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Kurhan
Innovation
Longtemps restées discrètes, les start-up arrivent en force dans le domaine de la supply chain, répondant à la récente soif d’innovation du secteur. Mais quels entrepreneurs en sont les visages ? Comment sont-ils soutenus ? Et qu’apportent-ils à l’ensemble de l’écosystème ?
1. La logistique, nouveau terrain de jeu des start-up
Si l’énergie des start-up a déjà fait irruption dans bon nombre des secteurs de l’économie française, la supply chain fait figure de retardataire. « Toute cette vague de start-up qui arrivent en logistique est assez tardive par rapport au reste de l’économie », estime Anthony Ambrosio, responsable du pôle industrie chez l’accélérateur Wilco.
Comment expliquer ce contretemps ? « Dans l’industrie, l’innovation est largement orchestrée par les grands groupes qui mobilisent leurs partenaires et fournisseurs », analyse Philippe Deysine, délégué général du pôle de compétitivité Nov@log. « Cela n’est pas aussi clair en logistique, où chaque entreprise se fait sa propre idée de ce qu’innover signifie pour son métier. Aujourd’hui, la logistique est d’avantage “intégratrice” de technologies en émergence plutôt que créatrice. » Mais ce constat tient aussi à la méconnaissance du secteur, selon Marie-Xavière Wauquiez, responsable de l’incubateur Rolling Lab : « La logistique doit absolument se rendre plus visible pour être plus performante. Plus il y aura de cerveaux qui se pencheront sur ses problématiques, plus grandes seront les chances de réinventer le système de façon disruptive. Aujourd’hui, nombre d’innovateurs en logistique ont déjà un pied dans le secteur. Des start-up comme Stockbooking ou Delaplace.pro, axées sur la location de surfaces de stockage, ont été fondées par des entrepreneurs qui ont constaté un manque dans les offres actuelles. »
Des opportunités à saisir
Une première expérience ayant eu valeur de déclic. Cela a été le cas pour Yannick Page, fondateur de Pickeos. Cette start-up propose une solution de guidage lumineux en entrepôt pour améliorer la productivité. Un concept né dans le cadre familial : « Ma famille baigne dans l’entrepreneuriat et l'e-commerce. Fin 2014, ces structures commençaient à avoir du mal à répondre à la progression de leur activité. Cela a été ma première rencontre avec la logistique. J’ai pu apporter mon expertise dans le domaine des objets connectés et la combiner avec leurs connaissances supply chain. C’est en travaillant avec ces e-commerçants de taille moyenne que j’ai pu m’orienter vers une solution simple et abordable. » Répondre aux faiblesses perçues du secteur, c’est également le point de départ de la jeune pousse Shipup. Suite à son expérience au sein d’une entreprise américaine spécialisée dans la vente de matelas en ligne, Romain Ogiela prend conscience de l’importance de la livraison dans l’expérience post-achat et décide de se lancer dans l’aventure Shipup. « Depuis l’extérieur, on ne se rend pas compte à quel point des tas de choses restent à optimiser et à digitaliser », juge-il. « Il y a encore une grande poche d’innovation à développer en logistique. »
Mais certains créateurs de start-up admettent s’être rapprochés de la supply chain par hasard. C’est le cas de iFollow. Créée en 2015, cette jeune pousse a débuté son parcours autour d’un projet de balise suiveuse, qu’elle souhaitait employer dans une solution de caddie autonome. « Un jour, nous avons rencontré Dominique Testa, raconte Vincent Jacquemart, co-fondateur. Il nous a dit que notre projet pouvait avoir une grande valeur en logistique, un secteur dont nous ne connaissions presque rien. » iFollow se lance alors dans la création d’un chariot autonome (cf. photo ci-dessus) pour assister la préparation de commandes en entrepôt, avec une spécificité unique : une utilisation prévue pour le grand froid. « Nous devions présenter un produit qui soit le plus intéressant possible pour nos premiers utilisateurs, afin qu’ils aient envie de faire le premier pas vers une solution encore jeune », estime Vincent Jacquemart. Pari gagné : leur chariot va être testé en PoC (Proof of Concept) chez Toupargel au printemps 2018. Car le grand atout de ces start-up est d’apporter aux entreprises ce qu’elles n’auraient pas pu créer elles-mêmes. « Pour un groupe, développer son propre robot reste très aventureux. Il faut savoir recruter les bonnes personnes et manager un projet complexe sur la durée. Leur coeur de métier n’est pas là », juge Vincent Jacquemart. Une réalité qui dépasse la robotique. « Nous avons une agilité que les grandes structures n’ont pas, résume Yannick Page. Si l’innovation est rarement le coeur d’une entreprise, c’est la raison d’être d’une start-up. »
Un soutien aux multiples visages
Pour faire éclore ces jeunes pousses, l’écosystème des start-up françaises peut compter sur des infrastructures fortes, avec, en tête, la très active Banque publique d’investissement (BPI). Mais il faut aller plus loin. C’est en tout cas l’avis de Philippe Deysine pour Nov@log : « Aujourd’hui, trouver un peu d’argent pour démarrer n’est pas si dur. Le vrai défi, c’est d’industrialiser et de rendre viables les solutions. » Et cet accompagnement sur le marché est justement l’un des objectifs de ce pôle de compétitivité, basé au Havre (76). « Nous faisons émerger des projets, et travaillons à leur transformation en services et produits. Pour cela, nous offrons aux start-up l’opportunité de rencontrer des partenaires et des experts capables de les aider. Nous faisons aussi le pont entre une entreprise innovante et un utilisateur qui pourra être son premier client, étape cruciale de son développement. » Un rôle d’entremetteur auquel le cabinet de conseil en transformation Bartle se prête également. « Nous travaillons de près avec des acteurs tels que les fonds d’investissements. Ils nous apportent une vision d’ensemble des offres du secteur, que nous confrontons avec notre expertise sur les besoins des grands groupes. À partir de là, nous organisons des moments d’échanges en sélectionnant les start-up pertinentes », détaille Julien Dutreuil, directeur associé.
Suivi, conseil, rencontres : un soutien que les entrepreneurs peuvent également trouver du côté des incubateurs. À Paris, au sein du réseau Paris & Co, le Rolling Lab s’adresse précisément aux start-up de la logistique et de la mobilité. « Nous proposons une phase d’amorçage d’un an, dédiée à la consolidation du business model, suivie de deux années de décollage pour accélérer le développement », explique Marie-Xavière Wauquiez. « Nous organisons des rencontres avec des partenaires, tels que Sogaris. Nous coachons également les entrepreneurs sur les questions de recrutement ou de comptabilité. » Même volonté du côté de Wilco (ex-Scientipôle), grand accélérateur francilien dont l’objectif est d’accompagner les jeunes pousses pendant trois ans jusqu’à leur premier million d’euros de chiffre d’affaires. Un pallier atteint par seulement 15 % des start-up, mais que Wilco veut rendre plus accessible grâce à un accompagnement adapté (suivi par un chargé d’affaires, ateliers, évènements…) et à la remise de prêts d’honneur pouvant aller jusqu’à 120 000 euros. « Nous nous appuyons sur un réseau d’incubateurs qui nous proposent des candidatures. Ce sont souvent des structures liées à des écoles : X-Up Polytechnique ou les incubateurs de Centrale, Telecom ParisTech. Avec eux, nous formons une chaîne de valeur : ils sont notre tiers de confiance sur la validation technologique, et nous sommes le tiers de confiance commercial et stratégique pour les grands groupes », raconte Anthony Ambrosio. Un ancrage vertueux qui a su profiter à Shipup et iFollow, toutes deux passées par cet accélérateur. Et bientôt peut-être à d’autres entrepreneurs ambitieux d’une supply chain avide d’innovation.