Emploi/RH
Une logistique plus ouverte aux différents handicaps (2/4)
5. Handicap en entrepôt : et ma productivité alors ?

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Irina Sharnina via stock.adobe.comUne tribune signée Caroline Curutchet, consultante chez Bartle.
Avez-vous récemment pris le temps de considérer l’impact du handicap sur une activité opérationnelle ? La productivité dans les entrepôts pourrait sembler incompatible avec l’inclusion des personnes en situation de handicap. Pourtant, cette focalisation sur l’efficacité peut conduire à des comportements à risque et à des coûts cachés, compromettant la sécurité et la durabilité des équipes. Prendre en compte la responsabilité sociale des entrepôts et la réconciliation avec la performance économique peut faire des entrepôts des lieux de travail innovants et inclusifs.
La productivité au coeur de la réflexion
Dans le monde exigeant de la logistique, où chaque seconde compte, la productivité est souvent jugée non seulement par la capacité à manoeuvrer des charges, mais aussi par l’efficacité des processus. Le débat autour de l’inclusion des personnes en situation de handicap dans les entrepôts soulève une question délicate : le handicap est-il compatible avec un environnement de travail qui demande réactivité, rapidité et précision ? Car oui, on doit optimiser les coûts tout en garantissant la sécurité de tous les collaborateurs et la qualité des préparations.
1. Un environnement de travail exigeant
Dans des entrepôts mécanisés ou pas, les tâches de manutention requièrent souvent des efforts physiques importants et/ou répétitifs et une vigilance constante. Les troubles musculosquelettiques (TMS) liés au travail sont de loin les maladies professionnelles les plus nombreuses en France, avec une part de plus de 85 % de l’ensemble des maladies professionnelles reconnues (données Cnam, 2021). Cela soulève une autre question : comment intégrer des personnes en situation de handicap dans un cadre où la capacité physique est primordiale ?
Adapter les processus de travail pour y intégrer des personnes avec des limitations mécaniques ou sensorielles peut s’avérer complexe. Les aménagements nécessaires peuvent engendrer des coûts supplémentaires et des perturbations dans les routines établies. Sans parler de l’aspect sécuritaire ! De plus, la logique productiviste qui prédomine dans la gestion des entrepôts encourage à privilégier des solutions rapides et efficaces, souvent au détriment de l’inclusivité.
2. Les conséquences d’une vision productiviste individuelle
Cependant, cette focalisation sur la productivité engendre d’autres maux. En cherchant à maximiser l’efficacité à tout prix, l’entrepôt crée ses propres handicaps. Par exemple, l’intensification de travail peut mener à des comportements à risque, comme la prise de substances pour améliorer la performance : 20 % des salariés concernés par la prise de produits psycho-actif les utiliseraient pour « être en forme au travail »*. Cela accroît non seulement le risque d’accidents, mais entraîne également une diminution de la vigilance, augmentant ainsi la probabilité de blessures, tant pour les employés que pour les clients. Un autre exemple, connus par tous dans le milieu, est le sujet des ports de charges, qui « casse » les collaborateurs.
Face à cette vision d’excellence de productivité, les entreprises se retrouvent à devoir intégrer continuellement de nouveaux collaborateurs. Cette manière de faire limite non seulement la création d’un savoir-faire durable et une transmission des compétences, mais entraîne également des coûts importants. Une étude menée par Gallup souligne que le coût du turnover peut dépasser très largement 50 % du salaire annuel d’un employé (Source : Gallup, 2019). Et cela, en plus des collaborateurs qu’elle a déjà dans ses rangs.
3. Une responsabilité sociale à assumer
Il est impératif pour les entreprises de prendre conscience de leur responsabilité sociale dans ce contexte. Et d’avoir comme objectif prioritaire de respecter l’intégrité physique et morale de tous les collaborateurs, en pilotant par exemple le taux de restriction médicale dans le temps. Elles ont la responsabilité d’intégrer durablement les employés qu’elles ont pu rendre temporairement ou durablement moins aptes. Cette approche peut être perçue comme une contrainte, mais également une opportunité.
Accueillir la diversité des limitations dans un entrepôt peut en effet s’avérer bénéfique : cela amène les managers à s’interroger sur les conditions opérationnelles de leurs équipes. Les besoins variés des employés peuvent donner naissance à des solutions innovantes et à une flexibilité accrue dans le travail. Par exemple, des entreprises comme L’Entrepôt du Bricolage ou Nespresso ont mis en place des programmes spécifiques permettant à des personnes en situation de handicap de contribuer à des tâches qui tirent profit de leurs compétences uniques, comme le contrôle qualité ou les inventaires, où une attention particulière aux détails est requise. Ces collaborations peuvent aussi nourrir le sentiment d’utilité et de fierté pour l’ensemble du collectif.
Un équilibre à trouver
En somme, le secteur de la logistique et des entrepôts doit réussir à trouver un équilibre. Comme dans tous les aspects de la vie, aller à l’extrême d’une logique productiviste sans tenir compte des diversités peut être contre-productif. Un entrepôt est un maillon d’un écosystème large qui devrait refléter la société, pour rester connecté aux enjeux globaux qui l’entourent. Quelles que soient les compétences, les limitations ou les diversités dont on peut parler, chaque individu apporte sa valeur, sa singularité. La diversité, bien que parfois difficile à comprendre, à accepter ou à manager, est une richesse dont les entreprises doivent savoir tirer parti. En intégrant des profils variés, elles ne deviennent pas seulement des entités économiques performantes, mais aussi des acteurs responsables et humains dans un monde en constante évolution.
* Source : Conduite dopante en milieu professionnel, Lapeyre-MestreM. et al
Focus
À propos de l’autrice et de Bartle

Consultante chez Bartle, Caroline Curutchet s’appuie sur plus de 15 ans d’expérience en supply chain, dans l’industrie et le retail sur les sujets des flux, de l’approvisionnement et de la planification de production, dans des missions de management opérationnel et de gestion de projets. Par ses expériences en pilotage de ressources humaines et en RSE, elle combine le tryptique Supply, RH et RSE pour accompagner les entreprises dans les évolutions métiers durables.
Cabinet de conseil en management pluridisciplinaire indépendant créé en 2005, Bartle mobilise plus de 300 consultant(e)s sur des sujets de vision et de conduite de projet chez ses clients. Les grands enjeux ? Identifier et explorer des pistes de diversification stratégique, améliorer l’efficacité opérationnelle, conduire des projets avec efficience.
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