Portrait
Éric SARRAT, le défi de la postérité
Entrepreneur attaché aux valeurs libérales et au management des hommes, Éric Sarrat est aussi un infatigable compétiteur, relevant avec un optimisme non feint les défis d’une vie construite sur les bases solides d’un précieux héritage familial.
« Éric n’arrête jamais, quoi qu’il arrive. Lorsque nous sommes en déplacement, il est 7h du matin, vous venez à peine de vous réveiller pour prendre votre petit déjeuner et lui est déjà allé courir », entame Virginie Cotten, directrice des opérations chez GT Logistics. Effectivement, à 68 ans, Éric Sarrat, fondateur et dirigeant de GT Logistics, n’est pas décidé à se poser. Administrativement à la retraite mais toujours en activité, champion de ski passionné d’équitation ; mari, père de famille et grand-père investi, il a désormais dans sa ligne de mire… 2019. Cette année-là, il fêtera les 100 ans de l’entreprenariat familial. « Un rêve » pour ce développeur-né dont la passion pour l’entreprise et l’économie, en général, est un véritable récit de filiation. Pour preuve, il est encore étudiant lorsqu’il devient président de l’entreprise familiale. Nous sommes en 1978. Et ce n’est pas à son père qu’il succède, mais à son grand-père.
Avant cela, le futur dirigeant de GT Logistics apprend aux côtés de celui qui fait figure de mentor et lui transmet un goût immodéré pour l’entreprise : « J’ai été très proche de lui, il était mon parrain. Il souhaitait que je travaille dans l’entreprise et m’a donc adressé très tôt à ses préoccupations. C’était un bel exemple de libéralisme modéré, d’opportunisme raisonnable. Avec lui, j’ai toute de suite pu prendre la mesure des difficultés de l’entrepreneur. » Tout au long de sa formation initiale, Éric Sarrat suivra donc un double cursus, théorique, en Licence puis en DESS mais aussi pratique, au plus près de son aïeul avec qui parfois le soir, il s’installe sur la table de la cuisine, pousse la vaisselle et continue à travailler. « Mon grand-père est tombé malade en 1976, il a perdu l’usage de la parole. Je lui amenais les résultats de l’entreprise. Il me répondait avec une machine à écrire. Progressivement, il me passait la main. Plus tard, il m’a demandé de rédiger une lettre dans laquelle je me suis auto-désigné président. Lorsque j’ai pris sa suite, je me suis senti investi d’une mission de défense du patrimoine et de son oeuvre et cette lettre, je la conserve précieusement », raconte-t-il, ému. Mais la transition ne sera pas simple.
Grandeur d’esprit
« Patron héréditaire », le jeune dirigeant peine à trouver sa place de meneur d’hommes, lui le « petit homme » succédant au « grand monsieur ». D’un naturel timide et introverti, il trouve son salut dans la Marine et plus tôt, au pensionnat qu’il fréquente près de 10 ans : « Mes débuts de vie professionnelle ont été pour moi un martyr. Heureusement, j’ai été formé ; par mon directeur de pensionnat qui m’a permis d’être un peu plus meneur d’hommes que je ne l’étais naturellement et qui m’a obligé à être moniteur de colonies de vacances. Puis, par la suite, dans la Marine, où il fallait que les ordres claquent ! Lorsque vous avez 150 mousses à faire manoeuvrer et que vous êtes petit, timide et que votre voix ne porte pas, c’est une catastrophe ! Petit à petit, on se fait reprendre, on nous donne des trucs et ça finit par marcher. Il a parfois été très dur de vaincre cela. »
De ces années d’apprentissage, Éric Sarrat conserve un moral de gagnant, un esprit guerrier. Dans sa vie personnelle d’abord après une victoire sur la maladie – « un moment difficile à vivre, une situation qui suscite beaucoup d’inquiétudes. Mais, il nous a impressionnés, il n’a pas ou peu levé le pied », évoque avec pudeur sa collaboratrice Virginie Cotten – et aussi et surtout dans le sport, qu’il pratique avec assiduité et passion, en famille ou en compétition : « Pour moi, c’est un équilibre de vie. Mon gabarit (1m65 pour 60 kilos), ne prédispose pas à toutes les disciplines, mais c’est aussi une façon de se battre contre plus gros que soi. Cela rappelle ce que l’on vit dans l’entreprise. Nous sommes plutôt petits que grands et dans le ski, j’aime retrouver cela. Une fois, pour me motiver, mon entraineur m’a préparé à un slalom, en me disant : “Les piquets rouge, c’est la CGT, les bleus, le syndicat que tu veux ; tu me les couches tous !” Il a utilisé la tension que je vivais à ce moment-là pour que je me surpasse. Je me suis déchaîné et le chronomètre en a tenu compte. »
Ce dépassement de soi et cette rage de vaincre, Éric Sarrat ne les garde pas pour lui. Il les transmet à ses collaborateurs au quotidien, lors de séances de wakeboard sur la Dordogne, à sa famille à travers de nombreuses activités pratiquées tous ensemble, ainsi qu’à Thibault, l’aîné de ses petits-fils. Du haut de ses 12 ans, le jeune homme semble d’ores et déjà vouloir marcher sur les pas de son grand-père. Un jour, en sortant de l‘école il demande à sa grand-mère ce qu’est un actionnaire et exprime sa volonté d’en être. Comme-si, tout naturellement, il se préparait déjà à emprunter la voie tracée par son grand-père : « J’aimerais bien faire de la logistique. Ce n’est pas simple mais mon grandpère me fait des schémas qu’il m’explique pour que je comprenne et généralement, cela se passe plutôt bien. J’aime passer du temps avec lui et plus tard, j’aimerai faire comme lui. Je suis très fier de lui », affirme-t-il timidement.
Formateur dans l’âme
Cette volonté de transmission, Éric Sarrat voudrait aussi la partager avec d’autres. Fort de ses convictions humaines et économiques profondes, il a également mis sur pied une école de management GT dans laquelle il a désormais envie d’aller donner des cours. Virginie Cotten, accueillie en tant que stagiaire dans la société il y a plus de 15 ans, porte d’ailleurs un regard tout particulier sur son patron et son rapport à ses collaborateurs : « Il n’est ni froid, ni distant. Je l’ai vu aller faire une formation d’opérateur ferroviaire avec des opérateurs sur site. Il aime le terrain. La porte de son bureau est d’ailleurs ouverte en permanence et chacun sait qu’il peut l’appeler ou passer le voir à tout moment », affirme-t-elle. Encore une fois, Éric Sarrat aura hérité cela de son grand-père. Ce dernier, prévoyant, laisse à ses petits-enfants Éric et son frère Michel, des notes pour l’avenir de l’entreprise familiale : « Il nous avait aussi pratiquement laissé l’actionnariat salarié par écrit et nous avait prévenu que si un jour nous bénéficions de mesures favorables, il faudrait y aller. Lorsqu’est arrivée la fameuse ordonnance de 1986, d’inspiration très libérale, nous avons lancé l’intéressement et aussitôt après l’actionnariat salarié. »
Près de 30 ans plus tard, c’est Éric Sarrat qui emmène ses petits-fils dans les coulisses de GT Logistics, au plus près des opérateurs, mais aussi dans le bureau de la DAF pour des cours sur le taux de progression ou bien encore chez les RH pour la découverte des syndicats. Le fondateur de ladite entreprise l’avoue, pour lui, « c’est un véritable carburant pour continuer et puis c’est un défi ». Le défi de leur inculquer des valeurs et une force propre à la lignée des Sarrat.