’amènent aujourd’hui à plancher sur la Convention citoyenne, à porter ses propositions, et apporter une appréhension globale de filière… Objectif : mieux analyser comment aider ce secteur à trouver les gisements d’amélioration pour réduire l’empreinte environnementale, en bonne intelligence avec les pouvoirs publics.