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Transversal
Terre de transport et d’agroalimentaire, la Bretagne est dotée d’un tissu économique dynamique. Pour répondre à ces impératifs logistiques, ses besoins de recrutement vont croissant, sur des profils et des compétences variés. Un enjeu d’attractivité auquel doivent répondre les professionnels et la région.
Sur les effectifs des métiers de la supply chain en Bretagne qui s’élèvent à 85 000, l’activité marchandises de la branche transport représentait 31 749 personnes dont 25 443 pour le transport routier de marchandises fin décembre 2020, selon l’Urssaf. Comme sur l’ensemble du territoire, la région fait face à un fort besoin de recrutement de conducteurs, d’agents de quai, d’exploitants et d’encadrants.
L'enjeu de l'attractivité
Pour mettre en avant cette filière, les acteurs du territoire peuvent désormais compter sur Let’s Go, projet régional de l’emploi et des métiers logistiques créé en 2020 par le cluster Bretagne Supply Chain et l’AFT. Durant la première quinzaine de février, l’évènement propose des visites d’entreprises, des ateliers, des conférences, mais aussi des forums d’emplois et des portes ouvertes sur le territoire du Grand Ouest. « Ce projet a pour ambition de faciliter les recrutements et de valoriser nos métiers, explique Élodie Le Provost, déléguée générale du cluster Bretagne Supply Chain. Nous travaillons avec l‘Académie de Rennes, des collèges et des lycées, ainsi qu’avec les 37 agences Pôle Emploi de Bretagne à qui nous proposons des interventions. Les organismes de formation et les entreprises ouvrent leurs portes aux élus politiques du territoire. La promesse de Let’s Go, c’est que tous les acteurs discutent et collaborent encore mieux ». « Le travail extraordinaire fait par Let’s Go permet de dynamiser notre territoire au niveau économique, juge Thierry Bailleux, responsable opérationnel du GIE Chargeurs Pointe de Bretagne. Si le transport subit une crise par manque de moyens humains, la Bretagne fera partie des premières pénalisées. Du fait de la production alimentaire forte sur le territoire, ses besoins en matière de chauffeurs routiers sont importants ».
Formation et visibilité du secteur
Recrutement et reconnaissance de la filière : en Bretagne, les enjeux d’attractivité du secteur sont les mêmes que sur l’ensemble de l’Hexagone. Avec à la clé les mêmes défis à relever : l’évolution des métiers par la transition numérique, la nécessité de les voir se féminiser – le transport de marchandises n’emploie que 3 % de conductrices alors qu’elles sont environ 30 % en transport de voyageurs. « 80 % des effectifs de la branche transport concernent le secteur des marchandises qui, en 2020, a augmenté, tandis que les autres segments du transport ont plongé », note Éric Godefroy, ancien délégué régional chez AFT Transport Logistique Bretagne. Outre les postes de chauffeurs routiers, ce sont également les emplois de chauffeurs livreurs, de préparateurs de commandes et d’agents magasiniers que les entreprises cherchent massivement à recruter, pointe Philippe Munier, délégué régional Union TLF Île-de-France, Centre et Ouest : « Ce sont des métiers en manque d’attractivité. Au sein de l’Union TLF, nous menons des actions avec nos partenaires depuis un certain temps pour revaloriser leur image. Il y a notamment un travail à faire auprès de la nouvelle génération qui passe par des actions de visites d’entreprises, d’accompagnement des collèges et des lycées pour leur faire connaître nos nombreux métiers ».
Ces problématiques d’emploi se révèlent d’autant plus criantes dans une région peu touchée par le chômage – au troisième trimestre 2021, il s’élevait à 6,5 % de la population active tandis qu’il était de 8,1 % au niveau national. « Les enjeux touchent à la formation et à la visibilité des métiers, observe Yann de Feraudy, directeur général adjoint aux opérations, IT du Groupe Rocher et président de France Supply Chain. Face à cela, on risque de voir se développer la mécanisation pour pallier ce manque de main-d’oeuvre. C’est vrai dans un certain nombre de régions mais spécifiquement en Bretagne ». Pour s’appuyer sur une équipe stable de chauffeurs et maîtriser les compétences de ses équipes, certains comme Cadiou Industrie, fabricant de portails, clôtures et garde-corps, situé à Locronan (29), ont décidé de ne pas faire appel à des prestataires pour réaliser la distribution à leurs artisans partenaires : « Nos produits sont très lourds, très fragiles et complexes à transporter donc nous avons commencé avec un chauffeur recruté en interne et, depuis 15 ans, nous avons développé notre propre flotte de camions. Nous avons 30 chauffeurs qui sillonnent la France. Cette filiale transport nous permet véritablement de maitriser notre savoir-faire et nous a conduit à développer notre propre conditionnement pour assurer la qualité des produits », illustre Sylvia Grados, responsable grands comptes, ADV et coordinatrice supply chain chez Cadiou Industrie.
Accompagner les salariés
Selon l’Insee, si les tendances démographiques et migratoires récentes se poursuivent, la population bretonne pourrait croître de plus de 400 000 habitants entre 2018 et 2040. Car le territoire séduit de plus en plus, ce qui peut aussi jouer en faveur de l’emploi. Le prestataire C-Log, filiale logistique du groupe breton Beaumanoir, mise notamment sur l’attrait de la région pour répondre à ses besoins de recrutements dans les domaines du transport et de l’informatique, soumis à de fortes concurrences : « Il faut que nous trouvions des spécialistes présents en Bretagne ou qui seraient prêts à s’y installer. Évidemment, nous mettons en avant la plage, la bière, la convivialité, les paysages… ! C’est une belle région et on a de la chance, car elle offre la possibilité d’attirer de bons candidats », indique Bertrand Chabrier. Et si la pandémie aura permis à certains de franchir le cap et de déménager en terres bretonnes, cet afflux de nouveaux arrivants implique aussi une demande croissante en matière de logements. L’accompagnement des salariés est également à prendre en compte par les employeurs, souligne Olivier Sinquin, directeur général de la société d’intérêt collectif agricole Saint-Pol-de-Léon qui a dû recruter 244 personnes lors de l’ouverture de sa nouvelle plateforme Vilar Gren de 70 000 m² fin 2020 : « L’hébergement de la main-d'œuvre devient un vrai sujet, nous investissons donc dans le logement locatif pour nos salariés, ce qui n’est pas du tout la fonction primaire d’une coopérative agricole ».
Un accompagnement qui touche également à la mobilité : « Les gens vivent en ville et ne sentent pas le besoin de posséder un véhicule. Toute cette logique de “smart city” fait partie de la supply chain globale et nous amène à nous interroger sur la manière d’accompagner cette urbanisation. À la place des véhicules individuels, il faut peut-être proposer des bus de cinq, six personnes pour les emmener sur leur lieu de travail », anticipe-t-il. Des efforts tous azimuts pour attirer les compétences sur le territoire et entourer au mieux ces nouvelles recrues. Mais le travail n’est pas terminé, prévient Serge Rambault : « Il faut que nous parvenions à convaincre qu’il y a beaucoup d’opportunités dans ces métiers-là de la logistique, que ce soit du côté industriel ou des prestataires. La qualité de la région peut être attractive, mais cela ne suffira pas », termine-t-il.
> Retrouvez ici l'intégralité des articles du dossier Bretagne : de la contrainte nait le dynamisme.
Focus
Perspectiv'supply pour la filière frais
Mise en place en partenariat avec le cluster Bretagne Supply Chain, la démarche Perspectiv’Supply, déployée par les Carsat Bretagne et Rhône Alpes, entend améliorer la performance du secteur en l’accompagnant d’une prévention des risques professionnels.
« 4,5 % des salariés en France sont Bretons. Pourtant, ces derniers représentent 7 % des employés touchés par les TMS (troubles musculosquelettiques), décrit Antoine de Lipowski, ingénieur conseil pour les secteurs métallurgie et transport à la Direction des risques professionnels de la Carsat Bretagne. Ce qui ressort du lot en Bretagne, c’est la filière agro-industrielle en lien avec la grande distribution qui conduit à ce pourcentage de TMS plus important au niveau régional qu’ailleurs ». Sur le sujet, l’initiative Perspectiv'Supply, d’abord lancée par la Carsat Rhône Alpes, a impulsé plusieurs actions en Bretagne depuis 2018. Ce projet collaboratif au sein de la filière alimentaire des produits frais vise à renforcer la performance globale du secteur en innovant dans la prévention des risques professionnels. La Carsat, assureur commun à tous les acteurs du secteur, incite ces derniers à traiter ensemble les points de tension qui ne peuvent être résolus seuls. « L’idée est d’introduire, dans les échanges entre les différents acteurs de la chaîne, l’amélioration des conditions de travail comme un nouveau levier de performance globale, pour le bénéfice d’autres indicateurs qualité et financiers, partagés entre les acteurs », décrit Antoine de Lipowski. Menée en partenariat avec le cluster Bretagne Supply Chain, la démarche a été réalisée auprès d’un groupe constitué d’une quinzaine d’entreprises (industriels, transporteurs, magasins et sites logistiques de la grande distribution) : « Nous avons commencé par organiser des ateliers où étaient invitées des entreprises des différents maillons. Plusieurs temps de réunion co-animés par Bretagne Supply Chain ont eu lieu en 2019 pour que chacun évoque ses contraintes. Nous souhaitions, par ce premier noyau d’entreprises, identifier des situations à traiter ensemble ». Des expérimentations ont ainsi été menées dans plusieurs domaines pour assouplir les contraintes liées à la temporalité des flux (fréquences de livraison, commandes tardives…), les palettisations (amont hétérogènes, aval mélangées, hauteur des palettes), les emballages (diversité, poids, fragilité), les réceptions (multi-réceptions multi-quais, plage horaire des livraisons…), mais aussi la dématérialisation (harmonisation, transmission des pièces de transport…). « La crise sanitaire a perturbé notre démarche, mais celle-ci a aussi été riche en enseignements sur la capacité des acteurs de la filière à mieux s’entendre et intégrer les contraintes de chacun pour répondre à la demande », termine Antoine de Lipowski.