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Logistique de la seconde vie : éviter de produire à tout prix ?
6. D’autres modèles de chaînes logistiques restent à bâtir
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Parradee via stock.adobe.comEnregistrant une croissance continue, le marché de l’occasion et ses supports logistiques et transport comportent eux aussi leurs lots d’externalités négatives, incomparables cependant en termes d’impacts à ceux liés à la production de nouveaux biens. Les principales ombres au tableau ? La surconsommation et l’incapacité à infléchir la courbe de production d’articles neufs.
Dans une étude de 2022 intitulée Les objets d’occasion : surconsommation ou sobriété ?, l’Ademe, le Crédoc et l’Université Paris Dauphine-PSL se sont intéressés aux pratiques des consommateurs autour des objets d’occasion. Avec pour objectif de « définir si l’achat d’objets d’occasion participe à un objectif de sobriété ou s’il est, au contraire, inscrit dans une dynamique d’accumulation et de surconsommation », explique l’Ademe en introduction de son rapport. Ses résultats montrent que dans presque 50 % des cas, l’achat d’occasion est paradoxalement associé à une « surconsommation liée à l’accumulation ou au renouvellement rapide des biens d’occasion achetés moins chers et dorénavant plus facilement revendables. » L’Agence de la transition écologique rappelle que l’achat de seconde main permet de réduire l’impact sur l’environnement en limitant la production de biens neufs, et qu’il est nécessaire de faire progresser la part d’achats d’occasion dans les habitudes des Français. En revanche, elle relate l’importance de nuancer les messages d’encouragement à l’acquisition de produits de seconde main, s’ils contribuent à exacerber une dynamique de surconsommation. Le développement du marché de l’occasion entraîne en effet lui aussi une multiplication de la logistique de gestion des colis, des transports et des pollutions associées. Sans compter d’autres effets rebonds plus pernicieux : la facilité à accumuler et revendre dans la seconde main peut potentiellement inciter à acheter et faire acheminer davantage de produits neufs.
Tout un système à repenser
Même si le marché de l’occasion comporte intrinsèquement des externalités négatives, ces dernières sont beaucoup moins importantes que celles liées à la fabrication de nouveaux biens. Un achat de seconde main sera dans quasiment tous les cas bien plus vertueux que celui d’un même objet neuf. « Il faudrait vraiment un petit produit inutile envoyé à l’autre bout du monde pour que ce soit pire de lui donner une seconde vie plutôt que de le reproduire, en termes de matière, de disponibilité, d’énergie nécessaire, etc. », expose Anaïs Leblanc, directrice associée chez Citwell, qui rappelle que « 80 % du CO2 émis et jusqu’à 90 % des matières utilisées concernent le neuf. » Si le marché de la seconde main a tout intérêt à poursuivre son essor, sa croissance doit cependant être impérativement accompagnée par un changement d’attitude de consommation, et être supportée par un pivot systémique de schéma, du linéaire au circulaire. Cette transition doit être appuyée en premier lieu au niveau politique, seul capable d’inciter massivement les grandes entreprises à emboîter le pas (sous la contrainte ou via des incitations fiscales par exemple) et à revisiter complètement leur modèle d’approvisionnement. « Toute la question consiste à repenser le cadre socio-économique qu’impose le politique : quelles sont les fiscalités, les réglementations, les incitations, l’idée même de société à développer ? interroge François-Michel Lambert, fondateur de l’Institut national d’économie circulaire (INEC) et président de Soroa. Devons-nous encore rester dans une société de consommation dans laquelle nous sommes atterrés d’apprendre que les Français achètent moins de voitures, comme s’il fallait toujours en produire davantage ? Si un changement de mentalité s’opère, les supply chains se tourneront sur le produit et sur la matière. »
Le fondamental développement d’une supply chain circulaire
Afin de sensibiliser les pouvoirs publics sur la nécessité d’effectuer une transition du linéaire au circulaire, Anaïs Leblanc et François Michel-Lambert ont rédigé, avec le soutien des équipes de Citwell et de l’INEC, le manifeste La supply chain circulaire, pivot de la réindustrialisation verte. Ils y démontrent que l’intégration d’une supply chain circulaire au centre d’une approche holistique d’économie circulaire, « comme outil stratégique de la planification écologique, est un impératif politique ». « Les supply chains doivent être reconfigurées par des approches nouvelles, plus locales et résilientes, fondées sur la maîtrise d’accès aux matières premières et énergies, la préservation de la matière, l’efficience toujours croissante dans l’usage des ressources », explique le plaidoyer. Pour accélérer leurs déploiements, six facteurs clefs de succès à inscrire dans les politiques de planification écologique ont été identifiés :
1. Assurer l’interopérabilité des données pour la traçabilité et la performance de la supply chain ;
2. Définir la bonne échelle multi-locale liée aux ressources et aux activités ;
3. Déployer une infrastructure (physique et SI) adaptée aux nouvelles boucles d’économie circulaire ;
4. Systématiser les pratiques de circularité « hautes » où on réutilise au maximum les produits pour le même usage (orientation de la demande) ;
5. Créer les conditions pour avoir les moyens physiques, industriels et humains capables de traiter les flux circulaires ;
6. Écoconcevoir les flux et services pour garantir un fort niveau de circularité.
« Tout est à bâtir »
« La supply chain circulaire, c’est un autre univers, confirme François-Michel Lambert. Il ne faut jamais perdre la main sur le produit ni la matière, mais au contraire toujours savoir où elle se situe, qui l’utilise et pourquoi, comment la récupérer, et comment l’injecter dans une boucle pour plus d’usages. En économie circulaire, nous ne sommes pas dans un modèle de distribution avec des entrepôts massifs et des comptoirs régulièrement approvisionnés, dans lesquels les produits sont perdus de vue après avoir été vendus. S’y retrouvent au contraire beaucoup d’espaces de retour, de concentration, de redistribution, avec des systèmes d’information tendant vers une normalisation des données permettant de pouvoir en permanence échanger sur le produit, et de nouvelles compétences à développer. C’est un autre monde, impliquant une organisation et un maillage du territoire complètement différents. Tout est à bâtir. » Qu’elles supportent des circuits de seconde main, de location, de réparation, de donation… Les organisations logistiques grandissantes mais toujours balbutiantes du monde de la seconde vie s’inscrivent déjà pour la plupart dans un schéma circulaire. Si certaines plateformes exacerbent les effets rebonds, en incitant à la surconsommation et en déculpabilisant les consommateurs qui pensent avoir fait un geste pour la planète en achetant d’occasion, de nouveaux acteurs prennent de plus en plus conscience de l’impératif à faire décroître les flux et à optimiser l’existant. Reste à ce que cette dynamique volontaire mais latente puisse être supportée aux plus hauts niveaux décisionnaires pour que la transition vers une autre chaîne logistique, ancrée dans une économie circulaire, puisse réellement se concrétiser. « Je crois mordicus à l’économie et la supply chain circulaires et me bats pour qu’elles vivent. Elles ne peuvent cependant exister facilement aujourd’hui, car rien n’est fait pour les aider opérationnellement. Les gens n’ont pas compris ce que voudrait dire et impliquer de passer sur une France circulaire, et ont du mal à appréhender la transition. Cela commence à venir, mais lentement », conclut Anaïs Leblanc.