Emploi/RH
3. Rencontre avec Jean-Michel Guarneri, Président de l’Aslog
Comment ont évolué les métiers de la supply chain ces dernières années ?
La supply chain a été depuis toujours assimilée aux métiers de la logistique et considérée par tous comme une fonction d’exécution. Mais la mondialisation de l’industrie de la fin du XXe siècle et la montée en puissance du commerce en ligne en ce début de XXIe siècle ont rapidement fait prendre conscience à tous les acteurs économiques du monde entier que la supply chain était devenue une fonction à part entière, essentielle et stratégique pour les entreprises de toutes tailles et de tous secteurs d’activité. Les entreprises industrielles, en décentralisant leurs process de production et en s’éloignant géographiquement de leurs clients ont compris qu’elles devaient très vite mieux maîtriser et contrôler leurs flux car les incidents logistiques pouvaient avoir des conséquences dramatiques sur la satisfaction de la promesse clients et sur la rentabilité économique de leurs activités. L’e-commerce et le retail ont pris conscience de la nécessité impérieuse de se doter d’une supply chain d’excellence et d’intégrer les nouveaux outils digitaux pour améliorer leurs performances économiques et commerciales. L’avènement récent des ventes omnicanal a augmenté à nouveau le niveau de complexité des opérations logistiques, en obligeant les acteurs économiques à gérer différents canaux de distribution à partir d’un même stock et à intégrer des produits hétérogènes dans une même commande.
Comment s’est opéré le basculement au niveau des fonctions et des emplois ?
Cela s’est fait en deux étapes. Dans un premier temps les fonctions logistiques ont donné naissance à des embryons de process supply chain. Les directeurs logistiques ont commencé à prendre conscience de la nécessité de mieux penser, analyser et maîtriser leurs flux alors qu’il était compliqué pour eux d’être sur le terrain pour manager l’exécution et dans le même temps de prendre de la hauteur pour avoir une vision globale et prospective de leur activité. Les directions logistiques ont donc commencé à s’intéresser aux fonctions supply chain sans avoir vraiment la formation et les connaissances nécessaires pour appréhender effi cacement cette nouvelle discipline. Puis, dans le courant des dix dernières années, des formations supply chain de haut niveau ont commencé à être dispensées dans les écoles d’ingénieurs et de commerce ainsi que dans les universités. Aujourd’hui des modules supply chain sont même proposés aux étudiants de toutes disciplines afin de les familiariser avec cette fonction, devenue cruciale et majeure pour les entreprises. Maintenant, dans la plupart des ETI et des grandes entreprises, les fonctions supply chain et les fonctions logistiques sont différenciées mais travaillent en étroite collaboration : les premières s’intéressent à l’analyse, la prévision et la planification des flux, les secondes vont se concentrer sur la maitrise de l’exécution et du traitement des aléas en temps réel.
Où en est la prise de conscience sur l’importance de ces fonctions ?
Il reste encore beaucoup de travail à faire dans ce domaine. Aujourd’hui encore, et notamment en France les fonctions supply chain et logistique souffrent d’un déficit d’image très important chez les étudiants. La supply chain et la logistique évoquent pour eux des opérateurs préparant manuellement des commandes dans des entrepôts immenses et froid, des camions pollueurs qui circulent sur les routes et gênent le trafic… Leur regard change néanmoins lorsque nous leur parlons d’analyse de data, d’analyse prédictive de consommation, d’intelligence artificielle, de Blockchain, de systèmes robotisés complexes, d’objets connectés… Là, ils sont intéressés. Il y a donc un important travail à réaliser pour sensibiliser les étudiants sur l’importance de cette fonction dans la value chain de l’entreprise et sur l’intérêt des métiers qu’elle offre désormais. Notre association, l’Aslog, s’inscrit dans cette démarche.
Et du côté des dirigeants d’entreprise ?
Ils ont bien compris ces évolutions mais manquent encore de compréhension et de connaissance de ces sujets. Il est souvent bien compliqué pour les conseils d’administration d’entreprise de comprendre le bien-fondé des investissements parfois très importants (plusieurs dizaines de millions d’euros) demandés par leurs directeurs supply chain pour améliorer le service et l’expérience clients, gérer les nouvelles complexités logistiques, réduire la pénibilité du travail des opérateurs, l’empreinte carbone, les coûts de production logistique et améliorer les free cashflow. La jeunesse de la fonction supply chain nécessite une vulgarisation auprès de tous : actionnaires, banquiers, comités de direction, représentants du personnel, étudiants… Ceci étant dit, nous constatons de plus en plus la présence de directeurs supply chain voire de directeurs logistiques au comité de direction de leurs entreprises, ce qui n’était pas le cas six ou sept ans plus tôt. De plus en plus, ces derniers évoluent vers des fonctions de direction générale. La transversalité de leurs compétences et leur vision globale sont de véritables atouts pour en faire des dirigeants performants. Une vraie prise de conscience, une réelle évolution/révolution est engagée au sein de la plupart des entreprises. À titre d’exemple, à l’Aslog, nous constatons une recrudescence d’adhésions d’entreprises de toutes tailles (de l’ETI aux groupes du CAC 40) et de tous secteurs d’activité. Aujourd’hui près de la moitié des directeurs supply chain des entreprises du CAC 40 siègent au board et/ou au sein du comité de direction de l’Aslog. Ces derniers se réunissent régulièrement pour échanger sur les tendances du moment et à venir, et s’enrichir des best pratices de leurs homologues de tous secteurs d’activité. Cette volonté de partage d’expériences, de réflexion commune sur l’évolution de la fonction supply chain, quelle que soit la profondeur et la vitesse de transformation de leurs entreprises, est assez nouvelle. Il est primordial d’effectuer un travail de communication et d’animation autour de ces fonctions pour les faire connaître et faire reconnaître leurs attraits.
LMdV