Emploi/RH
Une logistique plus ouverte aux différents handicaps (2/4)
4. Une écoute au long cours

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Laurène Matzeu de VialarMickaël Smith est un conducteur de poids lourds, d’origine écossaise et malentendant. Il est aussi et surtout un homme souriant, drôle, volontaire, ouvert au monde et passionné par la route. En poste chez Schenker à Nantes, il a accepté de nous raconter son histoire et son parcours vers l’acceptation de son handicap.
Voilà près de 20 ans que Mickaël Smith a posé ses valises en région nantaise, après avoir passé les 35 premières années de sa vie dans son pays natal, l’Écosse. Conducteur poids lourds pour la société de transport international de marchandises Schenker depuis plus de trois ans, Mickaël raconte son parcours atypique dans un français encore teinté d’un fort accent. Longtemps, il s’est d’ailleurs étonné de rencontrer des difficultés à apprendre la langue de Molière. Avant d’en comprendre les raisons en 2010. À la suite de problèmes répétés d’acouphènes et d’audition, Mickaël se rend en clinique à Nantes pour consulter un spécialiste et le verdict tombe : « J’avais quasiment perdu toute la partie aiguë de mon audition, je devais être appareillé. C’est à ce momentlà que j’ai réalisé que c’était sans doute pour cela que j’étais si nul en français ! Pour faire simple, je n’entends que les voyelles. Essayer d’apprendre une langue quand on entend seulement les a,e,i,o,u…, c’est compliqué ! », s’amuse aujourd’hui le collaborateur de chez Schenker.
Et pourtant, le français de Mickaël est parfaitement compréhensible. Seulement, ses interactions avec l’environnement extérieur ont parfois été difficiles : « Lorsque j’ai porté mon appareil pour la première fois en 2010, c’était assez impressionnant d’entendre enfin les oiseaux, les petits bruits, la pluie… » et ses problèmes d’audition l’ont fatigué durant de longues années : « J’ai essayé de porter des oreillettes en 2003 mais la technologie était tellement mauvaise que dès que je passais devant une télévision par exemple, je subissais de la résonance. À ce moment-là, je travaillais pour une banque en Ecosse, le port de ces appareils n’était absolument pas compatible avec ma profession, qui nécessitait que je sois en permanence derrière un ordinateur », raconte-t-il.
Conduire au service des autres
Analyste de données, puis cadre pour une grande banque écossaise au début des années 2000, Mickaël supporte de plus en plus difficilement l’enfermement dans un bureau. Du fait de ses problèmes d’audition, mais également de son tempérament : « Je ne suis pas quelqu’un qui porte la cravate. Je tenais des réunions, répondais aux mails, mais il n’y avait rien de tangible pour moi. Je me sentais différent. Ce n’était pas mon univers », admet-il. Avec sa compagne, française, ils décident alors d’emménager dans l’Hexagone. À son arrivée, il effectue six mois de bénévolat pour la Croix-Rouge, en métropole nantaise. « Je voulais être en immersion. J’effectuais des maraudes et je conduisais l’un des trois camions de leur flotte ; nous collections 20 tonnes de vêtements par semaine. J’étais alors très loin de la vie de bureau. Après trois mois, j’étais musclé et heureux ! J’ai rencontré une variété de gens incroyables. S’il y avait eu un salaire, je serais évidemment resté », explique-t-il. Durant cette période de bénévolat, Mickaël passe également un diplôme pour enseigner l’anglais et trouve quelques mois après la fin de sa formation un poste à plein temps dans une école de Carquefou. « À cette période, mes problèmes d’audition se dégradaient. À la fin, j’avais du mal à comprendre mes élèves. Je réalisais que travailler à l’intérieur devenait de plus en plus compliqué. Et puis je me suis rappelé le bonheur que j’avais en conduisant un camion ».
Intégrer son handicap
En 2013, Mickaël obtient un poste de conducteur en messagerie, comme sous-traitant pour TNT à Carquefou. Il y reste cinq ans et officie ensuite dans une société spécialisée en pièces automobile, avant de repartir en formation en 2020, en pleine période Covid, pour apprendre le métier de conducteur de poids lourds. Il est embauché en octobre 2021 chez Schenker par l’entremise d’un camarade de promo. « Soudainement, j’arrive dans un groupe mondialement connu, un autre monde où tout était davantage pris en charge. J’ai été guidé par un parrain pendant plusieurs jours, formé et surtout, l’entreprise a tout de suite communiqué autour de mon handicap. Ma cheffe de quai faisait attention à bien me regarder quand elle parlait, à articuler pour que je comprenne plus facilement. Et enfin, on m’a attribué un porteur électrique 16 tonnes, plus silencieux, afin de s’adapter à mon handicap, détaille-t-il. Ici, le fait d’être malentendant n’est pas un sujet. Évidemment, j’ai besoin d’adaptation, si la salle de pause est bondée, je l’évite. Mais la technologie avance très rapidement, j’ai repris confiance même si cela engendre de la fatigue au quotidien. »
Chaque jour, Mickaël porte une minuscule enceinte dans l’oreille, avec laquelle il a appris à vivre. Son cerveau s’y est habitué et lui aussi. Tous les quatre ans, il voit des spécialistes pour adapter l’outil : son audition baisse mais les avancées scientifiques et génétiques pourraient un jour permettre d’endiguer le phénomène. En attendant, ce passionné de musique, batteur dans des groupes durant de longues années, adepte des festivals de musiques électroniques et gros consommateur de concerts – où il a notamment subi les premiers signes de dégradation de son audition –, continue de composer ses propres créations derrière un ordinateur. Il relativise désormais sur son handicap, avec recul et bienveillance : « Est-ce que quelqu’un qui porte des lunettes est handicapé ? C’est certainement un handicap d’être malentendant, mais aussi d’avoir une mauvaise vision, des problèmes psychologiques ou de dos. On est tous handicapés, dans un sens », conclut-il. L.dV.
Focus
Le handicap chez Schenker
« Mickaël est l’un des nombreux salariés en situation de handicap que Schenker accompagne. Ils sont plus de 4 % au sein de l’entreprise et sont présents dans toutes les catégories d’emploi. Ce qui démontre que le handicap n’est pas un frein à la tenue d’un poste, quel qu’il soit », introduit Maylis de Maissin, directrice des ressources humaines de Schenker France. Pour autant, il peut parfois exister une forme de blocage chez de nombreux salariés pour déclarer leur situation d’handicap auprès de leur employeur. « Et c’est là tout notre rôle : être à disposition de nos collaborateurs pour les accompagner, les sensibiliser, les aider à déclarer leur situation en toute confidentialité pour que l’on puisse mettre en place les mesures nécessaires à l’adaptation de leur poste de travail », souligne Maylis de Maissin. Car si l’entreprise dispose bien évidemment d’un accord sur le sujet, offrant des droits supplémentaires aux collaborateurs concernés, elle souhaite aller plus loin. « Nous mettons en place des actions de sensibilisation, que ce soit lors de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées, mais aussi et surtout tout au long de l’année. Notre direction générale est pleinement impliquée sur le sujet, jusque dans le Comex où nous avons récemment organisé un atelier en partenariat avec l’Agefiph. Sur les deux dernières années, nous constatons un accroissement de la compréhension du sujet. Nous poursuivrons la mise en place des moyens nécessaires pour continuer d’ancrer la question du handicap dans la culture de Schenker », conclut la DRH de Schenker France.
