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et logistique

Interview

Laurent Livolsi : « Cette crise pourrait conduire à une nouvelle mondialisation »

S’interrogeant sur les enseignements à tirer de la crise sanitaire, Laurent Livolsi, maître de conférences en sciences de gestion et directeur du Cret-Log, évoque les leviers à actionner pour la reprise. Se gardant d’un discours politique sur la démondialisation, il entrevoit en revanche une nouvelle mondialisation avec un essaimage renouvelé des pôles industriels.

Publié le 11 mai 2020 - 10h30
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De quelles manières la supply chain mondiale a-t-elle été impactée durant cette crise sanitaire ?
Il y a trois regards à apporter sur cette crise : tout d’abord, au niveau de l’entreprise avec des différences très importantes selon le secteur d’activité dans lequel elle se situe. Deuxième niveau : celui de la supply chain avec les choix organisationnels et la façon de la piloter. Enfin, le niveau des « global value chains », ces chaînes de valeur mondiales reflets de la mondialisation telle qu’elle est aujourd’hui. Concrètement, les entreprises ont eu à faire face à un choc de demandes, que ce soit en BtoB ou en BtoC, avec des clients qui ne sont plus là et des consommateurs qui se recentrent sur des produits alimentaires de base. En simultané, elles ont été confrontées à un choc d’offre, avec un questionnement sur leur propre capacité à assurer cette continuité de production liée à la fois à des difficultés d’approvisionnement (matière première en tant qu’industriel, produits finis en tant que distributeur…) mais aussi à leur responsabilité envers leurs salariés qu’elles devaient protéger. Cette crise a mis en avant le rôle des stocks : ils sont coûteux, impactent la trésorerie mais protègent aussi. Une gestion des stocks qui nous ramène aux choix organisationnels des supply chains.


C’est sur ces choix organisationnels qu’ont pu se distinguer certaines organisations dans leur capacité à affronter la crise ?
À l’extrême, cela a mis en avant la différence entre une entreprise intégrée qui a gardé ses sites de production de l’amont jusqu’à l’aval et une entreprise dotée d’un modèle avec beaucoup moins d’actifs, qui a décidé de tout sous-traiter ou presque. Après la crise financière de 2008, on s’était dit qu’une société intégrée ne constituait pas le bon business model. C’est un peu moins clair dans cette crise-là. On s’aperçoit que pour une organisation qui a fait le choix de tout externaliser, les risques ont été plus importants en termes de continuité et de reprise d’activité. Il va falloir s’approvisionner de façon plus conséquente, gérer un nombre d’acteurs plus important et comprendre le contexte de chacun de ses sous-traitants pour redémarrer sa propre activité. Cette crise a également posé la question de la localisation des activités, quel que soit le modèle d’ailleurs, et a provoqué une critique de la mondialisation mais il faut savoir se garder de ces discours prophétiques car on s’aperçoit que les fournisseurs en Europe ont aussi été touchés et que nous sommes tous vulnérables car c’est le propre d’une pandémie.


On parle en effet de changement de paradigme à venir, pouvant mener à des relocalisations, notamment sur la supply chain pharmaceutique. Qu’en pensez-vous ?
Je ne crois pas en une démondialisation, mais il pourrait y avoir une nouvelle mondialisation. Sur la supply chain pharmaceutique, il faut dissocier deux niveaux d’analyse : l’entreprise qui pilote ses flux, et les États qui ont une responsabilité en termes de santé publique. Oui, cette crise est révélatrice de la question de la souveraineté d’un pays sur ses produits de santé et va sans doute appeler des relocalisations sur le sol national. C’est un futur possible et souhaitable. Mais, sur les autres produits, je suis plus nuancé. Je crois qu’il faut envisager deux logiques. D’abord, la stratégie logistique et industrielle de la Chine va conduire les entreprises chinoises elles-mêmes à délocaliser certaines de leurs activités vers des pôles industriels situés tout au long des fameuses routes de la soie. C’est une réponse à des enjeux de pollution mais finalement aussi de sécurisation de leurs activités industrielles. La crise du Covid-19 pourrait accélérer ce processus. Ensuite, ces relocalisations industrielles pourront également concerner des entreprises occidentales qui, à leur tour, pourraient créer des sites industriels sur ces mêmes routes de la soie. Il faut espérer que ce mouvement corresponde à une diminution des activités situées en Chine et pas à de nouvelles délocalisations en provenance d’Europe. L’intérêt, pour toutes les entreprises, malgré les surcoûts initiaux liés aux investissements, sera de réduire le fameux lead time et donc d’améliorer toute la réactivité des supply chains par rapport aux marchés avec des impacts importants en termes de performance économique mais aussi environnementale. Des usines plus modernes, moins de transports et moins de gaspillage lié aux écarts entre prévision des marchés et réalité de ceux-ci. Cette évolution permettra d’envisager alors le multisourcing plus facilement.

 

La question du multisourcing a en effet été évoquée en réponse à cette crise. Comment expliquer les failles dans ce domaine ?
Le multisourcing fait en réalité partie des choses que l’on n’aurait pas dû arrêter. Bien sûr, l’analyse des risques supply chain réalisée par les entreprises aurait dû conduire, dès le départ, à avoir plusieurs fournisseurs ou à s’assurer que celui choisi avait plusieurs sites de fabrication possibles. Néanmoins, le piège avec cette pandémie, qui par nature est mondiale, c’est que même si on a un fournisseur back up en Italie, ce pays peut également être touché… Cela renvoie alors à la capacité d’agilité et de flexibilité des entreprises pour trouver des solutions. C’est sur cet aspect qu’il s’agit de travailler, durant la sortie de crise : envisager le long terme en n’actionnant pas à court terme des leviers qui pourraient ensuite fragiliser l’entreprise. La crise de 2008 avait déjà donné un exemple avec des constructeurs automobiles qui avaient massivement renégocié leurs contrats en faveur d’équipementiers low-cost provoquant la pire crise en termes de rappel de véhicules de toute l’histoire du secteur, sans oublier le fameux dieselgate. Les dirigeants vont donc devoir concilier, avec une vision stratégique, la pression du court terme avec les enjeux du long terme. C’est stratégique à l’échelle d’une entreprise, qui affronte une crise majeure mettant en jeu sa survie mais qui doit également penser un avenir plus lointain, et à l’échelle aussi d’un Etat lorsqu’il se pose des questions de souveraineté et de modèle.

 

Comment apprendre de cette crise pour être capable de se prémunir demain si une nouvelle réapparaissait ?
Cette crise remet profondément en question les dispositifs de pilotage des entreprises qui s’appuient soit sur des modèles de prévision, soit sur des commandes fermes. Face à la pandémie, on s’est retrouvés avec une absence quasi-totale de visibilité et une incertitude complète. Est alors apparue la nécessité de s’adapter quasiment au jour le jour et d’avoir la meilleure réactivité possible. Réactivité qui s’appuie sur la compétence organisationnelle qu’est l’agilité : la capacité à être résilient, à faire face. Et dans ce contexte-là, lorsqu’il s’est agi de repenser les flux, il a fallu s’appuyer avant tout sur des femmes et des hommes. Quand les systèmes de prévision et les analyses de données n’ont plus donné des réponses suffisantes, l’humain a été remis au centre pour trouver des solutions mais aussi pour sa capacité à s’engager tout au long de la supply chain (les conducteurs routiers, opérateurs en entrepôts… ont rempli leur mission). Il y a eu, à tous les niveaux hiérarchiques, une ingéniosité assez exceptionnelle de la part de tous les acteurs de la filière. C’est un enseignement fort de la crise. Mais il ne s’agit pas de penser que les prochaines seront identiques. Prenons garde à ces principes-là car les crises de demain pourront être environnementales, socio-politiques (tensions commerciales entre pays, tensions sociales au sein des pays…) ou numérique ! Celles-ci conduiront à chaque fois à de nouvelles réponses adaptées. Il faut donc concilier une réflexion sur ce qui pourrait se passer demain, ce qu’il est souhaitable de voir, en conservant cette capacité de réaction fondée sur les compétences humaines et une volonté commune.

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