Innovation
En 2013, Barack Obama annonçait l’impression 3D comme la prochaine révolution industrielle. Ce procédé, aussi appelé « fabrication additive », répondra-t-il à cette prédiction ? Stock diminué, centres de production relocalisés, prototypage rapide, personnalisation… Les bénéfices apportés par cette technologie sont déjà visibles dans certains secteurs.
1. Impression 3D Quel impact sur la chaîne logistique ?
La fabrication additive, autre nom de l’impression 3D, intéresse aujourd’hui sérieusement les industriels, mais son utilisation effective dans la production de produit fini est encore loin d’être généralisée.
66,7 % des plus importantes sociétés industrielles mondiales utilisent déjà l’impression 3D selon une étude réalisée début 2014 par le cabinet d’audit Price WaterHouse Coopers. Pour 28,9 % d’entre-elles, ce procédé est utilisé en expérimentation, 24,6 % réalisent uniquement du prototypage, 9,6 % couplent prototypage et production et 0,9 % s’en servent pour la production de pièces ou de composants de pièces finales. « Les entreprises s’équipent en imprimantes 3D majoritairement pour les phases de R&D et prototypage. Aujourd’hui, l’utilisation de l’impression 3D en production concerne uniquement certains secteurs », explique Mathilde Berchon, fondatrice de l’entreprise de conseil MakingSociety et auteur de l’ouvrage L’impression 3D (Ed. Eyrolles).
Certains corps de métier ont en effet déjà effectué la bascule dans la sphère de la fabrication additive, à l’instar du secteur médical qui utilise ce procédé depuis plusieurs années pour la modélisation du matériel dentaire, ou encore pour réaliser des prothèses auditives. Son champ d’application s’élargit aussi aux métiers du retail, comme le liste PwC, avec la création de bijoux ou encore l’impression de pièces de rechange pour la maison ou l’automobile par exemple.
La fabrication industrielle et automobile peut également en faire usage pour consolider de nombreux composants en une seule pièce complexe, créer un outillage de production, produire des pièces de rechange et des composants ; ou encore dans le domaine de l’aéronautique où elle permet de créer des pièces à géométrie complexe impossibles à réaliser avec la fabrication traditionnelle. Illustrations récentes avec le département Airbus Defence and Space qui a utilisé la technologie pour un modèle d’attaches en métal présentes sur ses satellites mais aussi General Electric qui a annoncé la construction d’une usine consacrée à la production de pièces par impression 3D.
Prototypage et personnalisation
« À l’avenir, l’utilisation de la fabrication additive devrait sans doute se développer dans les sous-ensembles, les pièces détachées », commente Romain Pouzol, responsable impression 3D de CKAB, start-up spécialisée dans l’Internet des objets. « Exemple de ce qui pourrait exister demain : un constructeur automobile conçoit un modèle assez exclusif et promet qu’il y amènera les différentes améliorations à venir. Normalement, tous les trois ou six mois, le fabricant fait revenir les voitures au centre et applique les modernisations. Cela demande de lancer une chaîne de production pour 50 à 500 clients ce qui implique des coûts faramineux. S’il passe à l’impression 3D et que l’on considère qu’il existe plusieurs centres de production partagés, peu importe où sont localisés ses clients, la concession locale va recevoir le fichier avec les notifications et lancer la production. On peut envisager des pièces conçues, transmises, fabriquées et enfin montées en l’espace de 24 - 48 h ! Au final, envoyer une pièce revient à envoyer un e-mail et surtout le fabricant n’a pas besoin de mettre à profit toute une chaîne de production pour 50 à 500 unités. Cet exemple peut exister dans tous les secteurs où il y a l’emploi massif de pièces à usage unique : sport automobile, aérospatiale, défense… », détaille-t-il.
« Une des grands forces de ce procédé est qu’il permet de faire des formes complexes, entrelacées, qui contiennent des cavités… Cela donne la possibilité de réaliser ce qui n’aurait pu l’être auparavant. Des pièces qui vont, au final, permettre d’économiser en coût de matière et en utilisation d’énergie. Selon moi, l’impression 3D va concerner de plus en plus de cas particuliers et se développer sur d’autres marchés », commente Mathilde Berchon.
Prototypage, pièces de rechange, personnalisation…, la fabrication additive montre en effet tout son intérêt lorsqu’il s’agit de concevoir des composants uniques, introuvables autrement ou sur-mesure. « Le sujet des pièces de rechanges est un véritable casse-tête pour les fabricants d’avions ou de voitures par exemple. Quand les modèles ne sont plus produits, comment garantir que l’on aura suffisamment de pièces détachées pour la maintenance du parc de véhicules en circulation ? Aujourd’hui, les fabricants sont donc obligés de faire des stocks, et en dernier cas, d’essayer de relancer des productions à coût élevé s’ils arrivent à retrouver les plans des pièces. Avec l’impression 3D, ces sociétés pourraient stocker les modèles 3D ainsi que les modalités de production, ce qui permettrait de reproduire les pièces à la demande, sur le lieu-même où l’on en a besoin », détaille Frédéric Allard, créateur de Zesmallfactory, site d’informations sur l’impression 3D et consultant en stratégie d’innovation digitale au sein de la société Septine.
Selon lui, la personnalisation de la production devrait d’autre part présenter « un réel challenge logistique, puisque chaque produit pourrait être conçu spécifiquement pour un client. Ainsi on ne parle plus de transport de masse dans ces conditions, mais bel et bien de transport personnalisé. Des groupes comme La Poste testent la technologie aujourd’hui au sein de leur réseau de bureaux de poste, avec en toile de fond une réflexion sur l’impact que ce mode de production pourrait avoir sur leur métier. L’impression 3D comme moyen de production de proximité permet de supprimer une partie de la logistique nécessaire à l’acheminement du produit vers le client. Ainsi, les logisticiens devront renforcer leur aptitude à gérer la logistique du dernier kilomètre », poursuit-il.
Parce qu’elle modifie la cartographie de la supply chain, la fabrication additive amène ainsi à se poser la question : peut-elle bouleverser la chaîne logistique ? Les bénéfices qu’elle engendre commencent en tous les cas à être considérés par les industriels. « Lorsque l’on fabrique un objet de manière traditionnelle, on crée une forme, tandis qu’aujourd’hui, avec la fabrication additive, on a la capacité de créer une fonction : on peut concevoir une boîte de vitesse en une seule fois sans aucun assemblage, ce qui représente des avantages faramineux en matière de coût homme, de temps de fabrication et de matières premières. Et a fortiori, derrière, les fonctionnalités apportées sont sans précédent », illustre Romain Pouzol. Économie de matières premières, de temps, capacité à créer des pièces plus efficientes, au-delà de ces bénéfices tangibles, les avantages s’avèreraient aussi géographiques « avec des entreprises qui peuvent alors devenir des centres de production relocalisés près des usines », indique-t-il.
Les bouleversements
« Si l’impression 3D est largement adoptée, quel sera l’effet le plus perturbateur sur le secteur manufacturier américain ? ». À cette question posée par le cabinet d’audit PwC en 2014, presque 30 % des sondés répondaient que cela aboutirait à la « restructuration des supply chain » et 9,3 % imaginaient que cela réduirait « le besoin en transport et logistique ». « Toute la logistique industrielle va probablement être perturbée par les possibilités apportées par l’impression 3D, car aujourd’hui un fabricant de pièces a des garanties décennales à respecter, lui incombant de répondre aux demandes de pièces détachées pendant un certain temps. Il est donc obligé de stocker énormément ce qui coûte cher. Si l’industriel change de modèle, produit ses pièces, livre ses distributeurs et conserve ensuite les modèles numériques pour être capable, à n’importe quel moment de fabriquer une pièce à la demande, cela change tout car le stockage est alors numérique et non dans un hangar avec des palettes. La pérennité n’a pas de limites dans le temps », anticipe Frédéric Vacher, directeur marketing et stratégies de Dassault Systèmes.
Peut-on dans ce sens, parler de révolution ? Oui et non, car l’impression 3D a aussi ses limites. Cette technologie montre en effet tout son intérêt dans la création très précise et rapide de pièces customisées, mais elle se revèle, en revanche, moins utile lorsqu’il s’agit de pièces réalisées massivement. Romain Lambert, responsable pédagogique du Bachelor Esli à l’ESC Rennes** l’explique : « Dans les usines, la technologie 3D n’a de sens que si elle permet de réaliser des choses infaisables auparavant. On en revient toujours au nerf de la guerre, c’est-à-dire le coût final du produit et l’imprimante 3D permet peu de recouvrir des économies d’échelle ».
Des économies d’échelle au contraire réalisables avec des méthodes traditionnelles sur des pièces standardisées. Une entreprise qui veut produire 10 000 fois la même pièce n’a aucun intérêt à passer à l’impression 3D si elle veut conserver son modèle économique. « Aujourd’hui cette technologie est encore anecdotique dans une usine. Elle va probablement prendre une part plus importante à l’avenir mais cela ne signifie pas que les procédés de production plastique, d’usinage, de tôlerie, etc. vont disparaître. Ils auront toujours leur raison d’être, notamment dans le cas de gros volumes », confirme Frédéric Vacher.
En aval de la chaîne
Délocalisation de la production, délais et transports réduits… avec la fabrication additive, des bouleversements sont susceptibles d’intervenir tout au long de la chaîne logistique, mais aussi en amont, l’approvisionnement des matières premières étant remplacé par des billes de plastique ou de la poudre en métal. Quant à l’aval, c’est-à-dire le consommateur final, il est aussi en mesure de venir perturber la supply chain. « Aujourd’hui, quasiment tout le monde peut acheter une imprimante 3D et fabriquer ses produits. Pour l’instant, on ne le fait généralement pas chez soi mais on se déplace dans des Fab lab***, c’est-à-dire le maillon précédant le client final, ce qui provoque une vraie révolution sur l’ensemble de la chaîne. Pourquoi ? Parce qu’on ne va plus acheter des produits finis mais des bobines de fil, des cartouches de plastique, de métal… pour alimenter les imprimantes 3D », analyse Romain Lambert.
Si aujourd’hui, le public intéressé par l’impression 3D se concentrent autour des créatifs, inventeurs et bricoleurs de tout poil et que les résultats sont parfois loin d’objets aptes à être utilisés, la question peut néanmoins se poser : « Pourquoi ne pas proposer à l’utilisateur plutôt que d’aller acheter l’objet en magasin, de charger lui-même le fichier sur Internet et de l’imprimer ? », interroge Mathilde Berchon. Celle-ci remarque par ailleurs que la fabrication décentralisée a déjà fait son trou, à l’instar, du site 3D Hubs, qui permet de connecter localement les propriétaires d’imprimantes 3D aux personnes souhaitant imprimer un objet. « On observe aujourd’hui un milieu de semi-professionnels qui connaissent bien leur machine et opèrent de chez eux. Certaines entreprises (start-up, PME, studio de design…) avec un besoin particulier de prototypage, travaillent main dans la main avec ces services-là ».
Imaginons que l’on ait demain, de petites unités de production dans les villes maillant le territoire, soucieuses des problèmes de sécurité et de normes dans la fabrication, et permettant à n’importe qui d’arriver avec son fichier pour fabriquer son produit. « Cela révolutionne la chaîne et donc les filières industrielles standardisées, avec une dispersion de l’outil de production et des approvisionnements beaucoup plus standardisées, commente Romain Lambert. Et si j’étais actuellement fabricant de certains produits susceptibles d’être conçus par le client final avec une imprimante 3D, je me poserais la question de mon avenir et je m’y préparerais ». « Vraisemblablement, l’impression 3D pourrait être une réelle opportunité pour re-développer un tissu industriel en France. En revanche, et à l’instar de la Chine qui a déjà mis en place des formations spécispécifiques pour les ingénieurs de demain, les USA investissent aussi massivement dans l’évolution de ces technologies. Il ne faudrait pas que la France rate le train à la fois de la technologie et de la compétence », soutient Frédéric Allard.