Transversal
8. Interview avec Jean-Christophe Laugée, VP Nature Cycles and Sustainability en charge du Fonds Danone pour l’Écosystème.
L’entreprise Danone est précurseur en matière de développement durable. En 2009, elle créait notamment le Fonds Danone pour l'écosystème, un projet à la fois social et économique, représentation de l’engagement profond de la multinationale, expliqué ici par Jean-Christophe Laugée.
Vous êtes connu pour votre politique très volontaire en faveur du développement durable, quelles sont aujourd’hui vos préoccupations majeures en la matière ?
La politique de RSE n’existe pas chez nous puisque le développement durable est partout, aux achats, dans les cycles de chaque ingrédient, chaque produit… Le développement durable est complètement intégré dans l’organisation de l’entreprise. Aujourd’hui, la différenciation consommateur est notre principal sujet. De nombreuses études montrent que nous allons vers une consommation responsable ; la génération future sera davantage en recherche de cohérence vis-àvis des impacts des produits qu’elle consomme. Seulement, à court terme, nous ne le constatons pas significativement. Les niveaux de maturité varient énormément d’un pays à l’autre. Notre orientation stratégique à long terme s’articule autour de la création par chaque pays de moyens d’activation spécifiques au contexte et aux produits locaux.
Comment s’opère la transformation d’une organisation vers le développement durable ?
Il faut tout d’abord se demander à quel point le développement durable fait partie de la stratégie de l’entreprise, tant dans son offre produit que dans la façon dont elle gère son activité. Si le développement durable en fait partie, alors il doit être intégré dans les objectifs des équipes opérationnelles à tous les niveaux. Cela doit conduire à évaluer la performance sociétale au même titre que la performance business et donc de l’inclure dans les modalités de paiements, notamment des bonus. Danone a mis en place plusieurs fonds soutenant l’innovation sociétale, dont le ROI peut être plus ou moins long en fonction des impacts sociaux et environnementaux attendus. Via le Fonds Danone pour l’Ecosystème, 75 millions d’euros sont notamment dirigés en faveur des petits exploitants agricoles. Cette dotation vise à leur permettre de développer leur production, quantitativement et qualitativement, tout en établissant des relations d’affaires stables, équitables et durables avec l’entreprise. Notre décision d’opérer nous-même, via le Fonds Danone Écosystème, est notamment liée au coût potentiellement élevé de certains labels dont les impacts réels ne sont pas toujours vérifiables. Ainsi, notre fonds agit en soutien des politiques d’achats responsables, conjointement à l’utilisation des labels.
Comment s’assurer de l’engagement de ses fournisseurs ?
À mon sens, la séparation du BtoB et du BtoC est désormais révolue. Nous sommes tous responsables des pratiques d’achat et de vente, tant vis-à-vis du producteur que du consommateur. Les fournisseurs de Danone doivent être des partenaires, soutenant la traçabilité et la transparence attendue par le conso-citoyen. Chaque ingrédient de nos produits peut être un élément différenciant pour le consommateur, pas seulement pour des raisons de sécurité alimentaire et de qualité, mais également pour des raisons d’impacts sociaux et environnementaux. Tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement sont impliqués dans les pratiques d’achats responsables. Bien entendu, les fournisseurs n’ont pas encore tous intégré ces variables dans leur stratégie. Danone interagit en direct chaque jour avec 140 000 agriculteurs producteurs de lait nous offrant la possibilité de créer en direct une relation de croissance partagée et de co-développement. En revanche, pour certaines matières premières, notamment les fruits, nous avons plusieurs niveaux d’intermédiaires qu’il nous faut engager dans ces démarches rendant la mission des équipes d’achat plus difficile. C’est pourquoi, dès que possible, nous co-créons des programmes en direct avec les agriculteurs pour les aider à faire évoluer leurs pratiques agricoles.
Qu’en est-il de vos sous-traitants logisticiens, transporteurs et distributeurs ?
L’empreinte climatique de Danone est constituée à 60 % dans l’agriculture, 10 % sur le packaging, 10 % dans les opérations, 10 % dans la logistique et enfin les 10 % restants dans la distribution et la fin de vie de nos produits. Notre priorité est donc notre travail sur l’agriculture durable. Depuis très longtemps, les transports alternatifs comme les bateaux et les trains sont utilisés lorsque les volumes le permettent, notamment pour la division eau. Nous avons également des flottes de camions en propre pour la distribution de proximité, alimentés au gaz naturel. Evian achemine par le train la plupart de ses produits et dispose de la plus grande gare privée en France. Il est entendu que le secteur de la logistique est extrêmement concurrentiel et que les coûts liés à la transformation des flottes dans le but d’avoir un impact réduit sur l’environnement peuvent être un frein au déploiement de celles-ci.
De quelle façon travaillez-vous sur la visibilité de votre sourcing ?
Nous avons des ambitions de traçabilité complète. Aujourd’hui, le lait est 100 % tracé mais, pour certaines matières premières qui font l’objet de plusieurs intermédiaires et parfois deux à trois transformations comme le sucre ou les fruits, la traçabilité jusqu’aux petits producteurs peut s’avérer difficile. Afin de garantir un certain nombre de standards environnementaux et sociaux, nous nous appuyons sur un système d’audit de nos fournisseurs. Environ 150 audits sont prévus sur l’année 2018. Cependant, comme évoqué ci-dessous, c’est par l’intervention de nos fonds d’innovation sociale que nous avons le plus d’impact social et environnemental. La clé repose sur le concept de co-création avec nos fournisseurs, les ONG, les agences de développement. Avec l’un de nos projets baptisé Terragr’eau (cf. encadré), nous avons non seulement atteint 5 à 6 % de réduction des coûts de revient pour les agriculteurs du bassin d’Evian mais avons également réduit les risques de pollution nitrates grâce à la méthanisation qui permet la production de compost organique, ensuite mieux réparti comme fertilisant sur les pâturages. Lorsqu’un consommateur achète une bouteille d’Evian, c’est tout ce savoir- faire qu’il valorise.
Finalement, comment voyez-vous évoluer votre organisation ?
Chez Danone, notre signature est : Danone une planète, une santé. Nous nous efforçons chaque jour d’améliorer nos produits et nos pratiques en vue d’y répondre. Le fonds Danone pour l’Écosystème contribue à l’amélioration de ces pratiques en valorisant les externalités sociétales et environnementales. Ainsi le développement durable devient non pas une affaire de réputation mais un avantage compétitif soutenu notamment par nos investisseurs car elle rend l’entreprise plus robuste. La dernière preuve en date est l’accueil positif de l’émission d’une obligation à impact social (obligation à impact social ou« social bond » : obligations financière sémises pour financer des projets sociaux et dont le paiement est conditionné à la réussite du projet) de 300 millions d’euros, sursouscrite à 700 millions. Si cette pratique d’obligation se généralisait, par exemple pour la modernisation des flottes de transports, cela permettrait aux logisticiens d’accéder à des financements attractifs valorisant tout particulièrement l’empreinte carbone.
Focus
S'assurer de la qualité de sa matière première tout en favorisant la durabilité de l'agriculture familiale locale
« Le développement de l'agriculture industrielle s'accompagne d'un risque accru de pollution par les nitrates. 60 % des terres émergées au-dessus du bassin versant d'Evian sont utilisées pour l'agriculture, mais concernant l'eau minérale des normes de qualité très strictes pour la pureté, la composition, la stabilité et les niveaux de nitrates doivent être respectées. Adapter les pratiques de l’agriculture pour répondre à ces risques nécessite des investissements majeurs, qui menacent les moyens de subsistance des agriculteurs familiaux ne pouvant pas se permettre de telles dépenses », introduit Danone pour expliquer son projet Terragr’eau. C’est donc avec le soutien de son Fonds pour l'Écosystème, de la ville d’Evian, de la Communauté de Communes du Pays d'Evian et de la société mixte d'intérêt collectif Terragr'eau qu’est né un projet de construction de biodigesteur, dispositif permettant de convertir des déchets organiques en biogaz. Ainsi, les agriculteurs d’Evian peuvent désormais transformer le fumier de bovins et les déchets organiques des municipalités en biogaz pour la ville et le compost organique qui fertilise les terres locales. Une coopérative dédiée d'agriculteurs gère l'opération d'épandage de compost, permettant ainsi de réduire les coûts d'engrais et soutenir le développement agricole durable.