Les poids lourds électriques au pas de charge

Selon les chiffres de l’Avere France (1), association professionnelle nationale pour le développement de la mobilité électrique, 3 163 camions électriques ont été immatriculés en Europe en 2023. En France, ces immatriculations ont été multipliées par trois par rapport à 2022, avec plus de 500 nouveaux poids lourds électriques enregistrés. Une goutte d’eau par rapport aux près de 300 000 voitures 100 % électriques vendues dans le même pays en 2023. Mais si ces dernières représentent désormais une part de marché de 16,8 % dans l’Hexagone (2), avec une dominance des modèles proposés par l’américain Tesla, leur nombre était bien plus marginal avant 2020. Les poids lourds électriques s’inscrivent dans la même dynamique, avec quelques années de décalage ; ils suivent ainsi une courbe d’adoption latente mais pouvant rapidement grimper en flèche.

Un « inversement des tendances » à venir

Ce retard s’explique par de multiples facteurs, dont des coûts de R&D et de fabrication de batteries bien plus importants, au vu des dimensions de ces dernières et à leur complexité. « La technologie électrique pour les poids lourds n’est pas encore complètement compétitive par rapport au diesel, pour tous les cas d’usages, ajoute Alexandre Hélibert, responsable des affaires publiques et porte-parole en France de Milence, coentreprise développant un réseau paneuropéen de recharges électriques pour les poids lourds. Mais un inversement des tendances s’opérera à terme. La plupart des acteurs du marché partagent les mêmes prévisions que les nôtres, à savoir que les camions électriques représenteront environ 30 % du parc de poids lourds roulant en France d’ici 2035. Leur croissance exponentielle est éminemment logique : outre la volonté écologique des transporteurs, la durabilité économique liée à l’industrialisation de la technologie va naturellement supporter leur transition. »

« J’ai l’impression de revivre le marché du véhicule utilitaire électrique il y a trois ou quatre ans », témoigne pour sa part François Oudot, CEO et co-fondateur de Bump, société spécialisée dans les infrastructures de recharge pour la mobilité électrique. De nombreuses questions sur leurs coûts d’achat se posaient alors et leur adoption a pris du temps. Désormais, ils sont une évidence dans la logistique du dernier kilomètre. »

Une adoption de l’électrique poussée par la réglementation

Outre un lissage des coûts à venir des camions électriques, grâce aux économies d’échelle réalisées sur leur fabrication et aux innovations liées aux batteries, les réglementations françaises et européennes vont également concourir à leur usage plus important. Selon un accord adopté par les députés du Parlement européen le 10 avril 2024, relatif au renforcement des normes en matière d’émissions des véhicules lourds neufs, « les émissions de CO2 des gros camions (y compris les véhicules professionnels, comme les camions à ordures, les camions à benne et les bétonnières) et des bus devront être réduites de 45 % pour la période 2030-2034, puis de 65 % pour 2035-2039 et enfin de 90 % à partir de 2040 » (3), détaille l’organe parlementaire siégeant à Strasbourg, en indiquant 2019 comme année de référence. Ce dernier précise que cet accord s’insère dans la droite lignée des objectifs de l’Union européenne visant à atteindre la neutralité climatique d’ici 2050, et contribuera à infléchir la demande en combustibles fossiles importés. Dès le 1er janvier 2025, les poids lourds neufs immatriculés dans l’Union européenne devront de plus afficher une réduction moyenne de 15 % de leurs émissions de dioxyde de carbone par rapport aux niveaux de 2019.

Alternative zéro émission aux camions diesel, les camions électriques vont ainsi naturellement compléter, pas à pas, les flottes de nombreux chargeurs, transporteurs et logisticiens. Un déploiement progressif en accord avec les réglementations, mais aussi avec les propres objectifs internes des acteurs de la supply chain, souvent volontaristes, de décarbonation du fret. Pour soutenir cette inéluctable électrification, tout un écosystème s’active en coulisse afin d’installer des infrastructures de recharge adaptées.